Depuis le début de l'année 2016, environ 300 familles comptant un enfant ou un jeune adulte en situation de handicap bénéficient du soutien d'un des dix assistants au projet de vie (APV) actuellement en fonction. La fédération d'employeurs Nexem, qui pilote cette expérience, entend l'inscrire dans la droite ligne de la loi Handicap de 2005 et surtout des orientations du rapport Piveteau « Zéro sans solution » de 2014. Jacques Daniel, administrateur et référent du dispositif, précise : « L'ambition est de leur permettre de définir un projet de vie, quel que soit le handicap, et de le mettre en œuvre, tout en renforçant les parents dans leurs compétences. Il ne s'agit pas d'un accompagnement direct de la personne, mais de se positionner à ses côtés ». Une façon, pointe Véronique Nonon, présidente de Trisomie 21 Ardennes, de dépasser « le cloisonnement qui caractérise le secteur du handicap ».
« Ni assistante sociale, ni éduc' spé »
La fonction a été délimitée avec les cinq associations gestionnaires [1] engagées dans le projet. « Pour construire ce qui s'apparente au référentiel d'un métier qui n'existe pas encore, nous avons entrepris une longue réflexion pour définir ce qui est complémentaire aux autres fonctions du secteur. Car les familles n'ont pas seulement besoin de places en établissement ! », explique Anne Drouhin, directrice du pôle Enfance de l’Association départementale des amis et parents de personnes handicapées mentales Var-Méditerranée (Adapei 83). Les associations ont recruté chacune des profils correspondant le plus à leur activité, professionnels débutants comme confirmés, puis les ont formés en interne.
Quand Justine Pionnier (diplômée d'un master spécialisé handicap), assistante au projet de vie au sein de Trisomie 21 Ardennes, se présente aux familles, elle commence à énoncer ce qu'elle n'est pas : « Ni assistante sociale, ni éducatrice spécialisée ». Puis, elle explique concrètement ce qu'elle peut leur apporter : « Les aider à se projeter en échangeant, les accompagner dans leurs démarches, analyser ensemble la prise en charge en cours, ce qui fonctionne ou non, ou encore faire le lien entre les professionnels qui les entourent ». Elle insiste : « Je ne fais pas à leur place. Je pars des besoins exprimés et j'interviens comme "facilitatrice" ». Véronique Comes, APV à mi-temps à l'Adapei 83, remarque qu'elle a à faire à deux types de publics : « Des familles qui viennent de vivre l'annonce du handicap, avec lesquelles il faut construire, et des familles en rupture de parcours, qui ne disposent plus de personnes ressources, et pour certaines en situation d'urgence, avec qui il faut reconstruire ». Il n'est pas rare de recevoir des familles qui vont s'adresser pour la première fois à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) alors que leur enfant est déjà un grand adolescent. Véronique Comes, qui est aussi assistante sociale, souligne que l'un de ses atouts, à la différence d'autres professionnels, est de « ne pas être dans le quotidien et d'avoir la liberté d'innover ». Par exemple, en faisant appel à des bénévoles pour maintenir un petit dans une crèche. Avec ce profil, les parents parlent de leur enfant mais aussi de leurs propres souhaits, comme reprendre une activité professionnelle. Sur les 200 familles suivies, une majorité ont un enfant autiste ou un jeune adulte souffrant de troubles psychiatriques.
Une expérience à modéliser
Les acteurs du projet en tirent un bilan positif : « La démarche vient bousculer le secteur médico-social qui fonctionne par projet d'établissement alors que nous faisons émerger des parcours individuels. Ce qui n'empêche pas que nous ayons de très bons retours, notamment des MDPH qui ont face à elles des familles avec qui il est plus simple de dialoguer », souligne Jacques Daniel. Pour poursuivre l'aventure [2] et développer la fonction à l'ensemble du territoire, Nexem entend désormais convaincre la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et le ministère des Solidarités et de la Santé.
[1] Adapei 83, Papillons Blancs de Bergerac, Trisomie 21 Alpes-Maritimes, Trisomie 21 Ardennes, Trisomie 21 Aquitaine à Bordeaux, Agen et Pau.
[2] L'expérience est soutenue par l'Ocirp et les institutions de retraite complémentaires du groupe Klésia, et, à l'échelon local, par différentes ARS et CAF, ainsi que par la communauté d'agglomération bergeracoise (CAB).
Sophie Le Gall
Avis d'expert
Jean-Benoît Dauphin, responsable médical et directeur technique au centre d’action médico-sociale précoce (Camsp) de Dordogne
« À l'annonce d'un diagnostic, comme celui de la trisomie, les parents ont beaucoup de démarches à enclencher : consulter des spécialistes, s'adresser à la MDPH… L'assistant au projet de vie va leur permettre de faire une pause, constructive, dans ce tourbillon : déterminer les priorités, voir comment articuler les aides ou encore anticiper les prochaines étapes, comme penser l'aménagement de la maison ou envisager la scolarité. Sur notre territoire en particulier se pose aussi la question de l'isolement et de l'éloignement des ressources médicales (un rendez-vous chez un spécialiste peut occuper toute une journée), qui est un obstacle supplémentaire à prendre en compte. Cet expert des problématiques liées au handicap va les aider à dépasser les cloisonnements entre spécialistes et entre soins et médico-social. Dans les familles que je reçois au Camsp, je vois une réelle différence pour celles qui bénéficient déjà de ce service. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 160 - janvier 2018