Abdellah Eda Aif, animateur en réduction des risques au sein de l’association HF Prévention
La fonction d’animateur en réduction des risques est née en France dans les années 1990 avec l’épidémie du VIH. Sa mission ? Donner les moyens aux usagers et à leur entourage de se protéger contre les risques et les dommages sanitaires et sociaux liés à la consommation de drogues, sans forcer les personnes à arrêter et sans jugement de valeur. Depuis, cette activité – au départ exercée par des bénévoles – s’est élargie à d’autres publics (personnes prostituées, homosexuelles avec pratiques à risque, ravers…) et ne concerne plus seulement les toxicomanes.
Des « outreachers »
Le métier se caractérise par ses actions dites « outreach », c’est-à-dire qui va vers les personnes à risque sur les lieux qu’elles fréquentent. « Nous nous rendons en forêt ou sur les aires d’autoroute pour distribuer des préservatifs. C’est une façon d’engager le dialogue sur leurs pratiques sexuelles et d’apporter des messages de prévention adaptés », illustre Abdellah Eda Aif, animateur en réduction des risques au sein de l’association HF Prévention, dans les Yvelines. « Le travail essentiel est d'abord de faire émerger une parole pour connaître les difficultés rencontrées, explique Olivier Benoît, directeur des ressources humaines de l’association Aides. Dans un second temps, ces professionnels accompagnent la recherche de solutions à des aspects curatifs ou préventifs adaptées et élaborées par les populations elles-mêmes. L’idée est de les rendre actrices de leur santé. »
En cela, la réduction des risques est une des composantes de la démarche de santé communautaire. Selon les structures où ils interviennent (associations, ONG, services de politique de la ville, centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues – Caarud), cette logique est plus ou moins poussée. À l'association Aides par exemple, les animateurs prennent part à la construction de plaidoyers pour « in fine faire porter les solutions adaptées à une personne ou à un groupe dans le domaine public », poursuit Olivier Benoît.
Des savoirs à modéliser
Si les qualités d’écoute sont le dénominateur commun de ces professionnels, il n’existe pas de parcours balisés. Certains sont diplômés dans le secteur sanitaire ou social, d’autres n’ont pas le bac. « À HF Prévention, nous suivons régulièrement des modules, par exemple sur la transmission des maladies sexuelles », témoigne Abdellah Eda Aif, par ailleurs titulaire d’une licence en gestion sanitaire et sociale. La formation continue est donc un levier important.
C’est pourquoi, soutenue par Médecins du monde, Aides a créé en 2011 deux cursus en action communautaire en santé et en travail social, avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) : animateur (niveau IV) et responsable (niveau III). La formation, ouverte à d’autres publics, s’étale sur huit mois et comprend 220 heures de cours et 100 heures de stage tuteuré. « Les stagiaires apprennent à s’inscrire dans une démarche de projet, à développer des partenariats et à élaborer un argumentaire », détaille Marcel Jaeger, responsable pédagogique national. Car l’objectif est de développer des compétences complémentaires à celles acquises sur le terrain.
« À une époque, nos animateurs étaient très spécialisés sur une communauté : les gays travaillaient avec les gays, les Africains avec les africains… Aujourd’hui, la démarche se veut plus transversale, analyse Olivier Benoît. D’où le besoin de modéliser des savoirs et des savoir-faire pour animer des communautés différentes de celle dont ils sont issus. »
Alexandra Luthereau
Point de vue
Jean-Marc Priez, coordinateur au sein de l’association française de réduction des risques (AFR)
« Le métier d’animateur en réduction des risques s’est développé à partir du moment où cette conception de l’intervention a fait irruption dans le champ de la santé publique avec la création des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), en 2006. Depuis quelques années, on trouve de plus en plus d’offres d’emploi. Cette tendance tient à l'évolution de la démarche même de réduction des risques. Elle prend en compte la personne dans sa globalité et dans la réalité de ses pratiques. On ne lui demandera pas d’arrêter la consommation du produit ou d’être "clean" pour être suivie. Cette pratique bienveillante permet d’éviter les situations d’échec et d’exclusion. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 125 - novembre 2014