Prendre rendez-vous à la caisse d’allocations familiales, déclarer ses impôts, activer ses droits au chômage, postuler à une offre d’emploi… Ces formalités à remplir en ligne, qui envahissent notre quotidien, pénalisent ceux qui n’ont pas accès à Internet ou ne maîtrisent pas ces outils. Dans les quelque 10 000 lieux dédiés (médiathèques, centres sociaux, maisons de services au public, points information jeunesse…), les médiateurs numériques familiarisent ces non-connectés aux usages des nouvelles technologies.
De l’apprentissage…
Au menu ? Découverte de la bureautique, navigation sur le Web, création d’une messagerie, rédaction d’un CV en ligne, ou encore inscription sur un site. Outre apprendre à se servir d’un ordinateur, ces professionnels accompagnent les personnes dans leurs relations 2.0 avec les services publics ou la recherche d’emploi. « Ne pas maîtriser les bases de l’informatique est un handicap. Notre mission est d’aider les usagers à devenir autonomes sur la toile pour qu’ils puissent faire valoir leurs droits », témoigne Laurence Véron-Dor, médiatrice numérique à l’Espace public numérique (EPN) des Olympiades, à Paris.
… à l’innovation sociale
À côté de ces formations pour débutants, les médiateurs initient les plus avancés aux nouvelles pratiques du numérique (codage, impression et modélisation 3D) et impulsent depuis les laboratoires des projets innovants et collaboratifs. Apparue à la fin des années 1990, en même temps que les EPN, la médiation numérique ne se cantonne plus à l’outil et aux activités multimédias. Nouveau challenge ? Amener les utilisateurs à développer un esprit critique sur ces technologies. Ainsi, les professionnels organisent des ateliers sur l’e-réputation, l’identité numérique ou encore les réseaux sociaux. « Notre objectif est de prévenir les dangers sur le Net, comme l’addiction aux écrans et le cyberharcèlement », précise Judicaël Denecé, responsable coordinateur de l’EPN 19, à Paris.
À travers un accueil individualisé et des formations collectives, ces « couteaux suisses » interviennent souvent auprès des plus précaires : demandeurs d’emploi, bénéficiaires des minima sociaux, personnes handicapées, seniors isolés. « Les médiateurs ne sont pas seulement des techniciens. Ils vulgarisent et adaptent leur pédagogie au public », précise Yann Vandeputte, médiateur numérique au centre social Le Relais 59, à Paris. Ils collaborent avec des assistantes sociales, des juristes, des éducateurs spécialisés, des conseillers emploi et formation. « Nous ne nous substituons pas aux travailleurs sociaux. Nous n’avons pas l’expertise pour résoudre des problématiques complexes. Nous orientons les personnes nécessitant une prise en charge vers les acteurs spécialisés », insiste Judicaël Denecé. D’autant que dans ce cadre, elles ne sont pas protégées par le secret professionnel.
Une profession en mal de reconnaissance
Nombre de médiateurs viennent du secteur de l’animation, avec en poche un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS). Un arrêté du 26 no-vembre 2015 a créé le titre professionnel de niveau III de conseiller médiateur numérique, inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Reste que les médiateurs ne sont pas reconnus par les conventions collectives et sont souvent recrutés sur d’autres intitulés de poste. « Ils manquent encore de légitimité. Les décideurs ne saisissent pas toujours l’enjeu du numérique. Cela se répercute sur leur évolution de carrière », pointe Yves Sibilaud, président de l’Association régionale de soutien aux EPN de l’information et de la communication (Arsenic). Pour assurer une visibilité et structurer la filière au niveau national, la Coopérative des acteurs de la médiation numérique (MedNum) a été lancée en novembre 2016.
Adeline Farge
Point de vue
Marie-Noëlle Grandjean, responsable de l'antenne sociale de Planoise, CCAS de Besançon
« Garantir l’accès aux droits est l’un de nos axes forts. Depuis septembre 2016, tous les jeudis matins, un travailleur social et un jeune en service civique anime à l’EPN des ateliers pour aider les personnes précaires dans leurs démarches administratives en ligne. Nous avons aussi revu nos postures d’accueil en interne pour aller au-devant des usagers en difficulté derrière leur écran. Beaucoup sont très éloignés de l’informatique et sont perdus sur les différents sites. Notre but est de les rendre autonomes. Pour lutter contre la fracture numérique, il est essentiel de travailler avec les médiateurs. Les professionnels du social connaissent mieux le langage administratif, mais les médiateurs sont plus habiles sur les technologies, plus à même de former les débutants à l’utilisation des outils. Nos compétences sont complémentaires. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 151 - mars 2017