Alain Rigaud, médecin addictologue. © FNMF-N.Mergui
La plupart sont généralistes ou psychiatres. Dans une moindre mesure, ils sont aussi gastro-entérologues, pneumologues, ou médecins du travail : les médecins addictologues appartiennent à des spécialisations différentes. « Les plus jeunes d'entre eux ont passé un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) en addictologie, reconnu par l'Ordre des médecins. Mais avant 2000, ils se spécialisaient grâce à leur pratique, et ont pu obtenir des titres non qualifiants, type diplôme universitaire (DU) ou capacité. Aujourd'hui, ils peuvent se qualifier via la validation des acquis par l'expérience (VAE) », décrit Alain Rigaud, chef du service addictologie à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne et président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa).
ette évolution n’est pas surprenante : la discipline est relativement récente et, depuis les années 1980, le milieu a beaucoup évolué. D’une sectorisation par produit, il est passé à une approche transversale entre les secteurs sanitaire (services hospitaliers d’addictologie, équipes de liaison et de soins en addictologie – Elsa) et médico-social (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie – Csapa). Même si certaines structures sont spécialisées, toutes sont aptes à repérer, accueillir et évaluer les comportements problématiques : alcool, tabac, drogues illicites, médicaments et produits chimiques détournés, jeux d’argent et de hasard, jeux vidéo et en réseau, sexe, sport, travail…
Une ressource rare
Toutes peuvent faire appel aux médecins addictologues, notamment des praticiens hospitaliers qui peuvent exercer des vacations en Csapa. Exceptionnellement, ils peuvent intervenir en centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud). Mais aussi assurer des activités de prévention et de prise en charge en milieu carcéral, en centres de protection maternelle et infantile (PMI), de planification et d'éducation familiale (CPEF), médico-psychologiques (CMP), d'action médico-sociale précoce (Camsp), ou encore en maisons départementales des solidarités (MDS), en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)… « Pour autant, le médecin addictologue est une ressource rare, souligne Alain Rigaud. Il n'est que rarement sollicité en premier lieu, sauf pour exercer une fonction d'expertise, comme asseoir un diagnostic par exemple. »
Pluridisciplinarité et réseau
« L'addiction existe lorsque le produit ou le comportement n'a pas seulement une visée récréative, mais est utilisé pour contrebalancer des difficultés de vie, explique le psychiatre. Elle doit donc faire l'objet d'un travail en réseau, pluridisciplinaire avec des professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux. La prise en charge repose sur un projet de vie où l'aspect médical ne constitue qu'une partie. » Dans ce contexte, les médecins addictologues assurent plusieurs missions : évaluer et diagnostiquer, rédiger le projet de soins, prescrire et suivre les traitements (médicamenteux, substitution, thérapies…), établir le lien avec le médecin traitant, coordonner l'équipe. En effet, il travaille avec des psychologues, travailleurs sociaux et éducateurs, infirmiers, conseillers en économie sociale et familiale (CESF)…, spécialisés pour la plupart.
L'autre rôle-clé est de construire et formaliser des partenariats et des conventions avec des correspondants extérieurs : « Les structures sociales ou médico-sociales hésitent trop souvent à contacter les Elsa ou les Csapa en cas de besoin, alors que l'entretien du réseau de proximité est essentiel, souligne Alain Rigaud. Ou même appeler les médecins pour un avis ou une consultation, ce qui peut retarder la prise en charge. » D'où un fort enjeu autour de la prévention et de la formation : l'addictologue travaille avec son équipe pour concevoir des programmes de sensibilisation des salariés dans les établissements qui le demandent. « Ils leur apprennent à repérer les personnes à risques ou ayant une réelle conduite addictive. Les professionnels non médicaux deviennent moins hésitants, explique l'addictologue. Ils savent quel réseau activer et favorisent ainsi l'accès à une prise en charge. »
Caroline Guignot
Point de vue
Éliane Herran, médecin addictologue, Csapa et centre hospitalier de Bayonne
« Le repérage des conduites addictives est de plus en plus intégré dans la pratique des professionnels non médicaux des établissements sociaux et médico-sociaux. Mais toutes les addictions ne sont pas sur le même pied d'égalité : la problématique alcool rencontre une vraie difficulté à être abordée, notamment en périnatalité, car elle reste tabou, surtout chez les femmes. Et lorsque les professionnels osent l'évoquer, ils ne sont pas toujours assez entreprenants, pensant parfois que la prise en charge psychosociale peut suffire. Mettre des mots ne peut pas tout régler. Idéalement, il faudrait organiser des vacations d'addictologie dans les structures qui accompagnent les femmes enceintes ou en âge de l'être : PMI, MSD, foyers CPEF… Faute de moyens, elles devraient solliciter plus souvent les addictologues. Le repérage en périnatalité, plus que tout autre, devrait être systématique. Une meilleure coordination entre les structures des différents secteurs devrait aussi réduire le nombre de femmes perdues de vue en sortie de maternité. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 140 - mars 2016