Quand Michèle Fitamant, à la direction de la culture, du sport et de la jeunesse au conseil départemental du Finistère, a organisé un rapprochement entre les bibliothèques et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du territoire, elle a fait le constat suivant : « Ce sont deux réseaux qui se ressemblent, notamment de par le public accueilli – les personnes âgées qui peuvent se déplacer fréquentent en nombre les bibliothèques – et qui, pourtant, semblent peu se connaître ». Et les bibliothèques sont nombreuses [1] à agir un faveur des publics dits « empêchés » selon la terminologie du secteur culturel, qu'il s'agisse des personnes âgées, handicapées, sous main de justice ou encore ne maîtrisant pas la langue française. Selon une étude du Crédoc, 87 % des bibliothèques mettent en place au moins une action en leur faveur : 80 % pour des personnes handicapées (principalement non voyantes et malvoyantes), 62 % en direction des patients d'établissements de santé et 55 % vers des personnes sous main de justice. Mais cette activité n'est pas toujours très visible. Depuis quelques années, des agents des bibliothèques [2] s'emploient à valoriser et à développer des ressources particulières à ces publics.
Manque de moyens humains
« Les bibliothèques n'ont pas d'obligation à mettre en place des actions spécifiques et il n'y a pas de cadre réglementaire. On trouve souvent un référent informatique mais pas un référent handicap ! », regrette Catherine Vosgien, qui s'est « autoproclamée référente handicap » de la médiathèque Anne Fontaine d'Antony (Hauts-de-Seine), et par ailleurs membre de la commission Accessibib de l'association des bibliothécaires de France (ABF) [3]. « L'agent en question s'engage parce que le sujet ou le contact avec un public en particulier l'intéresse », ajoute-t-elle. Revers de la médaille ? « Quand une action repose sur une seule et même personne qui remplit toutes les fonctions – penser, organiser et accueillir –, il y a un risque d'usure et même d'arrêt si elle est mutée ou part à la retraite », alerte Catherine Vosgien. Pour élargir son action, la référente a mis en place, soutenue par une assistante sociale hospitalière et un médecin, une séance de sensibilisation à l'accueil des publics empêchés pour tout le personnel de la bibliothèque.
Intervention au cœur des établissements
Avec l'aval de sa direction, l'agent peut se former auprès du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et acquérir des ouvrages adaptés (en braille, facile à lire et à comprendre – FALC…), organiser des animations (expositions, débats, aide à la maîtrise de l'informatique…) et nouer des partenariats avec les établissements sociaux et médico-sociaux. Ceux-ci peuvent s'inscrire dans un réseau plus large, notamment en relation avec le service Handicap de la ville et du département. L'objectif est de faire venir les publics en bibliothèque, comme d'introduire les livres sur leur lieu de vie.
Le département du Finistère a pris soin de sensibiliser les bibliothécaires sur le bon positionnement à adopter face à des personnes parfois très isolées. Pour sa part, Catherine Vosgien a développé, à la demande de parents, une section de livres jeunesse pour les enfants dyslexiques, et s'est tournée, de sa propre initiative, vers un hôpital psychiatrique, lui prêtant des livres et formant la bibliothécaire de l’établissement. « Des patients de l'hôpital viennent environ toutes les six semaines dans nos murs. Ces visites reposent là aussi sur le volontariat d'un agent hospitalier. S'il est absent, leur venue peut être annulée », souligne-t-elle. Bibliothécaire à Concarneau, Maryannick Beyou a, quant à elle, été contactée par différents établissements « dont un institut médico-éducatif (IME) qui cherchait un lieu d'exposition pour valoriser les œuvres des jeunes. Depuis, nous avons noué des liens ». Elle propose des actions dans le cadre du programme local de réussite éducative, comme des « goûters philo », et est en train de constituer un fond d'ouvrages pour aider les bénévoles d'une association de personnes allophones. « Je suis partante pour répondre à toute demande des établissements. Je constate qu'il faut être réactif pour ne pas décourager », ajoute Maryannick Beyou. « Les secteurs sanitaire et social devraient davantage solliciter les bibliothèques. La demande crée l'offre ! », conseille Catherine Vosgien.
[1] « Lecture publique et publics empêchés », étude du Crédoc, 2017, à consulter sur www.credoc.fr
[2] En l'absence de cadre réglementaire, il peut s'agir d'un bibliothécaire « référent », d'un chargé de mission ou encore d'un service civique.
[3] La commission Accessibib de l'ABF est un lieu d'échange d'expériences dans le domaine du handicap au sein des bibliothèques: www.abf.asso.fr
Sophie Le Gall
Point de vue
Valérie Voisin-Lhuillier, directrice de la Résidence du Pays Dardoup, à Plonévez-du-Faou (Finistère)
« Le partenariat avec notre bibliothèque municipale correspond à ma volonté d'ouvrir les murs de l'Ehpad (80 résidents, dont une unité Alzheimer). Nous avons commencé par la constitution d'une bibliothèque dans nos murs pour pouvoir organiser des ateliers d'écriture. Maintenant, nous sommes inscrits dans un réseau d'animations culturelles qui ne cesse de s'étendre. Il y a eu un véritable effet boule de neige. Pour chaque initiative, nous suivons les désirs des personnes âgées, comme pour la mise en place de soirées cinéma, qui sont ouvertes aux proches, avec une sélection de DVD prêtés par la bibliothèque. Cette coopération a également profité à notre animateur socioculturel qui est ainsi sorti d'un certain isolement. Il a reçu une formation, proposée par le conseil départemental, et a désormais accès, toujours grâce au département, à la plateforme de ressources collaborative Culture à vie [1] ».
[1] www.culture-a-vie.com
Publié dans le magazine Direction[s] N° 161 - février 2018