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Obligation vaccinale
Faut-il suspendre les agents publics en congés pour raison de santé ?

18/10/2021

Cette question n’est, à ce jour, juridiquement pas tranchée. La rédaction des dispositions législatives concernant l’obligation vaccinale prête à interprétation et les jugements des tribunaux administratifs, dans le cadre de procédures d’urgence, sont discordants. Avant de suspendre un agent public en congés pour raison de santé, et d’interrompre sa rémunération, il est nécessaire de connaître les risques juridiques et les possibilités d’action.

L’article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire dispose que doivent être vaccinées, sauf contre-indication médicale reconnue, contre le Covid-19 « les personnes exerçant leur activité » dans les établissements de santé ainsi que les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). L’article 14 de cette même loi établit ensuite qu’à compter du 15 septembre 2021, les agents publics des structures précitées « ne peuvent plus exercer leur activité » s’ils n’ont pas justifié des éléments relatifs à l’obligation vaccinale. Il est ensuite précisé que dans ce cas, la fonction ou le contrat de travail « est suspendu » et qu’il y a une « interruption du versement de la rémunération ».

L’application de ces dispositions pose une difficulté majeure : celle de leur articulation avec le droit à des congés pour raison de santé des agents publics et à l’application des régimes juridiques protecteurs qui en découlent [1]. De nombreux établissements sont en effet confrontés à des cas d’agents, titulaires ou contractuels de droit public, en arrêt maladie, antérieurs ou postérieurs au 15 septembre 2021, et ne justifiant pas du respect de l’obligation vaccinale. Doivent-ils être maintenus en congés pour raison de santé, et bénéficier du régime juridique qui en découle, ou être suspendus sans versement de leur rémunération ?

Un risque juridique

Sur le terrain, depuis le 15 septembre, des agents justifiant d’arrêts de travail ont été suspendus par décision de leur administration. Des tribunaux administratifs (TA) ont alors été saisis de certaines de ces décisions dans le cadre de référés suspensions [2]. En l’occurrence, les positions des TA en la matière sont discordantes et il y a un véritable débat juridique. Et par conséquent, un risque juridique.

En effet, à titre d’illustration, le TA de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise-Yvelines) [3] a jugé qu’un agent placé en congé maladie le 15 septembre 2021 ne pouvait légalement être suspendu avec interruption du versement de son traitement pour non-respect de l’obligation vaccinale. Pour le juge administratif, « les dispositions précitées de l’article 14 de la loi du 5 août 2021 qui permettent à l’employeur d’interdire à un agent public hospitalier soumis à l’obligation vaccinale d’exercer son activité et d’interrompre sa rémunération tant qu’il n’a pas présenté l’un des documents mentionnés au I de l’article 13 ou, à défaut, au A, puis au B, du I de l’article 14 de cette loi, ne trouvent pas à s’appliquer à l’agent qui, placé en congé maladie à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions, n’est pas en mesure d’exercer son activité. Elles ne légifèrent pas non plus, en tout état de cause, sur les droits acquis au titre de l’avancement par un agent public hospitalier durant la période de suspension de ses fonctions ». Il a alors décidé que bien que « soumis à l’obligation vaccinale », l’agent « se trouvait, du fait de son arrêt de travail, dans l’impossibilité d’exercer effectivement son activité et n’était, ainsi, pas tenu de fournir à son employeur les documents » relatifs à la vaccination. Dans cette ordonnance, le juge a fait prévaloir le droit aux congés pour raison de santé sur l’obligation vaccinale du personnel des établissements de santé.

Les règles spéciales dérogent aux règles générales ?

Toutefois, tous les magistrats administratifs ne sont pas du même avis.

En effet, dans une ordonnance du 11 octobre 2021, le tribunal administratif de Besançon a quant à lui jugé l’inverse en considérant que « d’une part, les dispositions du 2° de l’article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ne font par elles-mêmes pas obstacle à l’application, pour les fonctionnaires bénéficiant d’un congé de maladie, d’une législation spécifique subordonnant le maintien de leurs droits, et en particulier de leur droit à rémunération, au respect d’autres conditions. D’autre part, la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 n’a pas opéré de distinction, s’agissant de l’obligation vaccinale qu’elle édicte, selon que les fonctionnaires concernés seraient, ou non, en congé de maladie. Ainsi, lorsque des fonctionnaires bénéficiaient, à la date du 15 septembre 2021, d’un congé de maladie mais n’ont pas justifié, à cette même date, avoir satisfait à l’obligation vaccinale contre la Covid-19 alors qu’ils y sont soumis, l’administration a le droit de les suspendre de leurs fonctions et d’interrompre le versement de leur rémunération.[4] »

En l'espèce, pour faire prévaloir l’obligation vaccinale sur le droit au régime juridique des congés pour raison de santé, le juge semble avoir appliqué l’adage « les règles spéciales dérogent aux règles générales ».

Seuls le Conseil d’État, en tant que juge de cassation, ou le législateur seront en mesure de trancher ce débat juridique. En effet, ce dernier pourra intervenir rapidement pour préciser la notion jusqu’alors employée « d’exercice de l’activité » qui en l’état est sujette à interprétation. Il faudrait alors qu’il précise si cette obligation s’impose seulement aux agents en mesure d’exercer « effectivement » leur activité, comme en a jugé le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ou si elle s’impose à l’ensemble des agents en position d’activité, ce qui inclut ceux en congés pour raison de santé, comme en a jugé celui de Besançon.

Chefs d’établissement, que faire ?

En tout état de cause, il n’est pas question, ici, d’en débattre, mais d’exposer les alternatives juridiques dont disposent les chefs d’établissement en l’état du droit. Ainsi, dans ce contexte, il faut avoir conscience que la suspension d’un agent en congés pour raison de santé présente un véritable risque contentieux. En outre, dans une démarche rigoriste et dans un souci de respect du principe d’égalité de traitement des agents, il faudrait alors appliquer le même régime à l’ensemble des agents en congés pour raison de santé, y compris ceux en congés de longue maladie, de longue durée, pour invalidité temporaire imputable au service (Citis) de longue date… Et contrôler, pour chacun, le respect de l’obligation vaccinale. Dernier point : une telle position peut avoir des conséquences néfastes par le maintien d’un dialogue social au sein de l’établissement.

Opter pour une contre-visite médicale

Une alternative est celle de ne pas suspendre les agents concernés, mais de procéder au contrôle de leurs arrêts maladie. En effet, il est rappelé que les bénéficiaires d'un tel congé doivent se soumettre au contrôle exercé par l’administration qui l’emploie et que cette dernière peut faire procéder, à tout moment, à la contre-visite de l'intéressé par un médecin agréé. L’agent est alors dans l’obligation de s'y soumettre, sous peine d'interruption de sa rémunération [5]. Il est également précisé que le refus répété des contrôles médicaux, non justifié par des raisons médicales ou matérielles, peut conduire à la prononciation d’une radiation des cadres et le licenciement pour abandon de poste dans le respect, évidemment, de la procédure qui en découle.

[1] Article 21 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 pour les fonctionnaires hospitaliers, article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour les fonctionnaires territoriaux

[2] Code de justice administrative, article L521-1

[3] TA Cergy-Pontoise, ordonnance du 4 octobre 2021, n° 2111794

[4] TA Besançon, ordonnance du 11 octobre 2021, n° 2101694

[5] Notamment l’article 15 du décret n° 88-386 du 19 avril 1988 pour les fonctionnaires hospitaliers.

Pauline Delentaigne-Leroy, avocate au barreau de Lille






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