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Mesures de tutelle
Des renouvellements au pas de charge

23/10/2013

La révision des mesures de tutelle constitue aujourd’hui le dernier motif d’inquiétude des services de protection juridique des majeurs. Un secteur qui, en l’absence de moyens à la hauteur des ambitions de la loi de 2007, peine à suivre le rythme soutenu des obligations. La grogne monte.

C’est une fin de non-recevoir que les fédérations représentatives des services mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) se sont vu opposer, encore cet été, par la Chancellerie. Au 31 décembre prochain, l’ensemble des quelque 630 000 mesures prononcées avant le 1er janvier 2009 devra bel et bien avoir été révisé. Une nouvelle embûche sur le parcours des gestionnaires qui n’en finissent plus de faire face aux nouvelles obligations.

Grande avancée de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs [1], la limitation dans le temps des mesures – saluée par l’ensemble du secteur – a un corollaire : l’obligation de révision quinquennale de toutes les situations par les juges des tutelles, sous peine de devenir automatiquement caduques. Avec son lot de conséquences dramatiques assurées. « Le paiement d’un loyer, des dépenses alimentaires, l’éventuel renouvellement d’une couverture santé… Il s'agit d’enjeux vitaux pour des majeurs vulnérables », énumère Lisa Lopes, conseillère technique à la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles (Fegapei). Le risque est de taille pour les professionnels qui, très tôt, ont vu venir le carambolage. « À rythme constant, seules 36 % des juridictions seraient à jour dans les renouvellements au 31 décembre », révélaient en janvier dernier les projections de la Direction des services judiciaires. Pour autant, pas question d’envisager un quelconque report de cette échéance déjà repoussée une première fois [2]. « Il ne règlerait que partiellement la situation, puisque les mesures nouvelles [décidées] à compter du 1er janvier 2009 viendraient à nouveau augmenter le stock », justifiait le cabinet de la garde des Sceaux, fin juillet. En prévision, les pouvoirs publics ont mis les bouchées doubles ces derniers mois : affectation de magistrats ou de greffiers placés en priorité dans les services des tutelles, décharge totale ou partielle de la contribution des juges des tutelles à l’activité des tribunaux de grande instance, mise en place de contrats d’objectifs et d’un outil statistique de suivi des renouvellements…

Réexamens à la va-vite

Une avancée incontestable, certes. Mais dans quelles conditions, déplore Ange Finistrosa, secrétaire général de la Fédération nationale des associations tutélaires (Fnat). « Nous sommes aujourd’hui dans un fil d’urgence où les auditions chez les juges des tutelles se font à la chaîne en cinq ou dix minutes, voire à distance. C’est totalement contraire à l’esprit de la loi, qui fait de ce moment un temps de rencontre essentiel permettant à la justice de vérifier la pertinence du maintien de la mesure et au majeur de s’exprimer. » Conséquence : le nombre de recours contre les révisions augmentent dans certaines cours d’appel, pointe la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape). Pourtant, tant bien que mal, le « stock » diminue : « seules » 1 à 2 % des mesures pourraient ne pas être renouvelées, table la Chancellerie. Insuffisant pour Laurence Rambour, conseillère technique à la Cnape : « Nous ne pouvons nous en satisfaire. D’autant que cette estimation nationale n’est pas pertinente, tant les disparités territoriales sont importantes. » Chronique d’une faillite annoncée ?

Dispositifs alternatifs insuffisants

Très tôt, le secteur s’est pourtant mis en ordre de marche pour préparer l’échéance : récupération de certificats médicaux, élaboration de rapports circonstanciés… Une mobilisation conséquente pour les gestionnaires qui, quatre ans après l’entrée en vigueur de la réforme, peinent à digérer les coups d’accélérateur imposés par son déploiement. Une petite révolution culturelle, rappelle Ange Finistrosa : « Intégration des services dans le giron de la loi du 2 janvier 2002 avec son fonctionnement et ses outils, formation des intervenants en un temps record, passage en dotation globale… Il n’est pas question pour nous de ne soustraire à nos obligations, bien au contraire. Mais il faut a minima un étalement dans le temps pour l’application de ces dispositifs. » « Un des objectifs de la réforme était de dégonfler le stock de mesures, notamment grâce à la création de dispositifs alternatifs (mandat de protection future et mesure d'accompagnement social personnalisé – Masp), rappelle Thierry Nouvel, directeur général de Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Or, le nombre de mesures et d’obligations a continué à augmenter, le champ de la protection est devenu plus ambitieux, alors que les moyens ont stagné ! »

Ambitions versus moyens

Une équation mathématiquement insoluble, avec laquelle les gestionnaires ont dû jongler… en des temps de vaches maigres. Car depuis trois ans, le secteur, abonné aux faibles taux de reconduction de ses enveloppes [3], prend part à un dialogue de gestion qui, ici et là, n’en a plus que le nom, déplorent les professionnels. Cerise sur le gâteau ? La mise en œuvre d’une convergence tarifaire, douloureusement appliquée sur la base d’une batterie d’indicateurs, dont la qualité est absente. « Des élements essentiels comme le profil des  personnes, l’évolution du métier ou encore la localisation géographique du service devraient être pris en compte, plaide Lisa Lopes. La convergence ne peut se faire sans analyse fine des situations, ni même sans réflexion sur le cœur des missions, afin de pouvoir comparer ce qui est comparable. »

Sur le terrain, les effets se font sentir dans les rangs des mandataires qui doivent compter avec un portefeuille de plus de 50 dossiers en moyenne. Difficile dans ces conditions de respecter leurs obligations en matière de personnalisation des mesures. « À un moment donné, on ne peut plus optimiser sans toucher à la qualité même de la mesure », prévient Laurence Rambour. La meilleure preuve, pour un secteur qui se vit de plus en plus comme le parent pauvre des politiques sociales ? Le projet de loi de finances pour 2014 [4] qui fait du maintien de la convergence tarifaire l’un des moyens de « participation à l’effort partagé de maîtrise des dépenses publiques » de la mission Solidarités, insertion, égalité des chances. Les professionnels apprécient… Et se disent prêts, fait rarissime dans ce champ, à multiplier les contentieux tarifaires, préviennent les têtes de réseau unanimes. « Frustration, inquiétude, épuisement, sentiment de non-reconnaissance…, énumère Anne-Marie David, présidente de la Fnat. Les organisations arrivent à un seuil limite. Elles ne pourront aller plus loin. Jusqu’où l’équilibre pourra-t-il être fait en compensation du manque de moyens ? » Ce, alors que déjà s’annonce le temps des premières évaluations…

[1 Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, entrée en vigueur le 1er janvier 2009

[2] Loi n°2009-526 du 12 mai 2009

[3] + 1 % pour la masse salariale et gel de ses frais de fonctionnement

[4] Lire dans ce numéro p. 10

Gladys Lepasteur

Repères

  • 1 % de la population bénéficierait d’une mesure de protection.
  • Participation des majeurs à leur mesure, champ plus ambitieux de la protection, professionnalisation des intervenants : tels sont trois des principales ambitions de la loi réformant la protection juridique du 5 mars 2007.
  • 183 238 mesures restent à renouveler un an avant l’échéance du 31 décembre 2013, selon la Direction des services judiciaires.
  • « Les mesures exercées par les professionnels poseront sûrement moins de problèmes, mais cela ne représente qu’une sur deux. Il n’est pas certain que les curateurs et tuteurs familiaux aient tous anticipé l’échéance », estime Thierry Nouvel, directeur général de l’Unapei.
  • + 1 % pour la masse salariale et 0 % pour les frais de fonctionnement : ce sont les taux de reconduction du secteur depuis trois ans.
  • Parmi les moyens déployés par le ministère de la Justice : affectation de magistrats et de greffiers en priorité dans les services des tutelles, décharge de la contribution des juges des tutelles à l’activité des tribunaux de grande instance et mise en place d’un outil statistique. 

Publié dans le magazine Direction[s] N° 113 - novembre 2013






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