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Autonomie
Être prêt pour 2030

13/10/2021

Le secteur du grand âge, éprouvé par la crise sanitaire, a vu encore une fois tomber dans les limbes la grande loi qu’on ne cesse de lui promettre régulièrement. Alors que la campagne présidentielle se profile, une question de fond se pose : comment compter enfin dans les débats de société ?

© Emmanuelle Foussat/Hans Lucas

Il y a ceux qui reconnaissent des efforts mais ne cachent pas leur déception, et ceux qui sont franchement en colère. Une chose est sûre, la promesse non tenue par le président de la République, Emmanuel Macron, d’une loi en 2021 en faveur du grand âge passe très mal. « Les personnels sont usés et désabusés. Il y a un manque de courage politique de tous les gouvernements successifs et tous partis confondus, s’agace Marie-Reine Tillon, la présidente de l’Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). Lors des élections locales, il ne fallait froisser personne. Maintenant, c’est pareil avec la présidentielle. Sauf qu’à force de ne vouloir fâcher personne, on finit par fâcher tout le monde ! » Un constat amer partagé par Annabelle Vêques, de la fédération de directeurs Fnadepa : « La gauche est passée, la droite, le centre… On a le sentiment que jamais la réforme que l'on nous promet depuis 15 ans ne se concrétisera… »

Et Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) n'est pas plus tendre. « Il nous fallait une loi pour marquer une marche théorique et politique sur ce que la société française veut en matière d’aide aux personnes âgées. Faute de cette réflexion, on nous sort des sornettes éculées sur le domicile ! », tâcle-t-il. Sur le terrain, personne n'estime donc que la réforme de l’autonomie n'a eu lieu, n’en déplaise à la ministre déléguée Brigitte Bourguignon (lire l'entretien).

Une première marche

Création de la 5e branche, avenant 43 dans l'aide à domicile, revalorisations et investissements du Ségur de la santé… Le gouvernement affiche pourtant un bilan « historique ». Et a sorti le grand jeu avec le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) du quinquennat. Un texte « ambitieux avec des éléments structurants qui envoie un signal positif aux professionnels du soin et de l’accompagnement », concède Antoine Perrin, directeur général de la fédération d'employeurs Fehap. Une enveloppe de 400 millions d'euros est dédiée à l’autonomie dont plus de la moitié pour sécuriser les services à domicile, via la création au 1er janvier 2022 d’un tarif plancher national de 22 euros par heure pour leur solvabilisation par les départements. Une « excellente nouvelle en faveur de l’égalité des chances attendue depuis très longtemps », estime Julien Jourdan, directeur général de la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fedesap), mais qui fait aussi des sceptiques. « Ce tarif socle donne une prime aux mauvais élèves qui vont avoir le différentiel pris en charge par la branche, alors que les départements qui ont joué le jeu n’auront rien de plus. Et que dire du montant très insuffisant de 22 euros ! », déplore Marie-Reine Tillon.

« C’est inconcevable sans une dotation qualité pour prendre en compte la couverture territoriale, le temps de travail soir et week-end ou encore la qualité de vie au travail », complète Thierry d’Aboville. Aussi, le secrétaire général de l’association ADMR attend des précisions sur la bonification, encore en arbitrage, qui doit venir compléter le dispositif. Tout comme sur la création des « services autonomie », inscrite dans le PLFSS, avec la généralisation en 2023 du modèle des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad) intégrés en mettant en place un financement spécifique de l’agence régionale de santé (ARS) pour inciter à la coordination entre les prestations d’aide et de soins. Au plus tard en 2025, les catégories existantes de services seraient ainsi amenées à fusionner. Une réforme par étape : tarif plancher et dotation finançant la coordination dans les Spasad d’abord, puis nouvelle tarification des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), et enfin installation des services autonomie.

Un virage domiciliaire ?

Avec la revalorisation financière entérinée par l’avenant 43, et ces nouvelles mesures, le virage du domicile est-il enfin pris ? « 40 % des personnels du secteur n’ont toujours pas accès à cette mesure dans le privé, sauf à ce que nous augmentions nos prix de vente », objecte le directeur général de la Fedesap. « C’est insuffisant, abonde Jean-Pierre Riso, le président de la Fnadepa. Certes, l’avenant 43 est en vigueur mais nombre de départements n’ont pas encore commencé à réfléchir au financement. » D’autant que le premier niveau des grilles est déjà quasiment immergé sous le Smic qui vient d’être revu à la hausse.

Un virage tout juste amorcé donc, selon les acteurs, qui observent avec étonnement une autre nouveauté du PLFSS : des Ehpad des centres de ressources territoriaux. Leur rôle ? Une mission d’appui aux professionnels, mais aussi d’accompagnement renforcé pour certaines personnes âgées en perte d’autonomie vivant à domicile, en alternative à l’établissement. « Pourquoi flécher la coordination spécifiquement de l’établissement ? Pourquoi viendrait-il tout à coup s’occuper de soins à domicile ? Les Spasad sont suffisamment structurés pour jouer ce rôle ! », pointe Marie-Reine Tillon.

« Un des griefs que l'on peut faire au PLFSS, c'est que même s'il coche les bonnes cases et finance la 5e branche, il le fait toutes choses égales par ailleurs. Il affiche "domiciliaire" mais continue de penser Ehpad et domicile », estime Marie-Anne Montchamp. La présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) regrette ainsi que « la trajectoire fixée prenne mal en compte l’évolution quantitative et qualitative des besoins et n’intègre pas la nécessité de se préparer à l’échéance de 2030 ». Notamment sur la question du recrutement, estiment les associations. « Comment aujourd’hui se satisfaire de l’annonce de 10 000 postes supplémentaires alors qu’il en manque 350 000 dans les établissements ? Comment imaginer qu’on puisse assurer la transformation du modèle de l’accompagnement dans les Ehpad ? », questionne Jean-Pierre Riso.

L’obstacle de la gouvernance

Pour tous, le PLFSS ne remplace pas la loi qui aurait dû donner des perspectives, trancher des sujets comme la gouvernance ou l'exercice de la citoyenneté dans les établissements. « Nous demeurons moins prioritaires qu’un sujet qui va sortir du chapeau, alors que rien d’objectif ne justifie que l’on reporte sans cesse cette loi depuis des années. Le choc démographique est une évidence, tout comme la réalité de la situation dont chacun a pu se faire l’écho avec la crise », poursuit le président de la Fnadepa. Comment l'expliquer ? « Toujours cette fâcheuse habitude de considérer l’autonomie comme un coût et non un investissement ! », commente Marie-Reine Tillon. Une question de coût, mais pas seulement. « Ce n’est qu’un prétexte. Pendant la crise, on a pu trouver des milliards pour d’autres réformes. C’est la révélation de l’âgisme de la société française. On arbitre jamais en faveur des plus vieux qui sont quantité négligeable. Et cela traverse tous les clivages politiques », affirme Pascal Champvert. 

Pour d’autres, la raison est à aller chercher du côté des sujets de fond qu’une telle réforme soulève. « Il y a une difficulté particulière car ce thème n’est pas régalien. Il dépend à part égale des collectivités et nécessite une négociation tripartite. Cela se complique donc devant chaque échéance électorale… », analyse Jérôme Voiturier, délégué général de l’union interfédérale Uniopss. Pourtant, « le changement de paradigme qu’impose une véritable politique de l’autonomie passe par cette question qui doit être tranchée », prévient Marie-Anne Montchamp. La nation est-elle d’accord pour consentir un effort financier supplémentaire ? Pour quel modèle d’organisation de la protection sociale ? « On ne peut pas répondre à cet enjeu sans une étroite collaboration entre la branche et les territoires. Il est indispensable de décliner ce pilotage moderne : est-ce que demain les départements continueront de financer l’allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH ?) Est-ce que comme avec le revenu de solidarité active (RSA) en Seine-Saint-Denis, il n’appartiendra pas à la puissance publique d’apporter le financement et charge aux départements d'organiser l’ingénierie de la réponse ? », interroge encore la présidente de la CNSA.

« L’espoir est permis »

Cette dernière se veut optimiste : « L’espoir est permis. Aujourd’hui, on ne parle plus de dépendance mais d’autonomie. C’est un enjeu qui concerne le grand âge mais aussi le handicap et tous les champs de la protection sociale. Ce qui évite ce clivage mortifère entre ce que l’on fait pour les jeunes et pour les vieux. C’est une ambition collective. » Une ambition à réaffirmer dans le débat présidentiel qui s’amorce. Mais encore faut-il que le secteur réussisse à faire entendre sa voix. En mobilisant ? Descendre dans la rue ne fait pas partie de la culture, objectent les acteurs, surtout quand il s’agit d’assurer la continuité du service à des personnes vulnérables. « Et la situation est telle aujourd’hui que les salariés ne se mobilisent plus, mais ils quittent le secteur ! », appuie Jean-Pierre Riso.

Et en se regroupant ? Car si chacun entend porter ses revendications pour compter dans la campagne, tous le concèdent : le champ du grand âge est fragmenté et pas toujours audible. « Nous n’avons pas la force de certains lobbys avec une audience médiatique forte. Il manque peut-être un mouvement qui fédérerait les personnes âgées dans le sens universel comme dans d’autres pays. Nous n’avons pas en France ce trait d’union qui dépasse les clivages », observe Julien Jourdan. S’unir donc pour compter ? « Tout à fait. C’est ce que l’on fait dans le cadre du rapprochement entre Nexem et la Fehap », souligne Antoine Perrin. Face aux enjeux de l’attractivité dans la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Bass), les deux fédérations ont décidé d’accélérer le chantier d’une convention collective unique. Quand plusieurs fédérations du domicile entendent parler d’une voix commune lors des débats. « Nous appelons à des mouvements les plus larges et originaux possible pour faire bouger les lignes », confirme Pascal Champvert. Car, un point fait l’unanimité, côté gouvernement comme de celui du terrain : il faut être au rendez-vous de 2030. « Si on ne s’organise pas, on le paiera de manière anarchique, aux urgences de l'hôpital, par des torsions territoriales diverses… C’est inéluctable, résume Marie-Anne Montchamp. Comme le réchauffement climatique, le choc démographique n’est pas une option. »

Laura Taillandier

« Montrer la réalité des Ehpad »

Laurent Garcia, directeur de l'Observatoire du grand âge

« Nous lançons un Observatoire du grand âge, avec plusieurs personnalités et notamment des journalistes. Notre objectif : établir un état des lieux annuel de la situation dans les Ehpad, sur le modèle du travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il s'agit de montrer la réalité de ce monde souvent opaque, d'expliquer les difficultés que rencontrent les établissements, mais aussi les choses positives mises en place. Avant la présidentielle, il y a une véritable attente des familles et des personnes âgées et cela permettrait d’alerter les pouvoirs publics sur les conséquences du manque de personnels. Il faut que cela bouge, ça suffit ! »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 202 - novembre 2021






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