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10e Trophée Direction[s]
Quand l’amour et le désir ne sont plus tabous

02/12/2014

Dieppe (Seine-Maritime). Lauréate du Trophée Direction[s] 2014, l’APEI mène un travail de fond pour prendre en compte la vie sentimentale et sexuelle des adultes en situation de handicap. En s’appuyant sur des outils élaborés par les équipes, les usagers et les familles. Une initiative qui vise ainsi à créer une éthique et des repères communs.


Vidéo-reportage : APEI de la région Dieppoise - Dieppe (Seine-Maritime) - Lauréat du Trophée Direction[s] 2014.

Remettre au centre du projet associatif une question relative aux droits fondamentaux des personnes accueillies, tout en fédérant les quelque 200 salariés afin d’impulser une éthique et des repères communs. Tel était l'objectif en mars 2011 de Nancy Couvert, alors directrice du secteur Adultes de l'Association de parents et d'amis d'enfants en situation de handicap (APEI) de la région dieppoise, en Seine-Maritime, lorsqu'elle décide de lancer un projet institutionnel, aux diverses facettes, sur la reconnaissance de la vie affective et sexuelle des usagers dans les sept structures du pôle.

Premières réflexions communes

Une démarche ambitieuse, partant d’un double constat. « Nous faisions face à des situations problématiques, parfois dramatiques, sans parvenir toujours à les appréhender, en particulier avec la multiplication des grossesses », relate Marie-Pierre Soret-Leclair, directrice adjointe du foyer d'hébergement et du service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS). « Les personnes accueillies avaient souvent le réflexe de vivre leurs désirs dans l'interdit, vis-à-vis de leurs parents mais aussi des professionnels, ajoute Érika Déhais, l'une des deux psychologues de l'association. Qui plus est, la vie affective et sexuelle n'apparaissait pas dans les projets individualisés des usagers. » La seconde réflexion visait l'organisation elle-même : « Le fonctionnement des établissements était trop séparé, parfois contradictoire », se souvient Nancy Couvert, aujourd’hui directrice générale de l'APEI. D'où l'importance de la méthode adoptée, fondée sur l'adhésion et l’implication de tous, sous l’égide d’un comité de pilotage rassemblant notamment l’équipe de direction, deux administrateurs (dont le vice-président) parents, la chargée de projet, une infirmière et les deux psychologues du secteur. Sa mission : valider les étapes et la concrétisation des outils issus de la réflexion collective. En outre, « tous les directeurs ont suivi une formation spécifique de trois jours : cela a créé une base de travail commune sur laquelle tout le monde s'est retrouvé », explique Nancy Couvert. Ensuite, l'enjeu était de faire travailler ensemble les salariés. »

Une parole libérée

Étapes initiales ? Celles du recueil des difficultés et attentes des professionnels via un questionnaire, puis une première sensibilisation à ce sujet souvent tabou à travers des groupes de parole transversaux, animés par les psychologues afin de démarrer un travail sur les observations de chacun. « La question de la vie affective et sexuelle renvoie à sa propre sexualité et à ses représentations, le sujet est très intime », pointe Emmanuelle Lefebvre, directrice adjointe du foyer d’accueil médicalisé (FAM) La Margotière. Une démarche qui a concerné tous les personnels, y compris les services administratifs et techniques. « Les secrétaires et les chauffeurs sont souvent en contact avec les usagers, ils reçoivent beaucoup de confidences dont ils ne savent pas toujours quoi faire, ils ont donc pu bénéficier de cette sensibilisation, sous une forme adaptée », précise Nancy Couvert.

Huit professionnels volontaires ont suivi des formations spécifiques afin de pouvoir animer des groupes de parole ou des ateliers avec les usagers sur l’éducation à la sexualité. « Ces réunions permettent de lever les tabous et de poser des mots sur le vécu, confie Catherine Baudet, éducatrice au pôle Accompagnement à la parentalité du SAVS et chargée d'un groupe de parole. Nous aimerions que d'autres collègues soient formés pour en animer d'autres ! »

En outre, toujours sur la base du volontariat, huit groupes de travail thématiques (« corps et estime de soi », « le couple », « les écrits », « la prévention »…) ont fait des propositions, qu'ils ont soumises au comité de pilotage. Pour celles validées, de nouveaux groupes transversaux ont planché sur leur concrétisation. Toute une palette d’outils ou d’actions a ainsi vu le jour. Comme le pôle Ressources à disposition des professionnels au siège de l'association depuis mars 2013, sorte de centre de documentation sur la vie affective et sexuelle. Autre initiative : un colloque organisé en mai dernier sur le sujet qui a fait intervenir professionnels et experts, et auquel de nombreux établissements de la région ont assisté. Un levier qui s’est avéré particulièrement fédérateur. « Je l'ai vécu comme le point d'orgue de la démarche, les actes du colloque constituent un outil à part entière », commente Vincent Rouyer, éducateur spécialisé au foyer d'hébergement. L’occasion aussi de présenter la comédie musicale Le train des désirs, interprétée notamment par 19 usagers acteurs-chanteurs et mise en scène par des professionnels du théâtre. Toujours à destination des résidants, la « Semaine de l’attachement » a lieu aux alentours de la Saint-Valentin et laisse le champ libre à la créativité de tous à travers différentes manifestations (lâcher de ballons, diffusion de films, expositions, etc.).

Parmi les autres outils essentiels destinés aux professionnels, aux usagers et aux familles, une « charte de reconnaissance de l’accompagnement de la vie affective et sexuelle » a été rédigée par un groupe de travail participatif et validée par le conseil d’administration. « Ce texte nous permet de prendre du recul en posant le cadre juridique et éthique, il légitime notre parole », se félicite Émilie Dufossé, éducatrice spécialisée au foyer de vie. « Nous pouvons poser les choses sans que les familles ne se sentent visées », renchérit son collègue Vincent Rouyer. Un confort également apporté par le guide sur le thème des personnes en situation de handicap, élaboré par des professionnels.

Des équipes bienveillantes

Trois ans et demi après le lancement de la démarche, le bilan est très positif. « Nous avons changé notre regard sur le travail des collègues des autres structures, souligne Vincent Rouyer. Nous sommes plus en lien avec l'établissement et service d’aide par le travail (Esat) par exemple. » « Il y a eu d'énormes progrès réalisés par rapport à l'écoute des personnes accueillies, souligne Érika Déhais. Les professionnels comprennent que l'accompagnement commence par là et que les usagers peuvent trouver leurs propres réponses et être entendues dans leur frustration. » Ainsi, au sein du FAM, l'équipe a accompagné un couple qui souhaitait avoir une relation sexuelle. « Nous avons pris le temps d'évaluer ce désir chez chacun, mais aussi les risques que cela comportait, notamment en raison de leur appareillage médical, souligne Emmanuelle Lefebvre. Tout a été mis en place mais finalement les personnes n'ont pas souhaité que la relation ait lieu. » Du côté du SAVS, les professionnels avouent être beaucoup moins critiques qu'auparavant : « Notre rôle est de les accompagner quoi qu'il arrive, nous avons moins peur pour eux à l'annonce d'une grossesse par exemple », confie Catherine Baudet.

Une expertise à partager

Autre bénéfice non négligeable, la reconnaissance du travail mené par les différents acteurs locaux. « Nos partenaires comme la protection maternelle et infantile (PMI) ou l'aide sociale à l'enfance (ASE) ont été sensibilisés, notamment grâce au colloque », indique Nadia Leborgne, éducatrice au SAVS. Deux associations du territoire se sont par ailleurs rapproché de l'APEI afin de bénéficier de son expertise sur le sujet. « Nous réfléchissons à mettre nos outils et notre réseau d'experts à leur disposition », précise Nancy Couvert. Pour l'association, la démarche a également permis de s'adresser au grand public. « Nous sommes estimés à l'échelle locale et il y a pour nous un réel enjeu de reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap », insiste la directrice. Seul bémol pour l'équipe de direction et les professionnels : le temps nécessaire pour faire adhérer toutes les familles, certains parents étant parfois réticents à admettre l'importance du sujet pour leurs enfants devenus adultes… Malgré tout, forte de son expérience, l'APEI souhaite poursuivre la réflexion au sein des établissements pour enfants. Dans un souci de prévention.

 

Catherine de Coppet

« Des parents rassurés et entendus »

Philippe Grosset, vice-président de l’APEI de la région Dieppoise

« Ma fille de 36 ans, trisomique, travaille à l'Esat depuis plusieurs années. En tant que parent, j'étais favorable au projet sur la prise en compte de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Nous sommes confrontés à la frustration de nos enfants. Or, la majorité d'entre nous ne sait pas aborder ces questions avec eux, sans parler de la peur qu’une une fois adultes ils commettent des actes irresponsables ou soient victimes d'abus. Au final, le programme a rassuré les parents, car désormais les professionnels sont formés à cette question. L'ambiance s'en ressent. Nous avons désormais des références communes, les familles peuvent être entendues. »

Feuille de route

• S’assurer que le projet institutionnel est de grande envergure et porté par l’équipe de direction.
• Garantir la participation de tous (professionnels, usagers, familles)
• Procéder avec méthode (questionnaires, groupes de travail, comité de pilotage).
• Traduire concrètement le fruit des réflexions collectives.
• Réaliser des points d’information réguliers sur l’avancée du projet afin de tenir la distance et maintenir l’engagement de tous.
• Être prêt à financer quelques actions clés sur ses fonds propres, ou sinon rechercher de façon active des subventions.

En chiffres

Le secteur Adultes de l’APEI
7 structures : 1 Esat, 1 foyer d’hébergement, 1 SAVS, 1 foyer de vie, 1 FAM, 2 ateliers de jour (dont un médicalisé)
200 salariés, environ 55 professionnels volontaires pour animer
les groupes de travail
280 adultes en situation de handicap accompagnés
19 usagers participant à la comédie musicale
87 professionnels hors APEI ont participé au colloque
Financement de la comédie musicale et du colloque : 19 000 euros (10 000 euros de la Fondation de France et 9 000 euros de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA)

Contact 

Secteur Adultes de l'APEI : 02 32 90 55 00

Publié dans le magazine Direction[s] N° 126 - décembre 2014






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