Pierre Nicole, conseiller numérique France services à la communauté d’agglomération Béthune-Bruay Artois Lys Romane
Contrairement à ce que leur nom laisserait penser, les conseillers numériques France services (CNFS) ne travaillent pas exclusivement au sein des espaces dédiés. Si une majorité d’entre eux exercent dans des structures publiques (centres communaux d’action sociale – CCAS, conseils départementaux, médiathèques…), 40 % interviennent dans le privé auprès d'associations, d'acteurs de l'économie sociale et solidaire…
La différence ? Les agents travaillant au sein des espaces France services accompagnent les publics dans leurs démarches administratives (y compris en ligne), mais peuvent faire « à la place de », tandis que les CNFS ont pour mission d’aider les usagers à s’approprier les outils numériques.
Des missions variées
« Mon rôle est de rendre autonomes les personnes à tout ce qui touche au numérique, témoigne Pierre Nicole, embauché comme CNFS en mars dernier par la communauté d’agglomération Béthune-Bruay Artois Lys Romane (Pas-de-Calais). Je propose des ateliers collectifs, me déplace sur les 100 communes que compte l’agglomération, dans les CCAS, les centres sociaux, mais aussi les établissements ou services d'aide par le travail (Esat)… » À l’échelle nationale, les 3 578 CNFS en poste fin septembre 2022 (sur un objectif de 4000) avaient suivi au total 758 000 personnes. « Le public auprès duquel interviennent les CNFS est très divers, cela peut aller de 7 à 99 ans, précise Clémentine Cristel, chargée d’accompagner la stratégie numérique à la communauté d’agglomération qui emploie trois CNFS. Il y a parfois des jeunes qui possèdent un smartphone, vont sur les réseaux sociaux, mais ne savent pas effectuer des démarches en ligne pour les allocations familiales, les impôts, la carte grise ou autre. » Remplir des dossiers en ligne, envoyer des mails, gérer les contenus numériques, apprendre les bases du traitement de texte, naviguer sur Internet… La mission des CNFS est variée : « C’est aussi amener le public au numérique de manière ludique, l’accès à la culture par exemple, souligne Pierre Nicole. Il est très satisfaisant de parvenir à montrer à une personne réfractaire tout l’intérêt que l’on peut y trouver. »
Financés par l’État suite à un appel à manifestation d’intérêt (AMI) en novembre 2020 (pour les structures publiques), puis en mars 2021 (pour le privé), les postes de CNFS sont ouverts à des profils larges : être âgé de 16 à 64 ans, quel que soit son niveau de diplôme ou sa nationalité. Les services publics les ont répartis en tenant compte d’indicateurs démographiques et de fragilités numériques en privilégiant les quartiers prioritaires de la ville (QPV) et les zones de revitalisation rurale (ZRR). « Il existe une variété de profils allant du médiateur numérique en reconversion débutant au médiateur numérique senior et expérimenté, mais aussi des profils avec des compétences sociales », indique le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques.
Une double certification
Embauchés en CDD à temps complet (sauf si les personnes étaient déjà en CDI dans la structure employeuse), les CNFS reçoivent une formation certifiante financée par l’État d’une durée comprise entre 105 et 420 heures en fonction du niveau des personnes. Ils doivent ensuite passer une double certification : le test Pix ainsi que le certificat de compétences professionnelles « Accompagner différents publics vers l'autonomie dans les usages des technologies, services et médias numériques », l’équivalent du bloc 1 du titre professionnel de niveau 5 de responsable d’espace de médiation numérique.
Début juillet, Élisabeth Borne annonçait la pérennisation du dispositif en y consacrant une enveloppe de 44 millions d'euros pour 2023. Un engagement qui s’inscrit dans la stratégie nationale pour un numérique inclusif dont le gouvernement entend lancer l’acte II.
Aurélie Vion
Point de vue
Frédéric Bardeau, président et cofondateur de l’organisme de formation Simplon
« Les missions des CNFS ne sont pas fondamentalement différentes de celles des médiateurs numériques. Mais leur valeur ajoutée est la professionnalisation du secteur de la médiation numérique grâce à l’obligation de la double certification. Jusqu’à présent, ces professionnels n’étaient pas forcément formés. Or, c'est un métier. Tous les geeks n'ont pas envie d’aider les gens et de devenir médiateurs numériques. Cela suppose des compétences techniques mais aussi sociales. En outre, l’apparition des CNFS permet de donner un horizon avec un financement de deux ans, voire davantage avec la pérennisation des postes annoncée par le gouvernement. Ce qu’il manque cependant, c’est la formation continue : ces professionnels sont amenés à traiter de problématiques très variées qui peuvent être complexes, comme les données de santé qui nécessitent des formations autour de la gestion et de la protection des données personnelles. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 215 - janvier 2023