François-Xavier Vrait, musicothérapeute à la faculté de médecine de Nantes
«La musique fait ressurgir des souvenirs, des émotions, et aide les patients qui ne communiquent plus à maintenir des relations sociales, assure Stéphanie Lefebvre, musicothérapeute. En maison de retraite, certains usagers reçoivent peu de visite. La musicothérapie rompt l’ennui et l’isolement.» Au centre gériatrique de la Fondation Condé, à Chantilly (Oise), cette musicienne professionnelle intervient dans les chambres individuelles et joue, sur son piano mobile, des airs d’Yves Montand et d’Edith Piaf. Ici, la musique n'est plus seulement un art, elle apaise douleur, angoisse et anxiété.
Un large spectre
Apparue en France lors de la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion des médecins américains qui l’utilisaient pour soulager les traumatismes des soldats, la musicothérapie s’est professionnalisée dans les années 1970. Si l'activité a débuté en psychiatrie, aujourd'hui, son champ d'action s'est diversifié : centres hospitaliers (soins palliatifs, néonatalogie, cancérologie), centres et instituts spécialisés (instituts médicaux éducatifs, maisons d'accueil spécialisé, centres médico-psychologiques), établissements d'hébergement pour personnes âgées (Ehpad). Les musicothérapeutes interviennent tant auprès des enfants polyhandicapés ou autistes que des personnes plus âgées atteintes de psychose ou d’Alzheimer. «Quand le language verbal est détruit, la mémoire musicale est ce qui reste. Cette pratique permet aux patients d’entrer en relation avec les autres et de maintenir leurs compétences cognitives», analyse Patrick Troubadour, délégué national de la Fédération française de musicothérapie (FFM).
Selon le public, les musicothérapeutes exploitent des techniques dites réceptives, basées sur l’écoute musicale, ou actives, soit la production sonore par la voix, le corps et les instruments. «Pour l’enfant autiste, le language verbal peut-être perçu comme menaçant. Les instruments de musique lui permettent de communiquer. Les professionnels utilisent des supports plus ludiques et rassurants», décrypte François-Xavier Vrait, coordinateur pédagogique du diplôme universitaire de musicothérapie à la faculté de médecine de Nantes.
Cette prise en charge thérapeutique est prescrite par les médecins ou les psychologues. Lors du suivi du projet personnalisé du patient, le professionnel est intégré à une équipe pluridisciplinaire et est tenu au secret professionnel. «Il apporte un complément au travail de rééducation de l’orthophoniste ou de l’éducateur. La musique favorise la concentration, le respect des consignes et l’inclusion de l’enfant. Comme les autres professionnels, il réalise des bilans trimestriels et participe aux réunions», indique Delphine Roussiau, chef de service à l’institut médico-éducatif (IME) Alain de Chanterac, à Florentin (Tarn), qui accueille 80 enfants déficients intellectuels, autistes ou polyhandicapés.
Outre une culture musicale, des connaissances de psychopathologies sont requises. Les musicothérapeutes proviennent d’horizons divers : santé, social, éducation ou musicologie. Six centres de formation sont agréés par la FFM. Les universités de Montpellier, Paris Descartes et Nantes délivrent des diplômes universitaires (DU). Des écoles proposent des certifications : l’atelier de musicothérapie de Bourgogne, celui de Bordeaux, ainsi que le Centre international de musicothérapie. La FFM impose 350 heures de théorie et 200 heures de stage.
Un manque de reconnaissance
Toutefois, la profession n’est pas reconnue dans les conventions collectives et n’est pas réglementée par le Code de la santé publique. Selon la FFM, les musicothérapeutes sont estimés entre 1 500 et 2 000, et près de 200 sont affiliés à la fédération. Ils sont le plus souvent embauchés sur un autre intitulé de poste, et la profession ne figure pas dans les grilles salariales. «C’est une classification inconfortable pour les recruteurs et un frein à l’embauche», regrette François-Xavier Vrait. A l’IME de Chanterac (Dordogne), le musicothérapeute est employé sur un poste de moniteur-éducateur.
Confronté aux contraintes budgétaires des institutions, ces professionnels exercent souvent en libéral, en vacataire ou prestataire de service. De même, les rémunérations sont très variables, en moyenne entre 40 et 50 euros de l’heure. «Être intervenante extérieure dans plusieurs établissements implique de s’adapter à des services différents et nécessite une discipline pour entretenir des liens de transmission. S’il y a un turn-over dans la structure, il faut à chaque fois communiquer sur ses missions et la pertinence de ses pratiques», pointe Stéphanie Lefebvre. Pour donner plus de visibilité et réglementer la profession, une charte déontologique et un référentiel métier, qui décrit les missions et les compétences requises, ont été établis.
Adeline Farge
Avis d’expert
Ilda Ferreira, directrice adjointe du centre gériatrique Fondation Condé, à Chantilly
«Au départ, les aides soignantes ne voyaient pas l’intérêt de la musicothérapie. L’implantation de la pratique s’est faite progressivement. Au fil des séances, des évolutions ont été notées. Les patients étaient moins agressifs, la toilette devenait plus facile. Aujourd’hui, la musicothérapeute est intégrée dans l’équipe pluridisciplinaire et participe aux réunions. A ce stade, l’équipe soignante et le médecin-cadre identifient les patients pour qui la méthode pourrait être bénéfique, et des objectifs thérapeutiques sont fixés. Nous constatons que, bien souvent, les personnes âgées préférent se confier à la musicothérapeute. A chaque fin de séance, cette dernière intègre ses transmissions dans le dossier médical du patient. Nous allons aussi proposer au personnel de participer à des ateliers de chant encadré par la musicothérapeute. Cette expérience sera l’occassion pour les professionnels d’entrevoir les apports de cette discipline et de créer du lien entre les équipes.»
Publié dans le magazine Direction[s] N° 130 - avril 2015