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Tribune de Bernard Cavat
« Réaffirmons le fait démocratique associatif »

06/05/2013

Comment lutter contre l’instrumentalisation des associations ? Comment réaffirmer leur légitimité de coconstructrices des politiques sociales ? En mobilisant les professionnels autour du projet associatif et en les reconnaissant comme de véritables acteurs, dans une visée de transformation sociale.

Bernard Cavat, directeur général de l’Apsi et secrétaire général du GNDA

Les associations d’action sociale sont au service de l’intérêt général et, de ce fait, parties prenantes de la solidarité nationale. La clarification du rôle des bénévoles et des salariés, leur complémentarité reconnue dans la gouvernance associative, ainsi que la mobilisation spécifique des salariés à un projet de transformation sociale sont les enjeux actuels d’une coconstruction des politiques sociales, revendiquée par le secteur associatif.

Les logiques gestionnaires et sociétales de celui-ci dans les champs du social, du médico-social et du sanitaire ne sont pas contradictoires. Cette dualité assumée est à l’origine du développement d’un secteur non lucratif fer de lance des politiques publiques dans tous les domaines qui concernent le « mieux vivre ensemble ». Mais nous assistons aujourd’hui à un risque d’instrumentalisation par les pouvoirs publics des associations d’action sociale autour de leur savoir-faire d’entreprenariat social et de gestion de structures. La législation et la réglementation de ces dernières années, en les renvoyant à un statut de simples « prestataires de service », dénient leur légitimité politique de représentation de la société civile et de vecteur de la transformation sociale en faveur de plus de solidarité. Réaffirmer avec force le fait démocratique, c’est-à-dire que les associations de solidarité sont structurellement des espaces publics autonomes nécessaires à penser et à vivre autrement le « faire société », c’est poser la question du politique. Les associations exercent-elles un rôle politique dans la société et, pour ce faire, sont-elles porteuses d’une dimension de mouvement [1] ?

Une fonction tribunitienne à réinvestir

Ce rôle politique se caractérise comme une action sur les orientations de la société que l’on peut analyser au moins dans trois domaines complémentaires.  

Dans la sphère sociale, l’association assume une visée de transformation sociale au nom de critères de justice sociale. À ce titre, il convient d’insister sur l’importance de la fonction tribunitienne du secteur ; c’est-à-dire sa capacité à alimenter le débat public sur d’autres modèles du « vivre ensemble ». Soit, littéralement, « mettre en débat » les points aveugles et les impasses de certaines politiques sociales incohérentes ou devenues obsolètes, ou bien encore les difficultés rencontrées au quotidien par les travailleurs sociaux dans leur rapport aux usagers, particulièrement lorsque la pertinence des actions se trouve interrogée. Encore faut-il que l’association s’organise pour être à l’écoute des analyses portées par les acteurs de terrain et qu’elle assume la prise de risque que représente l’interpellation et la prise de position publiques.

Dans la sphère économique, sa place pleine et entière dans l’économie sociale et solidaire (ESS) est déterminante : la promotion de la non-lucrativité et l'exemplarité de la gouvernance démocratique doivent être mises en avant comme des critères d’efficacité dans la réalisation de ses missions d’intérêt général. L’apport du bénévolat, sous forme d’économie non marchande, doit être valorisé dans l’analyse budgétaire et financière de la gestion associative [2]. L’implication et la mobilisation des salariés, autour du projet commun associatif, représentent également une plus-value considérable.

Enfin, dans la sphère politique, l’association porte une conception de la démocratie concrètement mise en actes, que ce soit dans son modèle même de gouvernance associant l’ensemble des parties prenantes (bénévoles, usagers, salariés, partenaires) ou dans le fonctionnement de ses instances statutaires souvent associées à de véritables exercices de transparence dans la délibération participative des différents acteurs.

Une volonté commune de changement

Dès lors, qu’en est-il de la dimension « mouvement » des associations ? Des conditions d’adhésion des acteurs et d’institutionnalisation de leurs rapports afin que le rôle politique de l’association participe de sa légitimité ? Si cette notion suppose la capacité à assumer critique sociale et invention de la société, elle repose avant tout sur des interactions entre acteurs associatifs fondées sur la militance, l’implication engagée et la mobilisation autour d’un projet commun. Celui-ci suppose un rapport à l’environnement interactif visant à modifier les représentations sociales : usager acteur de son parcours, bénévole conscient des enjeux politiques, professionnel sensibilisé aux conditions socio-économiques des rapports sociaux, etc. Ainsi, le principal ressort des « associations mouvements » serait une militance et un engagement des acteurs qui ne peuvent être analysés en seuls rôles statutaires. Il s’agit également de la subjectivité des individus mobilisés, quel que soit leur statut, dans une volonté commune de changement.

On perçoit bien, dès lors, l’enjeu que représente la place des professionnels dans cette dynamique. En effet, si l’adhésion des bénévoles est la condition même de l’existence du fait associatif, celle des salariés est autrement plus complexe en matière de gouvernance : l’investissement professionnel et technique des travailleurs sociaux et cliniciens au sein des associations est une chose, leur mobilisation militante dans un projet de transformation sociale en est une autre !

Cette problématique peut utilement être éclairée, en matière de politiques publiques, par les convictions de l’auteur de la circulaire de 1982 sur les orientations du travail social, Nicole Questiaux. Selon elle [3], « le travail social […] s’est développé autour de formations longues et pointues concernant des difficultés humaines bien spécifiques. Les travailleurs sociaux se rendent compte cependant que les solutions aux problèmes qu’ils affrontent dépendent aussi de ce qui se passe en amont et en aval de leur intervention. S’ils ne se mêlent pas de faire autre chose que ce pourquoi ils ont été formés, ça ne peut pas marcher. » Pour cela, quel meilleur espace possible d’autonomie et d’initiative professionnelles, en lien avec un projet de transformation sociale, que le cadre associatif ?

La parole aux travailleurs sociaux

Encore faut-il que l’organisation institutionnelle, dans le cadre de délégations contrôlées, autorise autonomie et initiative, que les professionnels soient associés au projet, aux instances associatives… En d’autres termes, que les conditions de mobilisation militante des salariés soient effectivement au cœur des enjeux de la gouvernance associative. Il ne s’agit pas là de simples déclarations d’intention ou du rappel de principes généraux de bonne gestion des ressources humaines. Il s’agit de pratiques démocratiques dont le maître-mot pourrait être la reconnaissance pleine et entière des professionnels comme acteurs et promoteurs du projet associatif ! Plusieurs conditions à cette reconnaissance : les associer à toute élaboration ou réécriture du projet associatif, favoriser leur participation aux instances (conseil d’administration, assemblée générale), tenir compte et exploiter leur capacité d’expertise concernant les besoins sociaux constatés sur le terrain, développer des dynamiques d’évaluation interne et externe réelles, autoriser autant que possible l’expression publique de ces professionnels à la liberté de parole souvent trop limitée…

Au-delà des principes démocratiques de la gouvernance associative, la reconnaissance du rôle singulier des travailleurs sociaux dans le « faire société ensemble » doit être également porté par les pouvoirs publics. On leur demande en effet d’être à la fois experts des dispositifs, capables de construire des réponses individualisées (en prenant appui sur les compétences, les attentes et le rythme de l’usager), efficaces dans le traitement de masse des demandes et capables de s’inscrire dans des démarches collectives de développement social territorial. C’est sur l’analyse et le constat de cette réelle complexité que le Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale vient d’être arrêté. À ce titre, organiser des assises de l’intervention sociale et mener une campagne de promotion des métiers du travail social nous semblent aller dans le sens de cette reconnaissance.

Enfin, les associations de solidarité prêtes à valoriser la dimension de « mouvement » qui les structure, devron se mobiliser dans la revendication d’une convention collective unique des champs sociaux, médico-sociaux et sanitaires, seule à même de sécuriser une culture professionnelle aujourd’hui déstabilisée par des risques concrets de paupérisation pour les salariés les moins qualifiés de notre branche professionnelle.

Mobiliser les professionnels du secteur sur les enjeux de promotion de la solidarité passe, comme nous l’avons vu, par leur nécessaire reconnaissance d’acteurs du projet associatif ce qui n’est pas incompatible avec une juste valorisation salariale de leur engagement !

[1] « Rôle politique des associations et dimension Mouvement », article de Christine Chognot, avril 2012, en ligne sur www.repolitiserlactionsociale.org

[2] Lire Direction[s] n° 107, p. 32

[3] « Il m'a paru normal de prendre du temps pour le travail social », interview de Nicole Questiaux, ASH, novembre 2012

par Bernard Cavat

Carte d’identité

Nom. Cavat

Prénom. Bernard
Fonctions.
Directeur général de l’Association de prévention, soins et insertion (Apsi), secrétaire général du Groupement national des directeurs généraux d’association (GNDA), membre du réseau « Repolitiser l’action sociale », à consulter sur  www.repolitiserlactionsociale.org

Publié dans le magazine Direction[s] N° 108 - juin 2013






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