Contrairement à un interprète en langue des signes française (LSF) qui traduit de manière fidèle, sans ajout ni omission, l’intermédiateur interpelle directement la personne sourde pour s’assurer qu’elle a bien compris le message. Sourd comme cette dernière, il partage avec elle une langue mais aussi une culture commune. Ce nouveau profil complète ainsi le trio formé par l’interprète LSF, le professionnel (soignant, travailleur social, juge…) et la personne sourde. « L’intermédiateur, c’est la sécurité linguistique. Face à un médecin ou un travailleur social, il y a toujours un rapport de forces, un rapport asymétrique. Très nombreux sont les sourds qui n’osent pas dire qu’ils n’ont pas compris. Il faut être très vigilant pour s’assurer qu’il n’y a pas de malentendu, c’est tout l’intérêt de l’intermédiation », souligne Jean Dagron. Ce praticien hospitalier fut à l’origine de l'ouverture de la première unité d’accueil et de soins pour sourds (UASS). C’était à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière en 1995. Aujourd’hui, il existe 20 structures de ce type en France. Rattachées à un établissement hospitalier, elles se composent de professionnels issus aussi bien du champ sanitaire que social (assistante sociale, éducateur spécialisé…).
Favoriser l’autonomie
L’intermédiateur est né avec l’apparition de ces unités. L’appellation n’a été fixée qu’en 2006, un an après la loi du 11 février 2005 reconnaissant officiellement la LSF. « Nous ne voulions pas du terme "accompagnant" car le sourd n’a pas besoin d’être accompagné. Le problème est d’ordre linguistique et culturel. Sa mission est de permettre aux sourds d’être autonomes », insiste Joëlle Blanchard, intermédiatrice à l’UASS de Grenoble. Cette éducatrice spécialisée de formation est aussi responsable de la licence professionnelle d’intermédiation créée en 2014 à la faculté Aix-Marseille. Un cursus accessible aux personnes sourdes titulaires d’un bac +2 dans les métiers du social ou de la santé. Sept personnes sont sorties diplômées la première année, cinq l’année qui vient de s’écouler.
Si beaucoup d’entre eux exercent au sein des unités d’accueil et de soins pour sourds, quelques-uns intègrent peu à peu des associations du champ social et médico-social : services sociaux d’instituts pour sourds, services d’interprétation et d’intermédiation ou encore l’association Sourdmédia (lire l'encadré). « Pour exercer, être sourd ne suffit pas car ce n’est pas une compétence en soi. Ce serait comme penser que parler français suffirait pour devenir professeur de français. Pour être intermédiateur, il faut avoir certaines aptitudes que l’on retrouve dans le médico-social telles que l’empathie, la capacité de percevoir les enjeux… », souligne Christophe Caron, son directeur.
Faire évoluer les mentalités
Pour que ce profil se développe, plusieurs freins restent encore à lever : améliorer l’accessibilité des diplômes du social et de la santé aux sourds pour qu'ils puissent s’orienter ensuite vers l’intermédiation, mais aussi faire évoluer les mentalités de l’ensemble des acteurs susceptibles d’accompagner d’une manière ou d’une autre ce public. « Il y a beaucoup de progrès à faire dans ce domaine quand on voit que certains n’ont même pas le réflexe de l’interprète. Beaucoup pensent que la lecture labiale suffit. Or, en moyenne, une personne sourde ne comprend qu’un mot sur trois », précise Christophe Caron. Et enfin, comme le souhaite Jean Dagron, il faudrait inscrire l’intermédiation au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) : « Nous organisons un colloque en avril 2017 à l’université de Marseille [1]. Nous espérons faire avancer cette question-là. »
[1] Présidé par Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), auteure du rapport parlementaire « Le droit des sourds » en 1998.
Aurélie Vion
Point de vue
Christophe Caron, directeur de l’association Sourdmédia dans le Nord
« Au sein de notre association, quatre professionnels travaillent en tant qu’intermédiateurs. Ils interviennent avec une double casquettes puisqu’ils sont aussi accompagnant éducatif et social (AMP), moniteurs éducateurs ou mandataire judiciaire. Ils exercent au sein de notre service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS) ou suivent des sourds faisant l’objet d’une mesure de protection. Leur mission consiste en une prise en charge éducative qui s’inscrit dans une démarche d’apprentissage de l’autonomie. Ce qui s’est beaucoup développé récemment c’est l’intervention des intermédiateurs auprès des juges dans le cadre de la protection des majeurs. L’interprète traduit en effet le vocabulaire juridique car nombreux sont ceux qui ne comprennent pas et n’osent pas le dire. J’ai par exemple rencontré un sourd qui faisait l’objet d’une mesure depuis dix ans qui ne savait pas qui était la personne en face d’elle, c’était pourtant le juge ! Cela montre toute l’étendue de notre mission… »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 146 - octobre 2016