Dorothée Muraro, orthopédagogue
Ils sont organisés en association au Québec, formés à l’université et dans les hautes écoles en Belgique, titulaires d’un master professionnel de l’Institut libanais d’éducateurs à Beyrouth… mais encore quasi inconnus dans l’Hexagone. Récemment entrés dans les établissements scolaires, les orthopédagogues pourraient bientôt offrir leurs services dans le secteur social et médico-social.
Aider les apprenants
« L’orthopédagogue est un pédagogue spécialisé dans le domaine des sciences de l’éducation, qui évalue et qui intervient auprès des apprenants susceptibles de présenter, ou qui présentent, des difficultés d’apprentissage scolaire, en lecture, en écriture ou en mathématiques, incluant les troubles d’apprentissage », définit l’Association des orthopédagogues du Québec. « En fait, il s’agit d’aider un apprenant, quels que soient son âge et sa situation, à trouver ou retrouver sa propre stratégie d’apprentissage, grâce à des mises en situation et des exercices adaptés, décrypte Dorothée Muraro, ancienne enseignante spécialisée, docteur en philosophie et pionnière de l’orthopédagogie en France. Ces exercices mobilisent les mêmes cheminements perceptifs, émotionnels et cognitifs que ceux traditionnels, mais sans confronter l’élève aux connaissances scolaires, avec une portée vraiment transversale. » Le profil, explique-t-elle, emprunte à différentes pratiques et disciplines : psychologie et psychanalyse, sciences de l’éducation, neurosciences, gestion mentale, philosophie…
« Très collée à l’école », l’orthopédagogie ne s’est, pour l’heure, implantée en France que dans l’Éducation nationale, reconnaît Dorothée Muraro, qui assure des permanences dans quelques lycées et forme régulièrement des enseignants du rectorat de Créteil. Le métier pourrait cependant s’épanouir dans les champs du handicap, des personnes âgées, ou même dans le secteur purement social, soutiennent ses partisans. « En maison d’enfants à caractère social (Mecs), un psychologue formé à cette science pourrait à la fois travailler sur les blocages émotionnels d’un enfant, et utiliser sa mallette cognitive pour relancer la machine à apprendre », imagine Clémence Petit, psychologue spécialisée dans l’accompagnement de jeunes et d'adultes autistes Asperger (lire l’encadré).
Une science complémentaire
Une irruption que certains professionnels – orthophonistes, psychologues, enseignants… – ne voient pas d’un très bon œil, redoutant le chevauchement des périmètres d’intervention. « C’est absurde, ce sont des spécialités tout à fait différentes », balaie Marie-Hélène Piro, orthophoniste libérale à Paris, convaincue de la complémentarité des pratiques. « En orthophonie, je travaille strictement sur la mécanique neurolinguistique, explique-t-elle. Parfois, je suis convaincue que les circuits neuronaux sont bien établis, et pourtant l’enfant rate quand même tous ses contrôles. Le rôle de l’orthopédagogue sera alors de comprendre le fonctionnement intellectuel du jeune, pour lui apprendre par exemple à traiter, classer ses idées, et les mettre en relation les unes avec les autres. »
Vers un modèle à la française ?
Afin de lever toute ambiguïté, Dorothée Muraro milite pour une structuration et une professionnalisation du métier d’orthopédagogue. Car pour l’heure, difficile même de se former utilement à l’étranger. « Les profils québécois ou belge ne sont pas transposables à l’identique, l’environnement culturel et institutionnel étant très différent d’un pays à l’autre. Il faut vraiment réussir à créer un modèle à la française », soutient-elle. L’Institut français d’orthopédagogie, qu’elle a fondé, dispense déjà une initiation via un organisme de formation spécialisé. Il pourrait devenir, à terme, la première école française d’orthopédagogie.
Flavie Dufour
Point de vue
Clémence Petit, psychologue, centre associatif Talent d’as, à Paris
«Les enfants et les adultes autistes Asperger constituent un public particulier. Leur intelligence ne fait aucun doute, mais leur système de pensée est très différent du nôtre. Le système scolaire n’est pas adapté à leur profil, ce qui les place souvent en échec ; et même les professionnels spécialisés se sentent parfois un peu démunis. J’ai découvert l’orthopédagogie en effectuant des recherches, et je me suis initiée en suivant une formation de base dispensée par Dorothée Muraro. Ce n’est pas une boîte à outils : au contraire, c’est un cadre qui me permet d’être créative, de concevoir mes propres outils en fonction de chaque individu, en définissant le bon objectif d’apprentissage pour chacun et le meilleur moyen d’y parvenir. En comprendre et en expliquer les mécanismes constitue d’ailleurs une excellente façon de soulager des enfants anxieux, persuadés d’être nuls, et des parents totalement désemparés. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 138 - janvier 2016