Le métier d'écrivain public trouve une nouvelle jeunesse dans le domaine social. C'est Franck Danger, créateur il y a douze ans d'un service gratuit d'écriture publique dans le Gard et le Vaucluse, qui est à l'origine de la dénomination d'écrivain public à vocation sociale (EPVS). « Logement, retraite, couverture santé, chômage, allocations pour les personnes handicapé, etc. J'étais sollicité uniquement sur des démarches d'accès aux droits », explique-t-il.
Aujourd'hui, les associations professionnelles recensent environ 250 personnes rémunérées pour cette fonction. Leurs employeurs ? Notamment des centres communaux d'action sociale (CCAS), des services sociaux des départements, des centres sociaux ou encore des maisons de justice et du droit. En pointe sur le sujet, la ville de Grenoble en emploie dix dans ses Maisons des habitants (équivalent des centres sociaux) dans le cadre de sa politique d'accès aux droits (lire l'encadré).
Faire avec
Les missions de l'EPVS sont l'aide à la lecture, à la rédaction et à la compréhension de documents, l'information sur les droits et les recours existants, l'assistance dans les démarches administratives, et l'orientation vers des relais spécialisés. Il est sollicité sur une grande diversité de sujets et acquiert une expertise sur les plus fréquents : monter un dossier de surendettement, faire valoir ses droits à la retraite, solliciter un logement, une aide à la complémentaire santé, le RSA, engager un recours amiable ou contentieux en cas de refus… « Notre posture n'est pas de faire à la place des personnes mais plutôt avec elles, afin de les rendre autonomes, dans la mesure de leurs capacités, précise Franck Danger. La plupart d'entre elles ne sont pas illettrées mais ne connaissent pas les rouages et les procédures administratives. A fortiori sur Internet et alors que les administrations suppriment des points d'accueil. » En plus de connaissances linguistiques et juridiques, le métier nécessite un savoir-faire relationnel pour recevoir les gens, les mettre en confiance et les faire participer.
Si l'EPVS repère qu'un usager a droit à certaines aides mais n'en bénéficie pas, il l'informe de ses possibilités et lui explique comment y accéder, luttant ainsi contre le non-recours aux droits. Il a enfin un rôle d'alerte : s'il constate qu'une loi n'est jamais appliquée, il peut en avertir le Défenseur des droits et les élus locaux.
Une intervention ponctuelle
Franck Danger reçoit 1200 personnes par an et traite un ou plusieurs dossiers pour chacun. Les entretiens durent une demi-heure et 85 % des bénéficiaires ne viennent qu'une seule fois. À la différence d'une assistante de service social, l'EPVS n'assure pas de suivi social global, mais intervient de manière ponctuelle. « Nous travaillons en lien étroit avec les assistantes sociales et de manière complémentaire, explique-t-il. Je les décharge des démarches administratives, leur permettant ainsi de se consacrer à l'accompagnement et aux problèmes de fond ». À Orange (Vaucluse), sa permanence n'est accessible que sur orientation du service social du département. Dans le Gard, une trentaine de prescripteurs, dont le délégué du Défenseur des droits et le conciliateur de justice, lui adressent des bénéficiaires.
Bientôt une licence
Côté formation, pour devenir écrivain public il existe notamment une licence professionnelle à l'université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle et un DU d'écrivain public auteur conseil à Toulon, plus spécialisé sur ce rôle social, qui doit être bientôt remplacé par une licence d'EPVS. L'enjeu pour la profession ? Obtenir la reconnaissance et un encadrement de ce métier, afin qu'il ne puisse pas être exercé par n'importe qui. « Confier ces missions à des bénévoles non formés est risqué, en cas d'erreur cela peut être préjudiciable à l'usager », souligne Franck Danger.
Mariette Kammerer
Point de vue
Ulrike Woern, écrivaine publique à vocation sociale, Maison des habitants Le Patio, à Grenoble
"Les permanences d'accès aux droits de la Maison des habitants sont ouvertes sur ou sans rendez-vous à toute personne en difficulté avec l'écrit ou le français, ou ne sachant pas se repérer dans des démarches administratives complexes. Nous allons proposer des permanences connectées en binôme avec un intervenant d'Emmaüs Connect, pour accompagner les formalités sur Internet. J'anime aussi des informations collectives (sur les démarches liées à la retraite, la couverture maladie universelle complémentaire – CMU-C, l'aide médicale de l'État – AME, au RSA), parfois avec des spécialistes. J'identifie les situations de non-recours aux droits, grâce notamment à une grille de questions fournie par l'Observatoire Odenore. La moitié de mon temps de travail porte sur la coordination d'actions socio-linguistiques pour un public étranger : je reçois les personnes inscrites aux formations pour établir un diagnostic de leur situation administrative et de leurs besoins d'apprentissage. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 158 - novembre 2017