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Violences conjugales
Amplifier la mobilisation

19/12/2019

Très impliqués dans les travaux du Grenelle contre les violences conjugales, les associations et les professionnels saluent une mobilisation inédite. Reste à savoir dans quelles conditions se traduiront concrètement les mesures annoncées.

« Les bonnes intentions ne suffisent plus. » Cette conviction, exprimée par le Premier ministre dans son discours de clôture du Grenelle contre les violences conjugales, le 25 novembre dernier, les associations la partagent et la répètent depuis des années. Quel que soit leur champ d'intervention (hébergement, aide aux victimes, protection de l'enfance, accompagnement socio-judiciaire, handicap…), c'est donc sans réserves qu'elles se sont investies dans les groupes de travail, les auditions et les événements locaux. Louant la richesse des échanges et la dynamique enclenchée, comme Mélanie Maunoury, qui dirige à Bordeaux la Maison d'Ella, un espace sécurisé de soins et d'accompagnement ouvert par le Centre d'accueil, de consultation et d'information sur la sexualité (Cacis) : « Avoir tous les acteurs autour de la table, c'était assez inédit. L'impulsion devrait désormais se prolonger dans les territoires, sous l'égide notamment des délégations départementales aux droits des femmes. »

Quid des priorités ?

La tâche en effet reste immense. Certes, le Grenelle a placé sous les projecteurs un sujet tabou et libéré la parole – quadruplant les appels au 3919, le numéro national d'écoute et d'information. Mais le catalogue des mesures annoncées par le gouvernement suscite nombre d'interrogations. « Ça part un peu dans tous les sens, la cohérence n'est pas évidente et surtout, on ne voit pas bien la priorisation des actions », estime par exemple Laurent Puech, chargé de mission de l'Association nationale d'intervention sociale en commissariat et gendarmerie (ANISCG). Son organisation a obtenu la création de 80 postes d'intervenants, financés par le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), qui s'ajouteront aux 271 existants : « Cela montre la reconnaissance de ce dispositif, fondé sur la libre adhésion et l'accompagnement au cas par cas de toutes les situations, de la conflictualité à la violence grave », se félicite-t-il. Mais d'autres mesures lui paraissent manquer de nuances, comme l'interdiction des médiations pénale et familiale, ou la mesure 15, « qui systématise l'intervention précoce de l'aide sociale à l'enfance (ASE), au risque de pousser les mères à se taire par peur de perdre leurs enfants ». À cela s'ajoute un flou terminologique qui brouille la compréhension. « Dire que ces violences constituent un danger pour l'enfant, très bien, c'est dans la loi depuis 2016, approuve Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape). Mais là, il est question d'un "état de la situation" dès le stade de l'enquête, ou "à défaut, d'une évaluation administrative". De quoi s'agit-il ? D'une information préoccupante ? D'un signalement au Parquet ? D'un nouvel outil ? »

Difficile de savoir à quoi s'en tenir quand, en parallèle et sans attendre les conclusions du Grenelle, se discutait au Parlement une proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille… une autre étant annoncée pour ce début d'année sur le sujet sensible de la suspension de l'autorité parentale du conjoint violent. « On a quand même une impression de précipitation et de surenchère. Il va falloir des précisions. » Même demande de clarification s'agissant du développement des espaces de rencontre parent-enfant, un dispositif consacré par la loi de 2007 et doté de 30 millions d'euros de budget supplémentaire d'ici la fin du quinquennat.

Prévenir la récidive

De fait, à présent que les grandes orientations ont été définies, les travaux vont se poursuivre. « Je souhaite que les groupes de travail qui se sont réunis continuent de le faire autant que de besoin, déclarait Édouard Philippe le 25 novembre. C’est déjà le cas d’un certain nombre d’entre eux, en particulier du groupe que pilote le ministère de la Justice. » Parmi les enjeux abordés : la prise en charge des auteurs de violences. Un sujet longtemps resté dans l'angle mort des politiques publiques, et qui apparaît désormais comme un élément-clé de la prévention de la récidive. « Deux tiers des infractions donnent lieu à moins de 8 jours d'incapacité totale de travail :  beaucoup de situations ne débouchent pas sur la séparation du couple », souligne Véronique Dandonneau, juriste à la fédération des associations socio-judiciaires Citoyens & Justice. Pour lutter efficacement contre la réitération, « il est donc indispensable d'apporter systématiquement des réponses éducatives et responsabilisantes ».

Les mesures 19 à 23 du Grenelle reprennent partiellement les propositions de la fédération. Elles prévoient notamment la création de deux centres de prise en charge par région (un appel à projets doté de 2 millions d'euros a été lancé), la généralisation de protocoles de suivi des conjoints violents, ou encore un renforcement du traitement des addictions. Directrice du pôle socio-judiciaire de l'association Espérer 95, à Pontoise, Odile Desquiret espère que l'élan donné par le Grenelle permettra de sécuriser les moyens accordés aux dispositifs déjà existants. Après la diminution de la subvention du conseil départemental, et surtout le retrait des financements du FIPDR (réorientés vers des actions de lutte contre la radicalisation), l'association n'a eu d'autre choix que de puiser dans ses fonds propres pour maintenir ses groupes de parole et de responsabilisation. « C'est assez paradoxal, pour une action jugée satisfaisante par l'institution judiciaire et bénéfique pour la société », remarque-t-elle.

Un fort manque de places

Les structures d'aide aux victimes ne sont pas épargnées par ces « incertitudes insupportables », témoigne Mélanie Maunoury. Après s'être engagée à soutenir l'ouverture de la Maison d'Ella fin 2017, l'Agence régionale de santé (ARS) avait en effet fait marche arrière, contraignant le Cacis à réduire la voilure… avant de verser la subvention promise au bout d'un an. Si la mesure 11 du Grenelle prévoit de conforter ce type de structures, la directrice attend beaucoup de la création d'une mission d'intérêt général dédiée à la prise en charge des violences conjugales, préconisée par l'Igas depuis 2017 et susceptible de « sanctuariser les financements ». Ce qui ne règlerait pas le manque de moyens dénoncé par le secteur de l'hébergement… Selon les associations, 2 000 places font défaut pour accueillir les femmes victimes. Le gouvernement en a annoncé moitié moins : 250 places d'hébergement d'urgence, et 750 mesures d'allocation de logement temporaire (ALT). « Les places d'urgence seront financées à hauteur de 25 euros par jour : cela ne permet ni de garantir un accompagnement de qualité, ni de répondre aux exigences légitimes du cahier des charges dressé par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) », déplore Laura Slimani, chargée de mission à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Le document impose un hébergement en structure collective non mixte, sécurisée et gardée, respectant l'intimité et la vie familiale, incluant une prestation alimentaire et un accompagnement global par des intervenants sociaux formés. Impensable évidemment de ne pas ouvrir ces places. « Mais elles ne pourront l'être que par des structures déjà existantes, en partie sur leurs fonds propres », prédit Laura Slimani, qui espère que « les réalités de terrain convaincront les pouvoirs publics de compléter les financements ». Quant à l'ALT, non seulement son montant (non revalorisé depuis 2008) ne couvre pas les frais liés au logement – à condition d'en trouver un –, mais le dispositif ne prévoit aucun accompagnement social. Ces questions, la FAS espère pouvoir les aborder au sein du comité de pilotage national, « un cadre transversal qui manquait jusqu'à présent » et dont elle salue la création, tout comme le renforcement du travail partenarial des services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et du 3919 pour une orientation plus rapide et plus efficace des femmes victimes.

Clémence Dellangnol

Handicap, des tabous à lever dans les structures

Céline Poulet, secrétaire générale du Comité interministériel du handicap (CIH)
« Le handicap a été abordé dans tous les groupes, de façon transversale, et c'est une démarche qu'il faut saluer. Le groupe thématique, que j'ai piloté, continue à se réunir. Nous avons commencé à élaborer le cahier des charges des centres ressources sur la vie affective et sexuelle et la parentalité (mesure 28), qui seront constitués en plateformes, reposant sur un réseau d'acteurs, chacun apportant ses compétences et ses réponses (prévention santé, soutien aux aidants, parentalité…). L'autre gros chantier, c'est la formation des professionnels (mesure 30). Les violences surviennent aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur des structures ; il faut être capable de repérer des signaux d'alerte. Des modules de e-learning pourraient déjà permettre de former rapidement des effectifs importants. Il ne s'agit pas de devenir tous experts, mais de lever le tabou, dont on sait quels dégâts il produit, puis de graduer les réponses, par exemple en nommant des référents. Plus largement, les personnes handicapées doivent accéder à la même éducation affective et sexuelle que les personnes valides. En effet, comment se protéger ou alerter si ces sujets n'ont jamais été abordés ? »

Repères

  • 360 millions d'euros : c'est le budget qui sera consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2020 (Intérieur 220 millions d'euros, Logement 90 millions d'euros, Justice 10 millions d'euros).
  • 21 enfants ont trouvé la mort dans un contexte de violences conjugales en 2018.
  • 40 %, c'est le pourcentage d'augmentation des demandes constaté depuis le début d'année par les structures d'accueil spécialisées (lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation, centres d'information sur les droits des femmes et des familles, centres d'hébergement).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 182 - janvier 2020






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