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Contrat d'engagement Jeune
Peut mieux faire

14/06/2023

Si les objectifs quantitatifs sont atteints, le contrat d’engagement jeune mériterait quelques ajustements pour améliorer la coordination entre opérateurs et toucher les plus éloignés de l’emploi. Le volet pour les jeunes en rupture, opérationnel depuis quelques mois, se heurte quant à lui à de premières difficultés.

Le 1er mars 2022, Emmanuelle Wargon (au centre) assistait à la signature de premiers CEJ, à l’agence Pole emploi de Lyon-Part-Dieu.

En moins d’un an, le contrat d’engagement jeune (CEJ) aura réussi à atteindre ses objectifs : fin janvier, 301 725 contrats avaient été signés. Ce dispositif d’accompagnement et d’insertion professionnelle à destination des 16-25 ans dits Neet [1] (qui ne sont ni en emploi ni en étude ni en formation) est déployé depuis le 1er mars 2022 par les missions locales et les agences de Pôle emploi. « Les jeunes ont été au rendez-vous, se réjouit Ahmed El Khadiri, délégué général de l’Union nationale des missions locales (UNML). Nous avions pourtant au démarrage quelques inquiétudes en raison de la mise en œuvre qui s’est faite dans des délais très courts et le fait que le dispositif précédent, la Garantie jeunes, avait mis du temps à se faire connaître. »

Des résultats à relativiser ?

En signant un CEJ, les jeunes s’inscrivent dans un parcours de six à douze mois (pouvant aller jusqu’à dix-huit mois) comprenant entre 15 à 20 heures d’activités par semaine (formation, mission d’utilité sociale…), contre lesquelles ils peuvent percevoir une allocation (528 euros mensuels maximum). À la clé, les premiers résultats de sortie en emploi sont « encourageants » selon le ministère du Travail : 76 % des jeunes de la première cohorte ont accédé à un emploi en neuf mois et 43 % à un emploi durable (six mois et plus).

Des chiffres à considérer avec prudence, nuance Antoine Dulin, président de la commission Insertion des jeunes du Conseil d’orientation des politiques jeunesse (COJ), auteur d’un récent rapport sur le sujet [2] : « Je ne préfère pas retenir le chiffre de 76 %, puisqu’il peut s’agir d’expériences professionnelles d’un jour comme de quinze ! En revanche, si l'on considère le pourcentage de ceux ayant un emploi durable, c'est un peu mieux que la Garantie Jeunes. Mais il faut relativiser : cela reste un CDD de plus de six mois, avec toutes les logiques de précarité qu’il peut y avoir derrière... » Ce dernier reconnaît malgré tout que le CEJ présente des atouts : « Des moyens importants sont mis dans l’accompagnement (autour de 2 000 euros annuels par personne), ce qui permet de gagner en estime de soi, en confiance et d’être dans une dynamique positive d’insertion sociale et professionnelle. »

De son côté, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a aussi dressé un premier bilan « loin d’être négatif », mais tout de même « contrasté » [3] : saluant une « dynamique incontestable », elle a souligné un certain nombre de problèmes pesant sur son déploiement. À commencer par la lourde charge administrative induite. « Nos conseillers consacrent en moyenne 30 % de leur temps à effectuer de la saisie, confirme Ahmed El Khadiri. Et nous avons le système d’information le moins ergonomique du monde. Je comprends bien qu’il faille alimenter des tableaux de bord mais il faut trouver le bon équilibre... » Des tableaux de bord également jugés inadaptés par l’Igas…

Un volet pour les plus en rupture

Autre point noir, pointe l’Igas : 70 % des bénéficiaires étaient déjà suivis par le service public de l’emploi. Et de s’interroger sur la capacité du dispositif à aller vers ceux qui en sont le plus éloignés. Un volet a été spécifiquement pensé pour les jeunes en rupture, le CEJ JR [4]. Plus de 180 projets portés par des associations ou des consortiums ont été retenus. Leur mission ? Repérer, remobiliser et accompagner de façon globale les plus en difficulté, notamment les sans-domicile fixe, les sortants de l’aide sociale à l’enfance ou encore ceux souffrant d’addictions, en lien avec les missions locales. Problème : le lancement des appels à projets ayant pris du retard, les premiers CEJ JR n’ont été signés qu’en début d’année... « Nous nous sommes fortement impliqués pour qu’il y ait une réponse pour ce public qui reste trop souvent hors des radars, rappelle Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). C’est une bonne chose que ce volet existe, malgré le retard pris alors que ce sont des projets qui nécessitent un travail conséquent, avec des parcours qui doivent être coconstruits. » Pour en savoir plus, la FAS a lancé une recherche-action à laquelle participe une dizaine de ses adhérents. Objectifs : documenter l’impact sur les publics et les pratiques professionnelles, outiller les opérateurs, partager des bonnes pratiques et lever les éventuelles difficultés.

Des critères trop restrictifs

L’un des principaux freins pour Nicolas Thomas, éducateur spécialisé qui déploie le CEJ JR en Lozère pour le compte de l’association Aurore ? La « règle des cinq mois ». « Le jeune ne doit pas avoir été en contact avec le service public de l’emploi durant les cinq mois qui précèdent la signature du CEJ JR, rappelle-t-il. Il suffit qu’il ait passé la porte de la mission locale pour une simple photocopie ou un coup de fil pour qu’il soit enregistré dans les logiciels, et ne puisse pas bénéficier d’un CEJ JR. C’est trop restrictif ! » Depuis janvier, l’équipe est allée à la rencontre d’une trentaine de jeunes. Si une vingtaine d’entre eux a été identifiée comme public cible, seuls sept ont signé un contrat JR. « Cette rigidité des critères d’admission est dommage car le dispositif est pertinent, assure sa collègue Céline Beaud. Nous avons une souplesse d’action, un accompagnement global et une complémentarité avec la mission locale qui semblent bénéfiques. Et les premiers retours des jeunes sont hyper positifs. Encore faut-il qu’ils puissent y entrer... » En Île-de-France, Elisa Riano, directrice de programme chez Acina, qui intervient auprès des personnes vivant en bidonvilles, se veut plus optimiste : si l’association n’a pour l’heure accompagné qu’un seul signataire d’un CEJ JR, le dispositif peut être, selon elle, « un véritable tremplin ».

Une nouvelle feuille de route

S’il est encore tôt pour dresser un premier bilan du volet des JR, auquel le COJ consacrera un rapport en octobre, Cédric Ruel, chef de projet Insertion 16-30 ans à la Fondation des apprentis d’Auteuil, constate déjà un autre écueil rencontré par les huit porteurs de projets qu’elle compte : les sanctions prévues à l’égard des signataires en cas de non-respect des engagements, défendant pour sa part le principe d’un droit à l’erreur pour les jeunes. Autre problème : « Le manque de coordination, reprend Cédric Ruel. De très nombreux acteurs sont mobilisés dans l’aller-vers et l’insertion et il y a parfois plus de concurrence que de complémentarité... » Y compris entre les missions locales et Pôle emploi dans la mise en œuvre du CEJ généraliste, ont aussi constaté l’Igas comme le COJ, qui ont chacun listé des recommandations pour que le dispositif gagne en efficacité.

Le ministère du Travail prépare pour septembre une nouvelle feuille de route pour le CEJ, confirme le cabinet d'Olivier Dussopt. Tiendra-t-il compte des demandes d’ajustements ? Une chose est sûre : les attentes sont fortes et les inquiétudes nombreuses. Avec, en ligne de mire, la réforme du service public de l’emploi avec la mise en place de France Travail [5].

[1] Jusqu’à 29 ans pour les personnes handicapées

[2] Contrat d'engagement jeune - Suivi et évaluation de sa mise en œuvre dans les territoires, Cnape, déc. 2022

[3] Évaluation d’étape de l’accompagnement des jeunes dans le cadre du CEJ, mars 2023

[4] Circulaire n° DGEFP/MAJE/DIPLP/DIHAL/2022/117 du 22 avril 2022

[5] Le projet de loi Plein emploi a été présenté en conseil des ministres le 7 juin

Aurélie Vion

« Une logique de droit à durée non limitée »

Antoine Dulin, président de la commission Insertion des jeunes du COJ

« Si l'on reprend les chiffres du ministère, 57 % des jeunes ayant signé un CEJ n’accèdent pas à un emploi durable. Et même pour les 76 % qui ont réussi à en décrocher un, leur contrat peut s’arrêter au bout de six ou neuf mois (la durée moyenne d’un CEJ)... Et ensuite, que deviennent-ils ? Ils ont eu un accompagnement de qualité et une allocation qui leur a permis de subvenir un peu à leurs besoins et, tout d’un coup, il ne se passe plus rien ! On recrée un angle-mort. Sur la métropole de Lyon où nous avons mis en place un revenu de solidarité jeunes, un bon tiers des bénéficiaires étaient déjà passés par la Garantie jeunes ou le CEJ. Il y a donc une problématique liée à cette non-continuité de l'accompagnement et à l’absence d’allocation pour les moins de 25 ans. Il faut à tout prix entrer dans une logique de droit à durée non limitée. L’enjeu est d’accompagner les jeunes jusqu’à une insertion sociale et professionnelle réussie. »

Repères

- 188 715 jeunes ont signé un CEJ en missions locales et 113 010 à Pôle emploi (à fin janvier). 

- 40 % des bénéficiaires du CEJ n’atteignent pas quinze heures hebdomadaires d’activité accompagnée, souligne l’Igas. 

- « Les revenus d’un contrat d'insertion par l’activité économique (IAE) entraînent la suppression de l’allocation. C’est regrettable car l’IAE peut être utile aux plus éloignés de l'emploi », Ahmed El Khadiri (UNML).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 221 - juillet 2023






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