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Acte III de la décentralisation
Les départements, maillons affaiblis ?

05/12/2012

Un nouvelle étape de la décentralisation se prépare. Aux manettes de l’action sociale, les conseils généraux, financièrement fragilisés, jouent gros. Sortiront-ils renforcés de cette future réforme ? Élus et professionnels du secteur social et médico-social sont aux aguets.

Le département, un simple guichet social ? Croulant sous le poids des allocations individuelles de solidarité, les conseils généraux, consacrés « chefs de file » de l’action sociale en 2004, seraient devenus des gestionnaires aux mains liées. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs marges de manœuvre ont été largement réduites ces dernières années. La question de leurs perspectives se pose aujourd'hui avec acuité, alors qu'une nouvelle phase de décentralisation s'annonce. Préalable à toute réforme ? Leur assurer des ressources suffisantes. Les transferts sociaux successifs ont en effet entamé peu à peu leur capacité d'action : instauration de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en 2002, puis de la prestation de compensation du handicap (PCH) en 2006 et, à partir de 2004, mise en place de la gestion décentralisée du revenu minimum d’insertion (RMI), remplacé par le revenu de solidarité active (RSA) « socle » en 2009. Plus spécifiquement, la hausse conjoncturelle et structurelle de ces dépenses, déjà très variables en fonction des territoires [1] (la charge de RSA en particulier) et de moins en moins compensées par l’État, « plombe » les comptes départementaux. Un mouvement qui s’accompagne de la baisse des principales ressources de ces collectivités (suppression de la taxe professionnelle, instabilité des ressources fiscales).

Équilibres précaires

« Les conseils généraux doivent désormais ponctionner leurs recettes propres de plus de 6 milliards d’euros chaque année pour financer ces allocations qui relèvent pourtant de la solidarité nationale. […] Ce sont d’ailleurs les seules collectivités contraintes de réduire globalement depuis trois ans leurs investissements », constate, amer, Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF). Face à l’urgence, le gouvernement a toutefois décidé de reconduire en 2013 le fonds d’aide aux départements les plus en difficulté, à hauteur de 170 millions d’euros financés sur… les réserves [2] de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) . « Ce soutien est indispensable si l’on veut éviter que certains départements ne se trouvent en situation de cessation de paiement », estime Claudy Lebreton. Reste le cœur du problème : comment, dans un contexte de crise économique, assurer la prise en charge de publics fragiles par des collectivités à l’équilibre précaire ? Le prochain acte de la décentralisation pourrait apporter des réponses. Porté par le projet de loi de modernisation de l’action publique, qui s’attaquera également à la réforme de l’État, il devrait être examiné par les parlementaires début 2013. Quelques orientations se dessinent déjà.

Des lots de consolation

Ainsi, le chantier de la pérennisation des ressources des départements, afin d’assurer notamment le financement de leurs dépenses sociales, est lancé. Fiscalité directe renforcée, péréquation plus efficace : des pistes sont évoquées. Un groupe de travail, placé sous l’autorité du Premier ministre et en concertation avec le président de l’ADF, planche sur la question. Seule certitude ? Un concours supplémentaire de l’État n’est pas à l’ordre du jour. En 2013, sa dotation aux collectivités est gelée pour la troisième année consécutive et la loi de programmation des finances publiques, en discussion au Parlement, en prévoit même la diminution pour les années 2014 et 2015.

Les conseils généraux peuvent néanmoins se réjouir des quelque lots de consolation promis par le président de la République, François Hollande. Au premier rang desquels figure la remise en cause du « conseiller territorial ». Mesure phare de la lutte contre le « mille-feuille administratif » prise sous le précédent mandat [3], ce poste hybride – départemental et régional à la fois – ne verra pas le jour. La nouvelle équipe au pouvoir a également décidé de faire machine arrière sur la suppression, à l’horizon 2015, de la clause générale de compétence [4].

Face à des régions fortes

Dernier cadeau en date, les conseils généraux se sont vu offrir le pilotage des ressources du volet « inclusion sociale » du Fonds social européen (FSE). L’engagement gouvernemental a été entériné dans une déclaration commune entre l'État et l’ADF, signée le 22 octobre. Il permet aux départements de marquer un point dans la bataille avec les régions autour de la gestion du FSE. Mais celle-ci est loin d’être gagnée. Octroi d’un éventuel pouvoir réglementaire, transfert des attributions de l’État en matière d’emploi et de formation ou encore, du soutien aux petites et moyennes entreprises… Sous le vernis officiel, ce sont bien les régions qui semblent tirer leur épingle du jeu. « L’option de la régionalisation est plutôt cohérente avec le mouvement conforté par la création des agences régionales de santé [ARS] par la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009, analyse Jean Briens, président du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso). Mais nous craignons de voir se renforcer un appareil un peu lointain, nécessaire pour la planification, mais peu pertinent pour l’action. Or, nous avons besoin d’interlocuteurs au niveau local. » Autre conséquence redoutée ? Le repli des conseils généraux autour de leur mission de solidarité et une relative déconnection avec le champ du développement économique.

À qui le handicap ?

La valse des blocs de compétences n’a pas fini d’inquiéter le secteur. Début octobre, à l’occasion des États généraux de la démocratie territoriale, François Hollande évoquait l’éventuel transfert de « l’ensemble des politiques du handicap et de la dépendance, hors du champ de l’assurance maladie ». Une orientation réaffirmée ensuite par Marie-Arlette Carlotti, ministre en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion. En ligne de mire ? Les établissements et services d'aide par le travail (Esat) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). L’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui pèse plus de 8 milliards d’euros, semble pour l’instant être écartée des discussions. « De prime abord, je ne suis hostile à rien, précise Claudy Lebreton. Tout dépendra des conditions et de l’état d’esprit de la négociation que nous mènerons avec le gouvernement et les professionnels du secteur. Mais il est bien évident […] que nous serons intransigeants sur les garanties financières. » Du côté de l’Association nationale des directeurs et cadres d’Esat (Andicat) et de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), la réaction est épidermique. Cette dernière dénonce une « vente à la découpe de la politique du handicap ». « Le risque, en l’absence de rééquilibrage à l’échelle nationale, c’est le renforcement des inégalités territoriales, prévient Thierry Nouvel, son directeur général. Même si cette décision permettait d’améliorer la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes, rien ne pourrait nous prémunir du redéploiement de moyens destinés aux Esat vers des maisons de retraite. Il n'y aurait aucun garde-fou. »

Incitation au dialogue

Pas question, en effet, de revenir sur le principe de libre administration des collectivités. Au contraire, l’heure est à la « confiance », n’a de cesse de répéter le gouvernement. Une idée qui trouve un écho favorable sur le terrain chez nombres d’acteurs désireux de ne pas subir une nouvelle avalanche de textes. « Il faudrait plutôt donner de la latitude aux départements pour adapter localement les dispositifs », estime pour sa part Roland Giraud, président de l’Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé des conseils généraux (Andass). Dans ce but, le droit à l’expérimentation sera « élargi et assoupli », a assuré le président de la République. Des conférences territoriales de l'action publique devraient permettre aux collectivités de « s’accorder entre elles sur des compétences transférées et déléguées », a promis Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Fonction publique. « Cela va permettre de pousser l’intelligence des territoires et d’inciter au dialogue, se réjouit Daniel Zielinski, délégué général de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Unccas). C’est déjà ce qui se passe entre certains CCAS-CIAS et des départements, qui signent des conventions de partenariat ou de délégation. » Et si les exécutifs ne s’entendent pas ? Laurence Quinaut, directrice générale des services (DGS) de l'Ille-et-Vilaine [5]estime que le risque, s’il existe, reste limité : « Si la logique d’interdépendance est réelle, chacun aura intérêt à se mettre d'accord. Pour cela, il est nécessaire que les compétences soient bien identifiées. » 

Simplification et clarification à la peine

Sur le terrain, les demandes de simplification des circuits de décision et de clarification des compétences vis-à-vis de l’État et de son administration déconcentrée sont également pressantes. Assez emblématique, la question du partage des responsabilités avec les départements pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers (MIE) pèse sur les structures de protection de l'enfance ou de lutte contre l'exclusion des territoires les plus concernés. Si le gouvernement a reconnu à plusieurs reprises l’urgence de ce dossier, les réponses tardent à venir.

Dans le champ médico-social, le double pilotage ARS-conseils généraux n’est pas sans poser certaines interrogations. L’inefficacité et le coût des coordinations mises en œuvre pour articuler schémas régionaux (produits au niveau des ARS)  et départementaux (compétence des conseils généraux) sont notamment incriminés. De manière générale, dans le domaine de l’action sociale, ce sont les doublons qui sont pointés du doigt, par exemple en matière d’insertion professionnelle. « Bien sûr, sur un certain nombre de secteurs, il serait nécessaire de les supprimer, considère Laurence Quinaut. Mais le plus souvent, la question à poser n’est pas tant celle de la présence de l’État sur tel ou tel domaine, que les moyens – budgétaires et normatifs – qu’il laisse à disposition des ARS, de Pôle emploi, etc. Il n'y a pas que les collectivités qui ont besoin de marges de manœuvre. » Reste à savoir si la réforme de l’État saura apporter les réponses suffisantes… Et si le secteur saura se faire entendre.

Responsabilité des associations

Pour peser sur les décisions, associations, unions et fédérations organisent des rencontres bilatérales avec les cabinets ministériels. « Mais pour l’instant, la concertation officielle autour de cet acte III concerne uniquement les collectivités territoriales et l’État », regrette Ronald Maire, conseiller technique à l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Et le flou continue de régner quant aux perspectives pour le secteur dans cette prochaine étape de la décentralisation. Selon Jean Lavoué, vice-président du Groupement national des directeurs généraux d'associations (GNDA), la responsabilité de ce dialogue incombe évidemment aux pouvoirs publics. Mais aussi aux associations et à leurs représentants :« Jusqu’à maintenant, ils n’ont pas su anticiper la transformation de l’administration d’un modèle tutélaire vers un modèle concurrentiel. Les fédérations, notamment, restent surtout structurées au niveau national. Là où elles sont peu présentes, les acteurs de terrain n’ont plus que le choix de réponses isolées ou de coopérations locales. C’est un vrai défi pour le secteur de s’emparer de ce nouvel acte, d’ouvrir des espaces de débat et de collaboration. »

[1] Lire ce numéro p. 66

[2] Lire ce numéro p. 8

[3] Créé par la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales, il devait entrer en vigueur en 2014.

[4] Prévue initialement par la loi du 16 décembre 2010

[5] Également coauteur du texte « L’action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité »

Aurélia Descamps

« Aller au-delà du transfert d’attributions aux collectivités »

Robert Lafore, professeur de droit public à l’université de Bordeaux 4

« Depuis l’acte I de la décentralisation (1982-1983) – suivi d'un acte II (2003-2004) –,  un chantier dont on ne distingue pas la porte de sortie a été entrepris. L’intention initiale est contrecarrée par des conservatismes très forts de certains notables politiques bien enracinés dans un modèle qui articule communes et départements. La marge de manœuvre du gouvernement est donc faible. Pourtant, il est nécessaire d’affirmer une orientation globale qui intègre la question du rôle de l’administration déconcentrée et qui aille au-delà du seul transfert d’attributions aux collectivités. En effet, la théorie des blocs de compétences a ses limites. L’action sociale, par essence transversale, en est la première victime. Contrairement à la loi du 16 décembre 2010, qui s’apparentait à un coup de pied dans la fourmilière, le projet du nouveau gouvernement est de stabiliser le système, sans toucher aux différents niveaux d’administration. Mais comment renforcer l’ensemble des collectivités sans en affaiblir aucune ? À l’idée d’un acte III, je ne peux déjà m’empêcher penser : à quand un acte IV ? »

Repères

  • + 9,9 % de dépenses nettes d’action sociale pour les départements entre 2009 et 2011
  • 239 euros par habitant en 2010 : dépense moyenne de RSA en Seine-Saint-Denis (département où le taux de pauvreté est le plus élevé). 53 euros en Haute-Savoie.
  • 59,9 milliards d’euros de concours financier de l’État aux collectivités territoriales sont prévus dans le projet de loi de finances 2013
  • – 38 points, c’est l'évolution du taux de couverture par l’État de l’ensemble des allocations (APA, PCH, ACTP) entre 2006 et 2011 (de 67 % à 29 %)
  • 60 % des dépenses réelles de fonctionnement des départements concernent l’action sociale
  • 170 millions d'euros seront débloqués en 2013 pour les départements les plus fragiles. État et conseils généraux réfléchissent à la clé de répartition.

Répartition des charges nettes d’action sociale 

(après déduction du concours de l’État)

- 28,2 % pour l’aide sociale à l’enfance (ASE)

- 20,9% pour les personnes âgées

- 23,3% pour les personnes handicapées

- 7,9 % pour l’insertion

- 19,7 % pour les autres dépenses (dont les personnels)

Sources : Observatoire de l'action sociale décentralisée (Odas), Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), ADF

Publié dans le magazine Direction[s] N° 102 - janvier 2013






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