Depuis une trentaine d’années, l’interprétation en langue des signes française (LSF) s’est considérablement développée. Selon l’Association française des interprètes et traducteurs LSF (Afils), on recense 400 diplômés, un nombre insuffisant pour répondre aux besoins estimés à 3 000 interprètes. « Le métier s’est récemment professionnalisé, mais les promotions dans les cinq universités qui délivrent les masters sont limitées et la formation accessible à bac +3 dure deux ans. Ce qui explique le peu d’interprètes disponibles sur le marché du travail », explique Stéphan Barrère, membre du conseil d’administration de l’Afils. Leur mission est de faire en sorte que deux interlocuteurs qui ne parlent pas le même langage se comprennent. « Assurer la communication en LSF est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Le professionnel doit avant tout véhiculer le sens et l’intention du message. Il est chargé de faciliter et de fluidifier la conversation, mais il n’est pas un troisième interlocuteur ! », souligne Sophie Pointurier Pournin, directrice de la section Interprétation en LSF de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (Esit) de l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle.
Un traducteur à l'écoute
Son statut dépend de la structure qui l'emploie. « 80 % d'entre eux sont salariés dans des associations ou bien agents de collectivités territoriales », indique Stéphane Barrère. Ils exercent ainsi auprès des pôles Santé-surdité (en réseau hospitalier ou centre médico-psychologique), des maisons départementales des personnes handicapées (MPDH) ou des services sociaux. « Malheureusement, certaines structures ont recours à des personnes qui s’improvisent interprètes car elles connaissent un peu la langue des signes. Cela ne suffit pas. Si la conversation est mal traduite, les conséquences peuvent être dramatiques pour les personnes sourdes. Le professionnel veille ce que le message dans son ensemble et toutes ses subtilités soient bien transmis et surtout bien compris », insiste Sophie Pointurier Pournin. Pour cela il est donc important qu’il garde une certaine distance et une certaine impartialité quelle que soit la situation qu’il transcrit. « Ce que certains usagers sourds ou mal entendants prennent parfois pour de la froideur », regrette Stéphan Barrère.
Un métier exigeant
Les interprètes ont également à respecter l’obligation du secret professionnel dans les échanges qu’ils traduisent. « C’est parfois compliqué. S'ils sont directement salariés d'un établissement ou service, certains employeurs estiment avoir le droit de savoir ce qu’il s’est dit lors d’un entretien entre un usager et une assistante sociale. Or, les interprètes n’ont pas à livrer d’informations confidentielles », poursuit Sophie Pointurier Pournin.
« Le métier d’interprète en LSF exige de l’écoute, de la présence et beaucoup de concentration. Traduire les paroles et les événements de la vie d’autrui n’est pas un acte anodin, intellectuellement et affectivement. Selon les règles de la profession, l'interprète doit pouvoir "récupérer" entre deux entrevues, surtout s’il passe dans la journée d’une situation à une autre pour un rendez-vous à l’hôpital puis dans une structure par exemple. Malheureusement, les professionnels du secteur ne le comprennent pas toujours », assure-t-elle. L’interprète doit donc négocier des conditions de travail qui prennent en compte cette fatigabilité.
Vers un regroupement des professionnels ?
Aussi, pour faire face à cette pénibilité, les interprètes optent pour le statut d'indépendant ou se regroupent pour mieux s’organiser en créant leur propre structure professionnelle sous forme d'association telle que l’Afils ou de
société coopérative ouvrière de production (Scop) afin d'exercer dans les meilleures conditions possibles pour eux comme pour les usagers. L’objectif, entre autres, est de donner une certaine visibilité à leur profession auprès des structures sociales.
« Il y a un vrai travail de sensibilisation à réaliser en amont pour expliquer qui nous sommes, notre façon d'exercer et surtout notre éthique professionnelle », ajoute Sophie Pointurier Pournin. Depuis quelques années, le métier se développe avec l’essor de nouvelles technologies : la visio-interprétation – une webcam sur un ordinateur – permet ainsi d’avoir recours à un interprète à distance, une évolution qui permet de compenser le manque de professionnels disponibles.
Marina Al Rubaee
Le financement des interprètes
Les conseils généraux ont un budget spécifique pour financer l’intervention des interprètes, un droit fondamental pour toutes les personnes sourdes. Mais les services sociaux n'y ont pas systématiquement recours. En outre, les fonds alloués sont inégaux d’un territoire à l’autre. Néanmoins, la loi du 11 février 2005 permet à une personne sourde de faire appel aux services d’un professionnel grâce à la prestation compensatoire du handicap (PCH), délivrée par les MDPH. L’enveloppe de cette aide humaine est en moyenne de 300 euros par bénéficiaire et par mois.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 128 - février 2015