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Mineurs isolés étrangers
L'épreuve de force est engagée

07/12/2011

La question de la prise en charge des mineurs isolés étrangers fait, à nouveau, irruption dans les relations – déjà tendues – entre l'État et les départements. Les deux camps se renvoient à leurs responsabilités respectives.

Seine-Saint-Denis : 1, État : 0. L'ultimatum posé par le président du conseil général de Seine-Saint-Denis (93), Claude Bartolone, a payé. Après des semaines de bras de fer (1), le ministère de la Justice a donc fini par proposer un règlement local dans l'épineux dossier des mineurs isolés étrangers (MIE) – destiné à desserrer l'étau qui pèse sur l'aide sociale à l'enfance (ASE). Une solution individuelle, qui donne déjà des idées aux autres départements dans une affaire qui les oppose, depuis des années, à l'État…

Croissance exponentielle

Quelque 6 000 MIE sont présents sur le territoire. Seuls ou en groupes, ils peuvent être l'objet de tous les trafics. Une fois repérés, ils sont bien souvent confiés aux services départementaux de la protection de l'enfance. Et ce, avant toute décision judiciaire. Ces quinze dernières années, leur nombre a connu une croissance exponentielle, pesant ainsi plus lourdement sur les budgets des collectivités. Qui interrogent : De qui doit dépendre l'accueil de ces jeunes ? Sont-ils d'abord des mineurs, relevant de la protection de l'enfance ? Ou sont-ils avant tout des étrangers, dont le sort est régi par la législation en matière d'immigration ? Responsabilités régaliennes contre compétences dévolues par la loi. Pour Jean-Louis Daumas, directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), pas de doute : « La prise en charge et l'organisation de l'aide à leur apporter relèvent clairement de la compétence des conseils généraux. La loi du 5 mars 2007 stipule en effet que tous les mineurs en danger doivent être placés sous la protection du président du conseil général. En outre, le Code de l'action sociale et des familles précise qu'un mineur privé, temporairement ou définitivement, de la présence de ses parents doit bénéficier des services de l'ASE. Et c'est leur cas. » Pour les départements, pas question de laisser l'État "se cacher derrière son petit doigt" : ce dossier doit relever de la solidarité nationale. « La gestion du phénomène migratoire des mineurs est perçue comme une charge par les départements, dont les exécutifs ont le sentiment qu'elle leur incombe par défaut », relevait déjà en 2010 le rapport de la sénatrice UMP Isabelle Debré (2). « C'est l'État qui est compétent en matière de gestion des flux migratoires, de contrôle aux frontières ou encore de maintien de l'ordre public, pas les départements !, s'agace Jean-Louis Tourenne, président du conseil général d'Ille-et-Vilaine (35). C'est également lui qui est signataire de traités internationaux, comme la Convention des droits de l'enfant. Il ne peut pas juste nous laisser gérer seuls cette situation. » Jean-Pierre Hardy, chef des politiques sociales à l'Assemblée des départements de France (ADF), renchérit :« L'État a une indéniable responsabilité à assumer. Soit il met en place un dispositif d'accueil conséquent, en lien avec la PJJ. Soit il décide de faire appel aux conseils généraux. Dans ce cas, à lui de les dédommager et de répartir l'accueil sur le territoire. »

Soutien et équité

Car, de fait, seule une poignée de départements concentrent l'essentiel des MIE. Ces collectivités réclament donc du soutien. « Il y a de légitimes besoins de mutualisations et de péréquations, reconnaît Jean-Pierre Rault, vice-président Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso). Toutefois, attention à ne pas créer pour eux un statut d'exception au sein de la politique d'aide sociale. » C'est pourtant le sens de la solution trouvée en Seine-Saint-Denis, où près de 1 000 MIE sont accueillis par l'ASE. Coût de la facture en 2011 : 42 millions d'euros. « Nous avons imaginé de répartir l'accueil entre le 93 et 21 départements du grand bassin parisien, explique Jean-Louis Daumas. Sans omettre de prendre en compte le poids pris par ces MIE dans ces départements, certes concernés eux aussi, mais dans une moindre mesure. » Concrètement, le Parquet de Bobigny, une fois saisi, prononce une ordonnance de placement provisoire, tout en se dessaisissant au bénéfice d'un autre. Ce, dans neuf cas sur dix. Les mineurs concernés (25 depuis le mois d'octobre) sont alors conduits dans un établissement relevant de l'ASE du département désigné. Du côté de Bobigny, on se félicite : « Cela a montré à tous que, à droit constant, on pouvait construire une solution », souligne Erwan Katter, conseiller technique en charge du pôle Solidarité au conseil général. Cet enthousiasme est loin de faire l'unanimité. « Ce n'est rien moins qu'un accord en trompe l'œil, assure le directeur général de France terre d'asile, Pierre Henry. Il ne peut pas fonctionner, car il n'inclut pas toutes les parties concernées. » Avis partagé par Jean-Louis Tourenne. Mais qu'importe, la décision est prise là-bas aussi : le 1er janvier prochain, tous les MIE d'Ille-et-Vilaine pourraient bien, eux aussi, trouver portes closes.

Tâche d'huile ?

Le 93 a donc fait des émules. « Cela confirme bien la nécessité de réunir autour de la table l'ADF et l'ensemble des ministères pour penser une solution pérenne, respectueuse de l'intégrité de ces mineurs », reconnaît Jean-Louis Daumas. La question du financement devrait être au menu des discussions de la future réflexion interministérielle, récemment annoncée par le Garde des sceaux. En la matière, l'ADF plaide pour la création d'une section budgétaire au sein du Fonds national de protection de l'enfance (défini par la loi de 2007) susceptible d'être mobilisée pour les départements concernés. Des amendements en ce sens devaient être déposés dans le cadre de l'examen des projets de lois budgétaires pour 2012.
Un règlement national de ce dossier est-il possible ? Difficile, notamment en ces temps de finances publiques contraintes. « Les MIE vont-ils devenir des variables d'ajustement sur les dépenses sociales ? », s'interroge France terre d'Asile. Le risque est réel, accorde Jean-Pierre Rault : « Leur prise en charge ne peut reposer uniquement sur quelques départements. Cela amènerait ces mineurs à "payer les pots cassés" d'un manque de solidarité nationale. »
Dans tous les cas, la question requiert… calme et sang froid, souligne le secteur associatif. « Même si les arguments des départements sont légitimes, attention à la méthode, susceptible d'ouvrir une boîte de Pandore, prévient encore Pierre Henry. Le thème de l'immigration ici en jeu doit être manié avec finesse afin de ne pas alimenter un éventuel climat xénophobe. »

« L'important, c'est qu'il y ait un pilote dans l'avion », plaide Jean-Pierre Rault. Pointant ainsi le manque de coordination nationale (lire l'encadré à gauche). Reste que le dossier ne peut qu'être envisagé sous un angle européen. Des critères de convergence restent à trouver au sein de l'Union, plaide Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape) : « Le sujet dépasse nos frontières. Nous avons besoin d'un plan européen d'accueil, d'orientation et de prise en charge, aux bases et aux responsabilités clairement établies. »

(1) Lire Direction(s) n° 89, p. 8
(2) Les mineurs isolés étrangers en France, rapport au Sénat, mai 2010, lire Direction(s) n° 75, p. 6

Gladys Lepasteur

L'action de l'État coordonnée

Il y a un an, le 30 décembre 2010, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) s'est vue confier par le Premier ministre une mission de coordination de l'action de l'État au profit des mineurs isolés étrangers. Une décision conforme aux préconisations émises par la sénatrice UMP Isabelle Debré, récemment appuyées par le Défenseur des droits, Dominique Baudis(1). Cette action de coordination s'est traduite par la création, dans près de la moitié des départements, d'une plate-forme d'accueil et orientation de ces mineurs, associant, sous l'égide d'un cadre de la PJJ, l'ensemble des services de l'État concernés par ce dossier (notamment ceux relevant de la Cohésion sociale). Et ce, en lien avec le préfet. En outre, une chefferie de projet a été mise en place au sein de la DPJJ. Sur sa feuille de route notamment ? La mobilisation de fonds européens, susceptibles de financer divers programmes, et l'amélioration de la formation des administrateurs ad hoc.

(1) Enfants confiés, enfants placés : défendre et promouvoir leurs droits, rapport 2011.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 91 - janvier 2012






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