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Des femmes à la rue hébergées sans condition

31/03/2008

Metz (Moselle). Une association expérimente une structure d'hébergement adaptée à des femmes sans abri très marginalisées. Avec des moyens fort limités.

L'association d'information et d'entraide mosellane (Aiem) a largement devancé les prescriptions de la conférence de consensus sur les sans-abri, publiées en décembre dernier (1). Depuis l'hiver 2004-2005, elle expérimente en effet un hébergement fondé sur l'accueil inconditionnel et sans limitation de durée, l'accompagnement sur mesure respectueux de la « non-demande », et le droit de recommencer en cas d'échec. L'expérience naît en 2004, année où Marie-Madeleine Lhotte prend la direction du centre d'accueil et d'hébergement d'urgence (Cahu) de l'Aiem. « La cohabitation au sein du Cahu d'une majorité de femmes avec enfants victimes de violences conjugales ou familiales, avec quelques femmes sans domicile, aux problématiques très lourdes, posait de graves difficultés », explique la directrice, qui chapeaute aujourd'hui le pôle « urgence » de l'association (2).

Mise à l'abri

Toxicomanie, alcoolisme, pathologies mentales, prostitution... le profil de certaines des femmes hébergées est alors peu compatible avec l'accueil proposé. « Il n'y avait pas de respect des horaires, une alcoolisation et une prise de produits sur place, des violences... Des comportements présentant des risques pour les familles hébergées, et ingérables pour les travailleurs sociaux », raconte Rachel Galerme, éducatrice spécialisée à l'Aiem. En outre, la nature de l'accompagnement social ne cadre pas. « Le Cahu n'a jamais offert une simple mise à l'abri, mais une trajectoire d'insertion assez rapide - 38 jours de séjour en moyenne. Une réponse clairement inadaptée pour ce public », souligne la directrice. Qui élabore en novembre 2004 un projet de structure à très bas niveau de contraintes, la Maison des femmes sans abri (Labri). Le principe: une mise à l'abri immédiate et sans condition pour des femmes sans domicile très marginalisées. Seuls les comportements violents sont prohibés, sans être toutefois synonymes d'exclusion définitive.

La Ddass donne le feu vert pour six mois de fonctionnement, avec des moyens a minima. De décembre 2004 à avril 2005, 6 places sont ouvertes de 22 h à 10 h grâce à trois surveillants de nuit non-qualifiés. Faute de poste de travailleur social, l'équipe du Cahu se relaie une fois par semaine, sur la base du volontariat. Très réticents à l'égard du projet, presque tous pourtant y participeront. « Les moyens étaient très insuffisants: pour un tel public, on souhaitait autre chose qu'un simple hébergement de nuit, avec des personnels non qualifiés qui risquaient d'être mis en difficulté », explique Rachel Galerme. Marie-Madeleine Lhotte défend une autre logique. « Pour obtenir des moyens, il fallait faire la preuve de l'existence réelle d'un tel besoin, et avancer petit à petit. » Encadrement, gestion budgétaire, astreintes, administration sont mutualisés avec le Cahu. Au terme de l'expérience, la structure affiche un taux d'occupation de 64 %. Le premier bilan révèle toutefois des insuffisances, dont des horaires d'ouverture trop limités et un temps d'accompagnement social trop fragmenté. « Le fait que l'éducateur ne soit jamais le même était déstabilisant pour des femmes qui sont déjà très réticentes envers les travailleurs sociaux en général », souligne Rachel Galerme.

Horaires élargis

La directrice soumet alors à la Ddass un nouveau projet. Et Labri ouvre de décembre 2005 à mai 2006 dans de meilleures conditions: 5 studios, 2 postes d'agents d'accueil pour quelques heures d'ouverture supplémentaires en journée, un demi-poste de travailleur social, investi par Rachel Galerme. En décembre 2006, nouvelle autorisation, d'un an cette fois-ci, et dans des locaux bien moins adaptés: un appartement de 5 pièces, situé dans une cité de Metz, où la structure fonctionne toujours aujourd'hui, soit trois mois après la date de fermeture prévue. « On est en période hivernale, la Ddass a souhaité qu'on poursuive jusqu'en mars 2008. Je crois au bien-fondé du dispositif, mais les conditions et moyens ne sont pas à la hauteur », précise la directrice. Qui a finalement pris le parti, malgré un inévitable déséquilibre budgétaire, d'élargir les horaires d'ouverture de 15h30 à 13h30 le lendemain.

Avec un taux d'occupation moyen de 76 % (environ 100 % en février 2008), la structure fait la preuve de son utilité. L'accueil, l'écoute et l'accompagnement à la vie quotidienne - lavage du linge, encouragement à l'hygiène personnelle, préparation des repas - sont assurés par les agents d'accueil. Rachel Galerme intervient quant à elle à mi-temps, pour l'accès aux droits - RMI, CMU, AAH... -, et l'accès aux soins. Des démarches de sortie vers un autre dispositif sont également menées, avec des résultats encore très limités. « Je privilégie une approche douce, des échanges informels. Je suis là, elles le savent, mais il est très important de respecter la non-demande, de ne pas forcer. » Les progrès, souvent infimes, sont précieux. « Mais difficilement évaluables quantitativement. C'est un travail qui prend du temps, et qui coûte cher », souligne Marie-Madeleine Lhotte qui insiste sur les limites du dispositif: le manque de qualification des personnels - à l'exception d'un agent d'accueil technicien de l'intervention sociale et familiale (Tisf) - crucial face à des publics aussi marginalisés. « Les agents d'accueil et surveillants de nuit étant en contrat précaire, ils ne peuvent accéder à la qualification. Leur formation a été assurée en interne, notamment dans le cadre de la rédaction du projet d'établissement, mais c'est très insuffisant. » D'autant que, presque toujours seules dans la structure, elles ont souvent à gérer des situations de crise ou de violence, sans disposer des outils professionnels pour y faire face. Un contexte peu sécurisant, malgré le recours possible à toute heure à l'un d'un des quatre cadres de l'Aiem qui se partagent les astreintes. « J'ai mis en place l'intervention hebdomadaire d'un psychologue auprès d'elles en 2006, mais le poste, mutualisé avec l'équipe mobile, n'a finalement pas été financé », déplore la directrice, qui redoute l'épuisement professionnel de ses agents. Et craint d'autant plus pour leur sécurité (et celle des usagers) que Labri est désormais situé dans un quartier difficile et isolé. Autre souci: l'exiguïté des locaux. A deux par chambre, les conditions d'intimité et de sécurité des femmes ne sont pas respectées. Et sont sources de tensions et de risques potentiels.

Conditions de survie

Pour continuer à faire vivre Labri, plusieurs conditions devront donc être remplies, au premier rang desquelles la mise à disposition de chambres individuelles pour les femmes accueillies, ainsi que la pérennisation des postes des agents d'accueil (et leur accès à la formation), le renforcement du temps d'accompagnement social et de l'encadrement. Pour y parvenir, Marie-Madeleine Lhotte a déjà une piste: la mutualisation des moyens matériels et humains avec d'autres dispositifs - stabilisation, lits halte soins santé - dans un bâti commun. Les locaux sont déjà trouvés. Reste à convaincre les financeurs.

(1) Lire Direction(s) n˚ 48, p. 6. (2) Il comprend le Cahu, l'équipe mobile et Labri.
Marion Léotoing

Contact

AIEM : 03 87 76 07 55

En chiffres

Budget période 2006-2007: 211735 euros

Dont subvention DDASS: 167173,75 euros

Effectifs: 5,75 ETP

32. femmes accueillies en 2006-2007

Trophée Direction(s) 2007 L'Association d'information et d'entraide mosellane a reçu le prix Adaptation des structures à l'évolution des services et prestations rendus aux usagers.

« Une prise en charge croisée »

Vincent Rizzotti, chef de service du pôle urgence de l'Aiem

« Labri constitue un socle de départ pour la mise en œuvre d'une prise en charge croisée, ces femmes cumulant souvent des problématiques diverses - toxicomanie, psychiatrie... Afin de favoriser un accompagnement global, nous avons notamment signé deux conventions: l'une avec le service des urgences psychiatriques, l'autre avec un centre de soins en addictologie, les deux pouvant notamment intervenir à Labri sur notre demande. Notre équipe mobile, ainsi que le réseau de veille sociale de Metz, nous permet aussi de faciliter un suivi des femmes qui quittent Labri et retournent à l'errance. »





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