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Entretien
« L’attractivité requiert une réponse systémique »

02/06/2021

À quelques semaines de la fin de sa mission, le pilote du plan sur les métiers de l’autonomie, Michel Laforcade, dévoile les premières pistes d’action issues des territoires pour favoriser l’attractivité du secteur. La première d’entre elles ? L’amélioration des rémunérations, via l’extension de l’indemnité dite Ségur, d’abord au champ du handicap et aux services de soins infirmiers à domicile.

Michel Laforcade © Thomas Gogny

Vous êtes désormais au bout de votre mission sur l’extension de l’indemnité dite Ségur au champ du handicap et aux services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Quels sont les différents accords obtenus ?

Michel Laforcade. Une première négociation a porté sur l’élargissement du complément de traitement indiciaire (CTI) aux rares personnels de l’hôpital qui n’en avaient pas bénéficié, à savoir ceux des établissements pour personnes handicapées gérés par le secteur sanitaire. L’accord signé en février prévoit que la totalité de leurs 19 000 personnels seront concernés dès le 1er juin. Ici, la logique hospitalière l’a emporté, au titre du traitement égalitaire des professionnels au sein de l’hôpital. Ce n’est pas le cas, en revanche, des établissements publics autonomes, qu’ils relèvent de l'hospitalière ou de la territoriale. L’accord qui vient d’être finalisé [1] distingue deux catégories d’agents. D’une part, ceux du soin (infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes…) qui eux aussi obtiennent les 183 euros mensuels à partir du 1er octobre prochain. Tout comme les aides médico-psychologiques (AMP), les accompagnants éducatifs et sociaux (AES) et les auxiliaires de vie sociale (AVS), compte tenu de leur importance en maisons d'accueil spécialisées (MAS) et en foyers d'accueil médicalisé (FAM) notamment.

Quant aux personnels éducatifs de ces structures entendues au sens large de ces structures (cadres éducatifs, éducateurs de jeunes enfants, moniteur éducateurs, techniciens de l'intervention sociale et familiale…), leur situation sera abordée dans le cadre d’une grande conférence sociale prévue avant la fin de l’année. Les discussions entre l’État et les syndicats continuent donc.

Cette même « scission » entre les personnels est-elle envisagée pour ceux du champ du handicap relevant du privé non lucratif ?

M. L. Absolument, l’État s’étant engagé à financer, via la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 (LFSS), l’indemnité Ségur pour les AMP, AVS et AES et les métiers soignants, y compris des Ssiad. Tout cela reste suspendu à la signature définitive par les partenaires sociaux de l’accord de méthode proposé début avril et qui, mi-mai, restait encore sujet de négociations [2].

Faut-il comprendre que, malgré l’urgence, seuls les employeurs qui en auront les moyens pourront en anticiper le versement ?

M. L. S’ils le peuvent, oui. Le sujet peut d’ailleurs faire l’objet d’accords entre syndicats et employeurs. En tout état de cause, la question des moyens disponibles, voire d’éventuels excédents non repris, sera aussi discutée localement par les agences régionales de santé (ARS). Reste qu’il ne sera question que de quelques mois d’anticipation pour ce seul delta de 183 euros, le reste du salaire de ces personnels étant intégralement financé par l’assurance maladie.

Selon la version initiale de l’accord de méthode, les modalités de revalorisation de la filière éducative du handicap seraient renvoyées à une discussion de branche. Au sein de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif (Bass) ou des conventions collectives nationales du 31 octobre 1951 et du 15 mars 1966 (CCN 51 et 66) ?

M. L. Tout ceci est encore en discussion. Ce qui est sûr c’est que la confédération patronale Axess en étant signataire, au même titre que Nexem, la Fehap et la Croix-Rouge française côté patronal, cela ouvre le champ des possibles en termes de périmètre de négociation… Aux fédérations d'employeurs ensuite d’expliquer aux syndicats ce qu’elles choisiront. Sur ce volet, une chose est sûre : la participation financière de l’État sera conditionnée au rapprochement conventionnel effectif des CCN 66 et 51.

Est-il réaliste d’attendre des chambres patronales Nexem et Fehap qu’elles parviennent à amorcer d’ici à l’été ce qu’elles n’ont pas réussi jusqu’ici ?

M. L. C’est en effet une forme de pari, mais un pari lucide. Fédérées autour d’Axess, elles ont, ces derniers mois, donné des signes très nets de leur volonté de rapprochement. N’oublions pas l’objectif : faciliter les parcours pour rendre ces métiers toujours plus attractifs. Quand les deux CCN auront convergé, à défaut d’avoir fusionné, chacun pourra décider d’aller travailler dans un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) appliquant la « 66 », puis en MAS sous « 51 » le lendemain. Et ce, sans se préoccuper d’une perte de salaire ou d’un avantage acquis. 

Sur ce volet, le concours de l’État ne sera pas suffisant. Avez-vous reçu des engagements des départements ?

M. L. Leur participation ne sera envisagée qu’ultérieurement. Pour le moment, aux protagonistes de dire quel pourrait être le concours financier des associations, notamment de celles dotées de fonds propres et de provisions. Ce sera ensuite aux gestionnaires de se retourner vers les collectivités qui sont, bien sûr, informées de ces avancées. Tous ces aspects seront au cœur de la conférence des financeurs attendue d’ici à la fin de l’année.

Cette conférence sera-t-elle enfin l’occasion d’étendre la réflexion aux métiers du secteur social, oubliés des revalorisations ?

M. L. Qui dit conférence globale envisage en effet l’hypothèse d’un tel élargissement. Mais ce sera aux protagonistes, conseils départementaux notamment, d’en décider.

Les rémunérations ne sont pas l’unique levier d’attractivité, comme le montrent vos travaux sur le plan Métiers de l’autonomie, dont le fruit est attendu en juillet. Où en êtes-vous?

M. L. Sur le plan national, nous avons déjà obtenu, avec d’autres, de premiers résultats susceptibles de constituer des leviers positifs. Comme le maintien jusqu’à la fin de l’année de certaines aides à l’apprentissage, ou la possibilité désormais donnée à l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) de financer aussi des formations diplômantes en la matière.

Par ailleurs, des formations courtes visant à mettre le pied à l’étrier se développent. À l’image de celle de 70 heures proposée par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) permettant aux agents de services hospitaliers (ASH) d’obtenir certains modules avant d’entrer en instituts de formation d'aides-soignants (Ifas) [3]. Ou celle de 120 heures de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) avec Pôle emploi visant à entrer en formation au titre du diplôme d’AES. Pour le reste, et ce malgré la crise sanitaire qui nous a ralentis, le travail se poursuit : nous rassemblons aujourd’hui les propositions des territoires que nous avions sollicitées pour imaginer, à réglementation constante, des actions susceptibles d’être anticipées avant la loi Grand âge et Autonomie, voire de l’inspirer.

Quelles sont les premières pistes d’action en matière de formation ? 

M. L. L’un des enjeux est la crise des vocations d’aides-soignants, dont le cursus attire de moins en moins de volontaires. Pour y remédier, les Ifas d’un même territoire pourraient, par exemple, se lancer dans une stratégie de recrutement plus offensive en direction des lycées professionnels, 50 % des jeunes entrant en Ifas étant bacheliers : en retouchant leur cursus de formation autour des nouveaux métiers, en élargissant les modèles de validation des acquis de l'expérience (VAE) ou encore en s’engageant davantage en faveur de l’apprentissage… Toujours pour ces professionnels, nous pourrions aussi expérimenter un « Parcours + » qui sera hors « Parcours sup » de l’Éducation nationale : l’objectif étant de réussir à faire savoir localement aux candidats malheureux aux études d’infirmiers que, dans leur région, les Ifas peuvent leur offrir une alternative, avant peut-être de retrouver quelques années plus tard leur cursus initial avec de la VAE. Plus globalement, l’ouverture de places supplémentaires en formation par les conseils régionaux volontaires serait aussi bienvenue. Les possibilités sont nombreuses.

Dans tous les cas, l’adhésion des employeurs est essentielle pour le recrutement d’apprentis notamment en profitant des dispositions législatives favorables à la création de centres CFA, voire pour miser sur les candidats ayant réussi une des formations courtes proposées par le ministère.

Quelles autres thématiques avez-vous travaillées ?

M. L. L’aide à la mobilité peut aussi s’avérer un levier important, en particulier en zones rurales. En la matière, le conseil régional de Nouvelle Aquitaine a accepté de financer, au bénéfice de gestionnaires, deux postes de chargés de mission. Ces spécialistes étant parvenus à démontrer que l’acquisition d’une flotte de véhicules mis à disposition des AES pouvait être financièrement équilibrée, ils pourront faire bénéficier de leur expertise tous les employeurs locaux qui le souhaitent. Autre piste, susceptible d’être reprise dans la loi : l’expérimentation d’une carte professionnelle et d’un macaron permettant aux salariés du domicile de stationner gratuitement en ville, y compris sur les emplacements réservés aux taxis et aux bus.

Enfin, pour lutter contre le temps partiel subi, des départements pourraient s’engager à proposer du plein emploi à 100 % aux personnels de l’aide à domicile qui le souhaitent. En leur permettant de venir en renfort des Ehpad à certains moments de la journée, en misant sur ces temps de réunions identifiés comme essentiels par le rapport El Khomri, en développant des activités physiques adaptées pour lutter contre la sinistralité… Autre axe sur lequel nous avons aussi proposé aux territoires d’agir : la qualité de vie au travail (QVT). Via la généralisation des tableaux de bord ad hoc de l’Agence nationale d'appui à la performance (Anap) ou des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), ou encore par l’expérimentation d’un dispositif de scoring, récemment établi par des universitaires, pour permettre aux Ehpad d’interroger leurs salariés et de trouver des solutions pertinentes.

Cela signifie-t-il qu’en matière d’attractivité, tous les sujets sont en réalité prioritaires ?

M. L. C’est effectivement du côté d’une intervention systémique que l’attractivité trouvera son compte. Car en réalité personne ne peut dire scientifiquement quels éléments l’emporteront sur les autres, même si l’argument financier prime évidemment : rendre ces métiers attractifs ne sera envisageable qu’une fois les revalorisations mises en œuvre ! Pour le reste, adaptation des formations, apprentissage, mobilité, QVT… tout est prioritaire. C’est pourquoi l’idée est d’avoir trois ou quatre territoires volontaires pour tester plusieurs de ces dispositifs en même temps. Si certains départements décident, par ailleurs, de s’emparer de l’un d’eux, ce sera aussi l’occasion de l’évaluer avant la loi. Je compte donc remettre en juillet les engagements explicites des régions concernées. Pour que tout cela ait du sens, il nous faut une vision complète pour que, sur un territoire donné, tous les acteurs de bonne volonté soient conventionnellement au clair.

Ces derniers mois, les pouvoirs publics ont multiplié les initiatives pour soulager les tensions des ressources humaines dans les structures. Certaines pourront-elles demain servir l’attractivité ?

M. L. Oui, nous allons tenter de surfer sur les éléments positifs de réponses à la crise pour en faire des outils d’attractivité. Exemple ? Les plateformes locales installées par les ARS, Pôle emploi et les ex-directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) pour trouver en urgence des infirmiers ou des aides-soignants. Ce dispositif qui a bien marché pourrait être reconverti en plateformes de transition collectives rassemblant les mêmes acteurs, mais aussi les collectivités. Celles et ceux qui auraient des compétences ou un appétit pour ces métiers pourraient ainsi y trouver un appui à la reconversion.

Carte d'identité

Nom. Michel Laforcade

Parcours. Économe de l’Institut national de jeunes sourds de Bordeaux (1983-1987) ; directeur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) des Landes (1991-1997), puis de celle de Dordogne (2004-2009) ; préfigurateur puis directeur général de l’agence régionale de santé (DGARS) Limousin (2009-2012), Aquitaine (2012 à 2020), puis Nouvelle Aquitaine (2016-2020).

Fonction actuelle. Coordonnateur du plan pour les métiers de l’autonomie.

[1] Mi-mai, les syndicats CFDT, FO et Unsa avaient fait savoir qu’ils en seraient signataires.

[2] Ce numéro a été bouclé le 19 mai.

[3] Instruction n° DGOS/RH1/DGCS/2021/8 du 6 janvier 2021

Propos recueillis par Gladys Lepasteur - Photos : Thomas Gogny

Publié dans le magazine Direction[s] N° 198 - juin 2021






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