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Salles de consommation de drogues
Une entrée vers le soin

21/06/2017

En dix mois, les deux salles de consommation à moindres risques (SCMR) de Paris et Strasbourg ont pris leurs marques. Alors qu’une troisième structure est en préparation à Bordeaux, les militants et professionnels appellent à ouvrir davantage d’espaces en France.

Le 11 octobre 2016, après d’âpres batailles politiques, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, inaugurait la première salle de consommation de drogues à moindres risques (SCMR) près de la gare du Nord à Paris, l’Espace Gaïa, géré par l'association éponyme. Trois semaines plus tard, le même dispositif expérimental ouvrait à Strasbourg, porté par l’association Ithaque. Une autre structure de ce type devrait se monter à Bordeaux début 2018. Une petite victoire pour les acteurs de la réduction des risques (RDR) qui militent en leur faveur depuis près de 30 ans. L’enjeu ? Améliorer la santé des usagers les plus précaires et réduire les dangers de l’injection en public. Si les premiers retours présentés fin mars par la mairie de Paris sont positifs, le nouveau dispositif ne peut à lui seul suffire à régler les difficultés liées à la consommation de drogues.

De vifs débats

Malgré les bons résultats des expériences étrangères, il aura fallu du temps pour permettre l’ouverture en France de ce type de lieu porté par un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques en direction des usagers de drogues (Caarud). Depuis 2009 et la mobilisation d’un collectif d’associations, les débats étaient vifs entre défenseurs de la « guerre à la drogue » et partisans de la RDR. Cette démarche entend limiter les risques liés à la consommation, sans nécessairement avoir comme premier objectif le sevrage et l’abstinence. Désormais inscrite dans la loi Santé du 26 janvier 2016, l’expérimentation doit durer jusqu’en 2022 sous la houlette de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). De son côté, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est chargé de son évaluation tant en termes de santé publique que d’acceptabilité sociale des salles et de leur impact sur la tranquillité des riverains.

Présentée comme le chaînon qui manquait dans la palette des actions existantes, l'expérimentation autorise des personnes en grande précarité à consommer leur produit stupéfiant dans des conditions d’hygiène et de sécurité satisfaisantes. « Jusqu’à présent les dispositifs permettaient aux usagers d’avoir accès à du matériel propre, mais on les laissait s’injecter du produit dans la rue avec les risques que cela comporte en matière de contamination. Une partie du gain de la RDR était perdue », explique Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. Autre intérêt : faire entrer ce public marginalisé, souvent sans domicile, dans un lieu de soin où des professionnels de santé mais aussi des éducateurs, psychologues et travailleurs sociaux, peuvent les aider à reprendre pied dans la vie. Enfin, symboliquement ces salles « donnent une place aux usagers de drogues dans la cité », tient à préciser Pierre Chappard, ancien président du Réseau français de réduction des risques, aujourd’hui président de Psychoactif, un forum d’entraide.

200 passages par jour

Le fonctionnement des salles répond à un cahier des charges national élaboré avec les associations. L’accueil par une équipe pluridisciplinaire est assuré 7 jours sur 7 tous les jours de l’année sur des créneaux correspondant aux usages (13h30-20h30 à Paris). Cinq professionnels minimum (jusqu’à neuf à Paris) ainsi qu’un agent de médiation sont présents en permanence. La circulation de l’usager est toujours la même : l’accueil où il se présente en donnant son identifiant (il peut rester anonyme) et montre son produit [1]. Il passe ensuite dans la pièce d’injection où il peut être conseillé. Et dans la salle de repos, il peut alors échanger avec les professionnels, prendre un rendez-vous avec un assistant social ou solliciter une consultation médicale.

À Paris, dès son ouverture, l’Espace Gaïa a trouvé son public avec une moyenne de 200 passages par jour (près de 700 inscrits). Après un démarrage plus progressif, « la salle de Strasbourg compte entre 50 à 70 passages et la file active est de 164 personnes. Dont près de 25 % de femmes, ce qui est très positif car elles ont besoin d’un accompagnement spécifique en termes de protection et de mise à l’abri », précise Danièle Bader, directrice de l’association Ithaque. Les modalités de consommation divergent : alors qu’à Paris les produits les plus courants sont des médicaments détournés de leur usage (comme le skénan) ainsi que le crack, à Strasbourg la cocaïne prime.

Conformément aux attentes, les objectifs en matière de prise en charge sanitaire et sociale sont remplis. « Nous recensons près de 500 consultations médicales et plus de 70 tests rapides de dépistage VIH ou VHC ont été réalisés depuis l’ouverture. Des soins sont régulièrement prodigués (plaies, abcès…) et chaque jour des usagers sont orientés vers des traitements de substitution », explique Céline Debaulieu, coordinatrice de l’Espace Gaïa. Qui a ainsi noué de nombreux partenariats avec les services des urgences, le Samu, les structures sanitaires ou sociales alentour. « Sur le plan social, il y a beaucoup à faire car le public est en grande détresse, sans droit ouvert, vivant souvent dans des cages d’escalier. Près de la moitié n’était pas connue du Caarud », précise Danièle Bader.

Et les riverains ?

Autre bilan, communiqué fin mars par la mairie de Paris : la baisse du nombre de seringues retrouvé sur l’espace public (–60 %), confirmant le déplacement des injections dites « de rue » (dans les parkings, les sanisettes ou les halls d’immeuble) vers l’Espace Gaïa. L’ouverture de la salle n’a pas pour autant résolu tous les problèmes du quartier, connu pour être le lieu de consommation le plus important de la capitale. Si un seul incident en février (une bagarre à l’entrée de la salle) a abouti à la fermeture de la salle une journée, certains collectifs de riverains dénoncent toujours vivement son implantation, mettant en avant les tensions liées aux regroupementx à proximité de la SCMR. Une affluence liée notamment au fait que « Gaïa est aussi un lieu de distribution de matériel stérile, ce qui crée beaucoup d’allers et venues », précise Céline Debaulieu. Qui ajoute que « l’équipe réalise tous les jours des maraudes pour tisser du lien avec les usagers et les inciter à venir à la salle ».

Pour permettre l’insertion de la salle dans son environnement, le cahier des charges prévoit la constitution d’un comité opérationnel permettant d’assurer la coordination entre tous les acteurs [2]. À Strasbourg, il s'agit d'une boîte mail pour alerter les partenaires en cas de problème. « Je ne l’ai utilisé qu’une fois lorsqu’on constatait un peu trop de contrôles policiers aux abords de la salle », précise Danièle Bader. À Paris, c'est un comité de voisinage qui réunit tous les six à huit semaines les riverains et les parties prenantes (Gaïa, plusieurs maires d’arrondissement, la Mildeca, l’AP-HP, les forces de police, des sociétés de nettoyage…). L’occasion de faire le point sur la fréquentation de la salle et d’entendre les questions et remarques des habitants. « Il y a des désaccords mais la discussion a lieu. La salle accompagne un public difficile qui consomme aujourd’hui dans des conditions sanitaires bien meilleures qu’avant. Le climat du quartier ne s’est pas dégradé et il y aura toujours des opposants tant que les abords de la salle ne seront pas apaisés », indique Rémi Féraud, maire du 10e arrondissement et président du comité. Pour pacifier les riverains, Gaïa envisage aussi de mettre en place des équipes de nettoyage associant les usagers.

D’autres réponses à inventer

Le « succès » de la salle parisienne montre surtout qu’elle ne suffit pas à répondre aux besoins et les professionnels comme les élus réclament déjà l’ouverture d'autres SCMR en Ile-de-France. Dans certains endroits, des structures mobiles – comme le prévoit le projet de Bordeaux – seraient plus appropriées pour aller à la rencontre des usagers qui ne sont pas fixés à un quartier. Les associations demandent aussi l'ouverture d'espaces de consommation au sein de lieux existants (un ou deux box dans un Caarud par exemple), comme le préconise la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) [3]. Plus globalement, alors que la loi Santé sécurise désormais l’intervention des professionnels dans leurs missions de réduction des risques [4], « il faut maintenant réfléchir à la façon dont on organise l’accompagnement à la consommation à moindres risques ailleurs que dans le cadre de l’expérimentation des SCMR. Il y a de nouvelles réponses individuelles et collectives à inventer pour aider les usagers à faire évoluer leurs pratiques quelles que soient leur addiction », plaide Nathalie Lacour, directrice générale de la Fédération Addiction.


[1] Une circulaire du 13 juillet 2016 du garde des Sceaux autorise la détention d’une quantité de stupéfiants destinés à une consommation personnelle au sein d’un périmètre restreint aux abords de la SCMR.

[2] Arrêté du 22 mars 2016

[3] « Usages de drogues et droits de l'homme », avis du 5 mars 2017.

[4] La loi Santé introduit une protection légale pour les intervenants en réduction des risques qui ne peuvent plus être poursuivis dans le cadre de leur mission de supervision.

Noémie Colomb

« La preuve de leur utilité par l’exemple »

Laurent El Ghozi, président de l’association Élus, santé publique et territoires

« L’engagement des maires et des élus locaux est un préalable indispensable à l’ouverture d’une salle de consommation. En 2010, nous avons organisé un séminaire de formation dans le but de permettre aux élus de décider en toute connaissance de cause. De ce travail (18 auditions d’experts et visites de salles installées à l’étranger), l’association Élus, santé publique et territoires a rendu un avis unanime en faveur de ce nouveau dispositif [1]. Aujourd’hui, l’intérêt de la salle fait relativement consensus chez les maires qui s’intéressent sérieusement à la question. Même s’ils sont contre le principe de la réduction des risques, ils ont pris conscience que cela permet d’assurer la tranquillité des habitants et d’améliorer la sécurité des villes. Pour convaincre ceux qui ne le seraient pas encore, il faut que d’autres salles ouvrent en France pour faire la preuve par l'exemple. »

[1] www.espt.asso.fr

 

Repères

  • 95 salles sont répertoriées dans le monde (chiffre en augmentation régulière). La France est le 10e pays à en ouvrir. (Source : www.salledeconsommation.fr)
  • 1,24 million d'euros : budget de l’Espace Gaïa pour 2017. (Source : ARS Ile-de-France)
  • Céline Debaulieu, coordinatrice de l'Espace Gaïa : « Plus de 600 consultations sociales pour 188 usagers (demandes de domiciliation, d’hébergement, ouverture de droits…) ont été réalisées depuis l'ouverture. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 155 - juillet 2017






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