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Prix de la rédaction de Direction[s]
Et si nous devenions (enfin) des créateurs du futur !

02/12/2015

Être directeur en 2025. C’est le thème du premier Prix de la rédaction décerné à Stéphane Durécu et Emmanuel Richin, lors de la cérémonie du Trophée Direction[s] 2015. Selon ces professionnels, les dirigeants de demain devront sortir de leur zone de confort, accepter la complexité et rendre leurs organisations agiles. Afin de contrôler l’avenir.

Stéphane Durécu (Anpaa)

Le secteur social et médico-social fait face à de profondes mutations qui nous plongent dans un contexte contraint et en permanent changement. Les directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et les organisations qu’ils managent, sont également soumis à cet environnement imprévisible sur de nombreux plans : financier, social, politique… et qui rendent l’avenir profondément incertain. Dans ce cadre, il apparaît difficile de s’orienter, décider, se déterminer pour une direction programmée de l’action et pour l’avenir. Ce qu’il faut entendre et comprendre dorénavant avec le philosophe Laurent Bibard c’est que « l’action est non signifiante, est parfois sans langue connue pour l’avenir, que les décisions prises n’ont pas même d’issue estimable en termes de probabilité, et que quand bien même cela serait le cas à tout le moins à première vue, ce serait une illusion que de se satisfaire de cette première approche ». L’instabilité est devenue la règle. Face à cette contrainte forte, les changements s’accélèrent, se multiplient faisant de la capacité d’adaptation un enjeu où l’anticipation, la coordination et la qualité du pilotage sont les clés d’une maîtrise d’une bonne gestion (à moindre risque).

La complexité, défi à la pensée binaire

L’incertitude est donc devenue notre compagnon de route et, comme le rappelle le théoricien Peter Drucker, « il est futile de croire que demain sera comme hier, seulement un peu plus ». Tout en ne pouvant s’empêcher de penser qu’il sera plutôt moins que plus… Or, cette incertitude croissante alimente spontanément une inquiétude à l’égard de l’avenir. En tant que directeur, nous avons des défis à relever qui s’inscrivent d’emblée dans la complexité. Celle-ci « ne peut qu’exprimer notre embarras, notre confusion, notre incapacité de définir de façon simple, de nommer de façon claire, de mettre de l’ordre dans nos idées » pour reprendre les mots d’Edgar Morin. Replacée dans un cadre managérial, la complexité n’est pas « la » clé mais bien plus une bravade, celle des directeurs d’ESSMS et au-delà, de tous les acteurs du secteur. Cela doit nous obliger à penser et à voir les choses différemment. Cette complexité est un défi à la pensée binaire trop souvent mobilisée, par souci de rationalisation, de temps, mais aussi soyons honnêtes, par peur de sortir de notre zone de confort, par paresse intellectuelle et également par déficit de vision sur le long terme. Au contraire, nous devons faire un effort de réflexion, de contextualisation, de mise en relation du séparé, être prêt à quitter notre vision compartimentée, schématique, simplifiée et être prêt à prendre des risques, à nous mettre en danger pour aborder une réalité dont la complexité ne saurait être excessive. Nous devons accepter la complexité et l’intégrer car nos organisations sont plurielles, imprévisibles et variées.

Combattre les routines qui nous figent

Le secteur fait face à une dualité de tension entre court et long terme. Le court terme nous oblige à l’exigence de performance, au maximum des possibilités de nos organisations, immédiatement, continuellement, de le prouver et le montrer. Tandis que le long terme renvoie à l’incertitude, le non-contrôle, la durabilité. Ce court terme nous oblige, nous directeurs, à conduire nos organisations dans la répétition d’une performance du court terme. Or, cette posture immobilise progressivement aussi bien les professionnels que les organisations. Notre responsabilité de directeur est de favoriser le management du court terme autant que possible et à tous niveaux, complété par une vision, une ambition, un cadre pour le long terme. Ainsi que par une capacité d’adaptation structurelle à intégrer ce qui est réellement nouveau, émanant de l’environnement externe et interne.
Nous devons nous confronter à la réalité de nos organisations (au sens de l’ensemble des stratégies d’acteurs) et les amener à devenir agiles [1]. Cette agilité doit être une capacité de réponse intentionnellement recherchée que nous devons développer afin d’agir efficacement dans cet environnement complexe, turbulent et incertain. Nous devons combattre ces routines organisationnelles qui nous figent, nous neutralisent, et nous rendent incapables de percevoir les opportunités du long terme. Autrement dit, la durabilité du développement du secteur social et médico-social n’est possible que si les directeurs sont capables, tôt ou tard, de mettre en question le fonctionnement, les orientations, les processus internes, les objectifs et permettre à nos organisations de s’adapter d’une manière ou d’une autre aux changements imposés par l’environnement. Il est de notre responsabilité d’organiser le changement mais surtout la durabilité de nos organisations et de notre secteur d’intervention.

L’innovation oui, mais de rupture

Ce changement annoncé fait écho à la notion de rupture, chère aux deux enseignants-chercheurs David Autissier et Jean-Michel Moutot, nécessitant de penser au-delà des schémas habituellement mobilisés par l’organisation et parfois même par le champ dans lequel elle évolue. Le changement peut se décréter et souvent au sein des organisations, il est annoncé. C’est le directeur qui donne le cap du changement qui se traduit sur un plan cognitif par la prise de la première parole définissant le but à atteindre et la mise en ordre. Or, nous ne pouvons pas connaître l’avenir et cette incertitude vaut pour l’immédiateté. Nous ne pouvons pas connaître non plus à l’avance l’écosystème dans lequel nos organisations vont évoluer. L’injonction du changement tend ainsi à orchestrer un changement programmé, un changement sans rupture et donc à s’inscrire dans des procédés déjà maîtrisés, éprouvés voire dépassés. L’innovation devient un besoin pour survivre, pour penser de nouveaux modes de fonctionnement et d’organisation, d’imaginer des services correspondant aux évolutions de nos publics. Cette innovation doit selon nous se faire en rupture.
Celle-ci s’oppose à l’innovation incrémentale qui consiste à constamment, et imperceptiblement, améliorer un produit, un service ou un procédé. Celle-ci est généralement conduite par les acteurs en place qui essaient, sans prendre de grands risques, de faire évoluer l’offre afin de rester compétitif. L’innovation incrémentale est plus accessible et moins risquée et repose habituellement sur les compétences maîtrisées par nos organisations. Le parallèle avec le secteur est assez aisé à faire. On note bien la nécessité de changer et de faire rupture avec le passé voire le présent car l’innovation incrémentale (aussi appelée ordinaire) ne permet plus de faire face aux nombreuses transformations majeures qui bouleversent le secteur social et médico-social.

Passer d’un “pouvoir sur” à un “pouvoir avec”

La complexité, pour Edgar Morin, appelle la stratégie qui seule permet d’avancer dans un environnement incertain et ouvrir le chemin des possibles. Or, définir une stratégie n’est pas imposer une vision, mais plutôt de mettre nos collaborateurs sur une voie. Notre tâche principale est de libérer nos organisations et les hommes qui les composent pour permettre une responsabilité commune, un pouvoir partagé. Nous devons créer des espaces où l’innovation peut avoir lieu, et ainsi passer d’un pouvoir sur (ou du pouvoir contre) à un pouvoir avec les parties prenantes, au lieu de les en exclure. Le pouvoir est à entendre au sens « follettien » [2], c’est-à-dire la possibilité de provoquer les choses, de faire, de changer et d’innover. Dans ce sens, le rôle du directeur est de faire émerger ce pouvoir chez les autres permettant « que les choses se réalisent avec efficacité et dans le cadre d’une collaboration mutuellement profitable ». Le directeur doit anticiper le futur, aller au-delà de la rencontre avec le long terme mais essayer de le contrôler. En effet, l’orientation, le sens à prendre, vient de la situation elle-même. Comme dans un match de tennis, « chaque coup joué est la réponse à une situation nouvelle créée par le partenaire qui, lui-même répondait au coup qu’il avait reçu. Pour Mary Follett, rien dans la vie ne peut se résumer à une simple relation stimulus-réponse. En effet, selon elle, le stimulus est toujours modifié par la réponse. C’est une interaction qui se tisse de façon invisible. Chacun y apporte ses connaissances, ses valeurs, ses désirs, ses intérêts et ses propres réactions à son environnement. Chaque cas ou chaque échange est alors inédit. » En tant que directeurs, nous avons le devoir de dépasser la réponse simple (voir simpliste) et de veiller à ce que nos actions s’inscrivent dans des perspectives futures. Dans ce principe, la coopération avec les parties prenantes est essentielle car elle permet de libérer plutôt que d’asservir. Et ici de souligner que ces parties prenantes comptent les usagers de nos institutions. Nous devons les associer, dans une relation gagnant-gagnant, car l’innovation, nous en sommes convaincus, viendra de notre capacité à coconstruire le futur.

Heureux qui comme Ulysse…

Le directeur va devoir (re)conquérir et s’approprier de nouveaux territoires de pensées, afin de pouvoir reconstruire une fonction malmenée. Dans une approche follettienne, le directeur est un « doer », un faiseur, un jardinier, un bricoleur courageux, aussi bien fruit de son environnement que créateur de son environnement, où chacun (professionnels, usagers, partenaires) est un citoyen de l’organisation, capable de faire et de contribuer à la définition de l’avenir, dans une réciprocité et une vision partagée. Car c’est de la diversité que va naître cette vision d’ensemble. Le directeur doit anticiper le futur, non pas en essayant d’aller à sa rencontre, mais en essayant de le contrôler. Nous avons pour devoir d’être des leaders invisibles, des cocréateurs de possibles, en veillant à donner du sens à nos actions. Nous ne pouvons plus rester passifs. Nous devons agir maintenant pour demain. Et comme Ulysse, cette quête est semée d’épreuves que nous ne pourrons relever que collectivement, avec nos équipes, nos partenaires, en lien et avec les publics que nous accompagnons au quotidien.

[1] Selon le concept d’agilité organisationnelle, l’amélioration incrémentale du système de production de masse ne peut suffire face à l’évolution de la concurrence, qui a développé un haut niveau de flexibilité. Un système productif renouvelé, se fondant sur l’agilité organisationnelle, doit donc voir le jour pour répondre aux nouveaux facteurs de compétitivité.

[2] Mary Parker Follett (1868-1933), pionnière du management et de la théorie des organisations.

Stéphane Durécu et Emmanuel Richin

Carte d’identité

Stéphane Durécu, directeur régional de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) Haute-Normandie

Emmanuel Richin, directeur régional Anpaa Auvergne

Publié dans le magazine Direction[s] N° 137 - décembre 2015

Images

Stéphane Durécu (Anpaa)

Emmanuel Richin (Anpaa)






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