Ils ne sont encore qu'une vingtaine, en exercice dans 24 unités hospitalières : oncologie, pneumologie, soins palliatifs, hospitalisation à domicile… Ils – d'ailleurs des femmes, en majorité –, ce sont les biographes hospitaliers, un métier né il y a quinze ans de l'intuition de Valeria Milewski. Après un parcours dans l'événementiel et le théâtre, elle doit alors se réorienter. « J'étais très loin du sérail médical, mais je connais la vertu cathartique de la parole, retrace-t-elle. Il me semblait que proposer cet exercice du récit de soi à des personnes gravement malades pouvait peut-être les apaiser. » Pour tester sa capacité à « se mettre dans la mélodie de l'autre », elle s'établit d'abord comme biographe privée, et devient bénévole pour l'association Jalmalv (Jusqu'à la mort accompagner la vie), où elle découvre le milieu hospitalier et les soins palliatifs. En 2007, elle rencontre le chef du service de soins palliatifs de l'hôpital de Chartres. Convaincu par son projet, il l'invite à rejoindre l'équipe du service d'onco-hématologie. C'est là que Valeria Milewski va façonner son nouveau métier.
« Du côté des vivants »
En pratique, le biographe hospitalier recueille l'histoire de la vie de personnes très avancées dans la maladie, suivies en établissement ou à domicile. La démarche est proposée par les soignants aux patients dont ils pressentent le besoin d'apaisement, de transmission, d'avoir un projet « qui met du côté des vivants ». « Ce n'est ni une prestation, ni une activité occupationnelle, insiste Magali Verdet, qui intervient dans deux hôpitaux normands. C'est un soin spirituel qui vient s'intégrer dans le projet d'accompagnement global de la personne. » À l'issue d'un nombre de séances qui dépend du désir et de l'état de santé du patient, le biographe lui remet gracieusement un beau livre, relié par un artisan d'art. « Quand c'est possible, nous choisissons ensemble le titre, les photos… Mais parfois, la personne décède avant que le travail soit terminé, raconte Valeria Milewski. Dans ce cas, je note qu'elle n'a pas pu relire. Et je laisse passer quelques mois avant de donner l'ouvrage à la famille, pour éviter qu'il se charge de la douleur immédiate. »
Des soignants aussi
Qu'ils soient salariés de l'établissement ou libéraux, les biographes font partie des équipes soignantes. Leur prestation est financée par la structure et totalement gratuite pour les patients, ce qui les distingue des biographes privés. En moyenne, chacun intervient sur place deux à trois jours par semaine (staffs, entretiens…) et consacre le reste de son temps à la rédaction. « À ce rythme, on peut écrire entre 12 et 20 biographies chaque année », décrit Valeria Milewski. Coût approximatif : 20 000 euros par an. Soutien de longue date, le fonds de dotation Helebor (ex-Fonds pour les soins palliatifs) contribue au montage financier, notamment en recherchant des mécènes.
Créée pour professionnaliser le métier, l'association Passeur de mots, passeur d'histoires propose depuis 2009 des formations et des journées de réflexion. Un diplôme inter-universitaire pourrait voir le jour à la rentrée 2022 : il intégrera des enseignements sur l'éthique, l'anthropologie, le droit, l'économie sociale et solidaire, les mesures d'impact… « Cette reconnaissance du métier facilitera son référencement comme soin de support, donc son financement et son déploiement », espère Valeria Milewski. Y compris dans des structures pour personnes âgées ou handicapées ? Pourquoi pas, approuve Magali Verdet : « Partout où des personnes ont besoin de visiter leur passé, de retrouver une place dans l'humanité, les biographes ont une contribution à apporter. »
Clémence Dellangnol
Point de vue
Perrine Choiseau, cadre de santé en oncologie au centre hospitalier de Chartres
« Quand on est à l'hôpital, qu'on ne peut plus travailler, cuisiner pour ses amis, aller chercher ses enfants à l'école, on se sent inutile. Avec la biographe, le quotidien des patients ne se réduit plus à la maladie. Ils ont à nouveau un projet, ils retrouvent leur humanité. Certains, très déprimés, ne parlent plus du tout de mourir. D'autres sont stupéfaits de constater tout ce qu'ils ont accompli dans leur vie. On voit aussi le regard des proches changer : incroyable, papa va écrire un livre ! Pour nous soignants, c'est aussi très réconfortant de savoir que, pendant une heure, la personne sera dans sa bulle. Comme la socio-esthéticienne ou les séances d'hypnose, ce sont des moments de vie et de liberté arrachés au traitement. J'espère qu'à l'avenir, la reconnaissance du métier de biographe hospitalier permettra à davantage de personnes d'en bénéficier. Et s'il vient à être déployé plus largement… je crois que je changerai de métier. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 205 - février 2022