Mener une action éducative afin de faciliter une meilleure insertion sociale des jeunes dans un milieu où les phénomènes d’inadaptation sociale sont particulièrement développés [1]. C’est l’une des missions phares des éducateurs de rue. Ces professionnels interviennent ainsi dans le cadre de la protection de l’enfance et de la prévention spécialisée. Ils sont près de 4000 à exercer au sein de 300 associations selon le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS). Les autres, minoritaires, sont rattachés à un service départemental de l’enfance ou à un centre communal d’action sociale (CCAS).
Une dynamique d’alliance
Ce travailleur social œuvre auprès des jeunes, de leur groupe d’appartenance et de leur quartier. Il est souvent le seul adulte présent dans la rue qui puisse tisser avec ces adolescents, désocialisés ou en voie de marginalisation, une relation de confiance et les accompagner dans un parcours d'intégration. Sa mission débute généralement par une longue période d’approche, qui peut durer parfois jusqu’à six mois. « L'éducateur rencontre d'abord les jeunes, avant les partenaires sociaux [associations, conseils de quartier, Éducation nationale…]. Notre pratique, basée sur la libre adhésion, s’organise sans institutionnalisation a priori », précise Laurent Perroux, ancien éducateur de rue, aujourd’hui responsable de cinq équipes de prévention spécialisée à l’association Arc 75 (lire ci-dessous). « Les professionnels répondent rapidement et de manière très souple à toutes sortes de situation », complète Michel Hug, chef de service à la Sauvegarde de Haute-Saône et secrétaire du CNLAPS.
Cette immersion n’est pas toujours simple auprès de ces usagers réputés difficiles et pour lesquels tous les dispositifs existants ont parfois déjà échoué. Mais une fois la confiance acquise, l’éducateur de rue peut avancer avec eux dans une dynamique d’alliance. « Son implantation sur un secteur donné ne se fait pas au petit bonheur la chance !, précise Bernard Monnier, président d’Arc 75. Elle est extrêmement organisée et repose sur une méthodologie éprouvée. Elle permet petit à petit de dégager une connaissance et une analyse du fonctionnement des adolescents et des ressources du quartier, puis une stratégie pour mettre en place des actions éducatives adaptées », ajoute-t-il.
Il intervient aujourd’hui aux côtés d’autres acteurs sociaux. « Il y a encore dix ans, il était quasiment le seul dans la rue. Il a été rejoint par les médiateurs, animateurs ou encore les correspondants de nuit. Il lui revient donc d'évaluer comment construire sa mission en bonne cohésion avec ces nouveaux intervenants, au profit des jeunes », analyse Michel Hug. Un travail de collaboration dans une logique éducative et de protection de l’enfance pour les éducateurs et dans une logique d’animation ou de médiation pour les autres.
Un manque de candidats
Ces professionnels sont pour la plupart éducateurs spécialisés, mais aussi moniteurs éducateurs ou assistants de service social. À ce jour, aucun organisme ne prépare à cette fonction spécifique. C’est donc à « l’école de la rue » et à partir des analyses de pratiques en équipe que ce travailleur acquiert de l’expérience. Il peut néanmoins suivre une formation complémentaire au CNLAPS sur le travail de rue. Les associations manquent aujourd'hui de candidats, peut-être parce que le métier est complexe et qu’il pâtit de la mauvaise image des « jeunes des cités ». Sans oublier la crise économique et la pression de la société de consommation qui rendent parfois très difficile de répondre aux attentes des jeunes en matière de logement, d’emploi et de reconnaissance sociale.
[1] L’arrêté du 4 juillet 1972 fixe les objectifs et les modalités d’intervention des éducateurs de rue. Leur mission est aujourd’hui définie dans les articles L121-1 et L121-2 du Code de l'action sociale et des familles.
Estelle Nouel
Point de vue
Laurent Perroux, ancien éducateur de rue, responsable de pôle à Arc 75, à Paris
« L’association compte seize équipes éducatives, dont douze qui exercent dans la rue. Elles rencontrent près de 3000 jeunes par an. Le contexte de leurs interventions a beaucoup changé avec la multiplication des partenaires sur le terrain – associations, conseils de quartier, Éducation nationale, élus… –, dont les attentes sont diverses et parfois peu compatibles avec la déontologie et la pratique de terrain. C’est pourquoi l’éducateur de rue, généraliste par définition, et son chef de service doivent savoir se situer entre toutes ces institutions et développer un discours didactif et une pratique de coopération intégrant la singularité de la dimension éducative de leur mission. Celle-ci s’inscrit notamment dans une durée relationnelle qui doit prendre en compte les avancées et les difficultés propres à chaque jeune et considérer que le parcours de celui-ci n’est pas forcément régulier et linéaire. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 105 - mars 2013