Lucie Ruby, juriste de l'association Aurore
Lorsqu’elle se rend à des réunions, Lucie Ruby se sent encore un peu seule : ses rares homologues appartiennent à des organisations d’envergure nationale. Mais la juriste de l’association Aurore, à Paris, prédit un avenir certain à sa profession : « Le secteur social et médico-social se trouve un peu dans la même situation que les entreprises il y a une trentaine d’années, estime-t-elle. Les grosses structures sont pionnières pour des raisons de budget, mais la complexité croissante du cadre législatif et réglementaire devrait amener peu à peu tout le secteur à recruter des juristes. »
Au sein de sièges renforcés
Durcissement du climat social, restructurations et fusions, judiciarisation des relations avec les usagers… En quelques années, les diverses recompositions à l’œuvre dans le secteur ont conduit les gestionnaires à renforcer leurs sièges sociaux [1]. Et les juristes – jusqu’alors souvent cantonnés aux permanences d’information auprès des usagers – ont fait leur apparition dans les directions générales. « Plutôt que de recourir à des prestataires extérieurs, il s’agit de disposer en interne des compétences permettant de prévenir les éventuelles difficultés », explique Éric Pliez, directeur général de l'association Aurore.
Principale mission de ces spécialistes ? La sécurité juridique. Qu’il s’agisse de droit des contrats, des assurances, de l’immobilier ou encore du travail, l’activité des établissements et services sociaux et médico-sociaux comporte une multitude de risques. Des enjeux avec lesquels les cadres et directeurs, faute de formation juridique, « ne sont pas toujours très à l’aise », note Arnaud Vinsonneau, juriste en droit de l’action sociale et formateur consultant. Un exemple ? Tous les baux signés par l'association Aurore, notamment dans le cadre de l’intermédiation locative, passent entre les mains de Lucie Ruby. « Je vérifie que les contrats ne comportent pas de clauses contraires aux usages, qui pourraient faire porter au locataire la charge de travaux qui incombent en principe au propriétaire », explique-t-elle.
Des couteaux suisses
À côté de la prévention, les juristes jouent également un rôle-clé en cas de contentieux ou de procédure judiciaire. Conjuguée à leur parfaite connaissance du fonctionnement interne des organisations, leur proximité avec les avocats ou les notaires fait d’eux des interprètes efficaces, capables de comprendre les demandes des conseils extérieurs… mais aussi de leur expliquer les spécificités du fonctionnement des structures. « Récemment, j’ai dû expliquer à un avocat qu’il faut héberger en urgence une personne qui dort dans la rue, on n’attend pas toujours de lui qu'il ait signé un contrat », illustre ainsi Lucie Ruby.
Compte tenu de la variété des domaines dans lesquels ces professionnels peuvent être appelés à travailler, les recruteurs ont tendance à rechercher des « couteaux suisses », constate Arnaud Vinsonneau. Une erreur, prévient-il : « Il existe tellement de branches et de spécialités qu’aucun juriste ne peut être compétent dans tous les secteurs. » Son conseil ? Déterminer ses priorités pour définir le profil qui conviendra – quitte à recourir aux juristes des fédérations sur les autres aspects – et examiner soigneusement tout le parcours des candidats pour bien cerner leurs champs de compétences. « Pour cela, les structures ne doivent pas hésiter à solliciter l’aide des organisations auxquelles elles adhèrent, qui proposent généralement des services d’assistance au recrutement », signale le consultant. Autre possibilité : s’appuyer sur les ressources de son conseil d’administration. À l'association Aurore, un administrateur, notaire de profession, a ainsi été associé au processus d'embauche piloté par la direction des ressources humaines.
[1] Lire Direction[s] n° 97, p. 24
Flavie Dufour
Point de vue
Jacques Larmet, directeur général de l’Afipaeim, Isère
« Avec plus de 120 établissements et services, l’Association familiale de l'Isère pour enfants et adultes handicapés intellectuels (Afipaeim) dispose d’un patrimoine immobilier important. Début 2013, nous avons recruté une juriste à mi-temps, chargée de sa gestion et rattachée à la direction administrative et financière. Jusqu’alors, la gestion immobilière était assurée par un ingénieur sécurité, un profil très technique et qui faisait souvent double emploi avec l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Il s’agissait donc de se réapproprier vraiment la dimension juridique de ces questions. Nous avons supprimé le poste d’ingénieur au profit de celui de juriste, assimilé cadre de direction. À raison de 3 000 euros brut pour un temps plein, c'est certes un recrutement coûteux, mais il apparaît absolument indispensable pour assurer la sécurité juridique de ces dossiers, qui comportent des enjeux financiers très importants. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 116 - janvier 2014