Dans le secteur, pas besoin d'être un poids lourd pour voir loin ! C'est le sentiment qui émerge face au dynamisme du réseau Efficace, lancé et coordonné depuis décembre 2011 par l’association Les Papillons blancs d'Hazebrouck. L'originalité de cette initiative réside dans son principe même : rassembler des structures du secteur du handicap et des personnes âgées, sans oublier l’aide à domicile, quel que soit leur statut à condition qu’elles soient non lucratives (associatif, public territorial et hospitalier). Ce dans le cadre d’une coopération durable interétablissements à l’échelle du territoire de Flandre intérieure identifié par l'agence régionale de santé (ARS). « Pour exister, notre territoire rurbain doit être très innovant », souligne Daphné Bette, directrice générale des Papillons blancs d'Hazebrouck.
Associations de parents d'enfants inadaptés (APEI), centres communaux d’action sociale (CCAS), établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), centres hospitaliers, établissements publics de santé mentale (EPSM), centres locaux d'information et de coordination (Clic)… De huit fondateurs au départ, le réseau réunit aujourd'hui 20 adhérents, représentant environ 50 établissements et services, soit plus de 1500 professionnels accompagnant plus de 5000 personnes.
Une mécanique ancienne
À l'origine de cette initiative locale, dont l’ambition est de mailler le territoire pour améliorer le parcours des publics accompagnés ? Le plan régional des métiers (PRM) au service des personnes handicapées et personnes âgées dépendantes 2009-2011, dans le cadre duquel les Papillons blancs d'Hazebrouck ont remporté un appel à projets. « La région souhaitait favoriser la mobilité professionnelle. Nous avons été choisis comme pilotes pour la Flandre intérieure », relate Daphné Bette. Une suite logique pour une association déjà aux commandes et animatrice de trois réseaux locaux, dont le plus ancien date de 2000. Ici, l'idée était de partir des pratiques de terrain. « Les professionnels du handicap ne connaissaient pas ceux du champ des personnes âgées, et réciproquement. Il fallait commencer par travailler ce que nous avions en commun. Les premiers échanges ont porté sur les animations Snoezelen, qui n'avaient pas le même objectif en fonction du secteur », se souvient Audrey Bézin, directrice de projets et des ressources humaines (RH) aux Papillons blancs qui coordonne le réseau Efficace. Pour se lancer, le projet a bénéficié de fonds régionaux et de l'État, qui ont permis de financer partiellement ce poste de coordination. Très vite, les échanges se sont structurés, et ont donné lieu à la production d'outils et de formations pour l'ensemble des professionnels. À tel point qu'à l'échéance du dispositif régional, les acteurs et partenaires ont souhaité maintenir la dynamique engendrée. « Cadres comme professionnels s'y retrouvaient. Chacun venait partager ses compétences. On n'imaginait pas arrêter là ! », explique Daphné Bette.
Une installation rapide
La création du réseau Efficace, pour « Échanger et former en Flandre intérieure ; capitaliser et accompagner les compétences des équipes », est entérinée en décembre 2011. La convention entre les structures adhérentes est vite complétée par une charte. « Celle-ci pose quelques principes éthiques relatifs à la participation et à l'engagement de chacun », indique Audrey Bézin. La mise en place effective a été très rapide, car son organisation reprenait celle instaurée lors du PRM. Le fonctionnement repose ainsi sur un comité de pilotage (constitué des huit membres fondateurs) et d'un comité technique. Ce dernier est chargé de faire émerger des problématiques communes, traduites ensuite sous la forme de groupes ressources et de groupes de travail impliquant les professionnels. Les premiers ont vocation à durer, tandis que les seconds répondent à des sujets ponctuels. Un agenda des réunions est fixé entre trois et six mois à l'avance, pour garantir un fonctionnement fluide, et la communication se fait par mail. « Il faut garder une certaine souplesse, les groupes ne sont pas toujours au complet », note Audrey Bézin qui gère le planning.
Avantage du réseau : son faible coût. « Nous travaillons sans aucune subvention, grâce à la mutualisation de nos moyens », souligne Daphné Bette, qui précise : « L’APEI a investi en recrutant Audrey Bezin, mais la coordination d'Efficace n'est pas sa seule mission. » « Le temps que nous consacrons au réseau est un investissement, ajoute Ignace Lepoutre, directeur du service d'accompagnement à la vie autonome (Sava) de l’Établissement public départemental de soins, d’adaptation et d’éducation (EPDSAE), membre du réseau. C'est une ressource plus qu'une charge ! »
Des outils et un langage communs
Au quotidien, cela se traduit de façon très concrète. À l'issue de ses réflexions, chaque groupe de travail doit présenter un écrit ou organiser une journée de restitution. Sans parler de la diffusion informelle des contenus des réunions par les professionnels présents. En outre, le réseau a produit des outils devenus indispensables, à l'instar d'un guide des dispositifs de formation du secteur social et médico-social à destination des cadres intermédiaires. Ou encore un livret récapitulatif sur la valorisation des rôles sociaux (VRS) distribué dans le cadre de sensibilisation sur cette pratique (lire l’encadré ci-dessous). « Le guide des formations donne, quant à lui, des clés d'accès aux dispositifs et favorise la mobilité entre les champs, indique Éric Leroy, responsable RH de l'APEI de Saint-Omer (Pas-de-Calais), membre fondateur du réseau. Nous avons remarqué qu'en fonction des secteurs nous nommions différemment un même métier. Ce guide a donc aussi le mérite de créer un langage commun ! » « Le décloisonnement nous permet aussi de bénéficier des données concernant les besoins du territoire, comme les listes d'attente, renchérit Ignace Lepoutre. C'est essentiel. »
Des actions de professionnalisation
À côté des outils et du partage d'information, Efficace a rendu possible des formations communes (Snoezelen, prise en charge des personnes handicapées vieillissantes), financées par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) des structures adhérentes (CNFPT, ANFH, Unifaf), qui ont signé une convention commune à la demande du réseau. « Il s'agit d'un financement commun, qui s'ajoute aux traditionnels plans de formation des structures. Chacune est remboursée en fonction du nombre de salariés participants », précise Audrey Bézin. De quoi renforcer la professionnalisation des équipes. « Ces formations sont un levier de motivation, qui favorise l'employabilité », confirme Éric Leroy.
Au centre hospitalier d'Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais), qui compte 210 lits d'Ehpad, le réseau est ainsi venu répondre à des attentes fortes. « Nous souhaitions créer une unité réservée aux personnes handicapées âgées, les formations d'Efficace correspondaient à nos besoins, explique Pascal Brassart, cadre de santé. Notre infirmière coordinatrice participe justement au groupe ressource sur cette thématique. » En plus des formations à proprement parler, le réseau a permis la mise en place d'actions originales, comme la sensibilisation à la VRS, assurée par deux professionnelles. « Le fait que nous soyons des personnels de terrain, non des formatrices attitrées, libère la parole des participants », estime Françoise Hus, éducatrice spécialisée à l'Anaji, association œuvrant dans le champ du handicap, et coanimatrice de cette session.
Une plateforme d’activités itinérante
Orienté « RH », le réseau a également intégré dans son programme des mesures destinées en priorité aux usagers, ayant un impact indirect. À l'instar de la plateforme itinérante, créée en 2014, qui permet aux personnes accompagnées de concrétiser leurs envies d'activités collectives. Un projet pour lequel Efficace a obtenu un financement de la Fondation de France, afin d'embaucher un animateur à temps partiel. « C'est la première fois que le réseau a répondu à un appel à projets en son nom », souligne Daphné Bette. Depuis la création de la plateforme, plus de 30 animations ont ainsi pu être mises sur pied (pêche, tricot, quiz musical, visite de Paris, etc.). Elles sont hébergées à tour de rôle par les structures adhérentes, ce qui favorise les relations entre usagers et professionnels.
Après quatre ans d'existence, le réseau est devenu incontournable pour l'ensemble des équipes, et ne cesse de compter de nouveaux membres. « C'est la proximité qui reste le critère d'intégration, pas la stricte appartenance à notre territoire », précise Daphné Bette. Au sein des établissements, on souligne la richesse des contacts et l'ambition toujours renouvelée. « Au sein du groupe ressource sur la personne handicapée vieillissante, nous réfléchissons à organiser des journées d'échanges de salariés, afin d'apporter de nouveaux regards », explique Brigitte Maresciano, directrice d'un foyer d'hébergement de l'association Afeji accueillant des personnes en situation de handicap mental et d'exclusion.
Autres projets en cours, la constitution d'un guide d'accueil en Ehpad des personnes handicapées ou encore la création d'une mallette de prévention des addictions. Des actions concrètes, mais néanmoins fragiles. « Tout ne tient qu'à la bonne volonté des acteurs, souligne Daphné Bette. La question se pose pour la poursuite de la plateforme d'activités, car la subvention de la Fondation de France arrive à son terme en 2017 ! » Des incertitudes qui n'entament cependant pas les convictions des membres du réseau.
Catherine de Coppet. Photos : Christophe Boulze
« Un plus dans notre quotidien »
Anne-Sophie Ansart, aide médico-psychologique aux Papillons blancs d’Hazebrouk, coanimatrice de la sensibilisation à la VRS
« Théorisée par le psychologue américain Wolf Wolfensberger dans les années 1970-80, la valorisation des rôles sociaux (VRS) vise à ramener les personnes accompagnées à leurs droits et à leur rôle social. À condition que cela ait du sens pour elles. Au sein du réseau, nous sommes six à avoir suivi une formation de trois jours sur ce thème. Nous sommes constitués en groupe ressource dans le cadre du réseau Efficace. La sensibilisation que nous proposons aux professionnels se fait par demi-journée, par groupe de 12 personnes maximum. Ce projet est porté par nos directions, qui accèdent aux demandes du groupe : édition d'un questionnaire sur le sujet, de supports, d’outils… La VRS et l'échange avec les personnels d'autres établissements apportent un plus dans notre quotidien. Pour ma part, cela m'a poussée à reprendre des études pour obtenir un diplôme complémentaire, ainsi qu'à intervenir à l'extérieur devant d'autres professionnels. Je n'aurais jamais imaginé faire cela avant ! »
En chiffres
- 20 structures adhérentes (9 œuvrant dans le secteur des personnes âgées, 6 dans celui des personnes handicapées et 5 dans le champ de l’aide à domicile).
- 80 personnels formés en moyenne par an grâce au réseau.
- 103 professionnels sensibilisés à la VRS.
- 35 000 euros environ de subvention de la Fondation de France (plateforme itinérante) pour 2014 et 2015.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 138 - janvier 2016