Que vont devenir les comptes épargne-temps (CET) des directeurs relevant de la fonction publique hospitalière (FPH) ? Instaurés en mai 2002 (1), les CET – qui permettent aux fonctionnaires d'accumuler des droits à congés rémunérés ou de bénéficier d'une rémunération immédiate ou différée en contrepartie de ceux non pris – font aujourd'hui l'effet d'une bombe à retardement pour les établissements publics. « Près de deux millions de journées seraient dues aux personnels toutes catégories confondues, [soit] une ardoise de près de 600 millions d'euros », relaie le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS). S'il n'existe aucune donnée sur la situation des directeurs d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (D3S), le Syndicat national des cadres de direction des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (Syncass-CFDT), qui réclame aussi un état des lieux précis par catégories d'établissements et de personnels, annonce que certains directeurs afficheraient jusqu'à 200 jours au compteur…
Sujet à interprétation
Le problème aujourd'hui ? Les droits à congés acquis au titre du CET doivent être exercés avant l'expiration d'un délai de dix ans. Une disposition qui fait craindre à beaucoup la perte de ces droits dès le mois de mai 2012, faute de provisions spécifiques dans les budgets des structures pour monétiser ces jours ou assurer des remplacements. Ce délai réglementaire est toutefois soumis à interprétation. Pour le SMPS, « dans la mesure où la quantité de 20 jours nécessaire pour l'ouverture du CET a été atteinte en cours de l'année 2012, la date d'échéance doit être le 1er janvier 2013 ». Quoiqu'il en soit, la conjoncture s'annonce explosive. « Car le problème de fond est que les établissements ont souvent été incapables de provisionner ces CET, dans un contexte budgétaire toujours plus contraint », complète Nadine Barbier, responsable du pôle ressources humaines à la Fédération hospitalière de France (FHF).
Solutions incertaines
Le problème ne date pourtant pas d'hier. « Le gouvernement joue la politique du pire mais cela fait dix ans que la date-butoir de 2012 est connue ! », s'agace Christian Gatard, secrétaire général du Syndicat national des cadres hospitaliers Force ouvrière (CH-FO). Dès 2007, un rapport de Dominique Acker, alors conseillère générale des établissements de santé, établissait un bilan inquiétant de la mise en œuvre des 35 heures dans la fonction publique hospitalière. Et listait déjà différentes pistes d'amélioration (2). Cinq ans plus tard, et en dépit d'interventions répétées des professionnels, notamment de la FHF, auprès du ministère, ses recommandations sont restées quasiment lettre morte. Tandis que les CET continuaient à grossir…
Face à l'urgence de la situation, un projet de décret est en concertation entre la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) et les organisations. La dernière séance de travail a eu lieu le 30 novembre dernier. Répondant à une des principales revendications des syndicats de directeurs, le texte prévoit la suppression du délai de dix ans pour la consommation des futurs CET. De plus, chaque année, l'agent aurait le choix entre le maintien de ses jours accumulés, leur monétisation, ou leur conversion en épargne-retraite. En contrepartie, la DGOS propose que le nombre de jours épargnés soit limité à dix par an, et à 120 sur la durée totale du CET des directeurs et cadres. Si le principe d'une restriction du nombre de jours cumulables ne fait pas débat, les syndicats souhaitent un assouplissement pour les managers en fin de carrière, en prévoyant, par exemple, la possibilité de cumuler temps partiel et consommation du CET.
Autre revendication des professionnels ? Une réévaluation de l'indemnisation forfaitaire versée à l'agent lorsqu'il demande que ses jours épargnés soient monétisés pour s'aligner sur les praticiens hospitaliers. « Actuellement fixée à 125 euros brut par jour épargné pour les personnels de catégorie A, l'indemnisation n'a pas été réévaluée depuis 2008. C'est inacceptable eu égard aux responsabilités des directeurs », déplore Nadine Barbier. Les syndicats de réclamer une revalorisation à hauteur 300 euros. Ce qui pourrait accroître encore la difficulté des établissements, qui renvoient la balle aux financeurs.
Des mesures transitoires ?
« Si le flux des jours accumulés est limité dans l'avenir, cela ne doit pas obérer la possibilité de solder l'intégralité des CET en cours », prévient Jérôme Lartigau, délégué national au SMPS.
Dans l'attente de la nouvelle réglementation, le problème reste donc entier pour les comptes actuels. Les organisations attendent des mesures transitoires. « La DGOS nous a assurés que les droits actuels seront maintenus. Mais nous n'avons aucune garantie écrite. Nous devons rester vigilants, particulièrement au maintien de la faculté de solder les comptes en fin de carrière et à l'instauration de mesures d'assouplissement pour les jours accumulés jusqu'ici », complète Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syncass-CFDT.
Des reports de charges
Il y a maintenant urgence. « Les CET non provisionnés constituent des reports de charges importants auxquels il faut trouver une solution, avant les nombreux départs à la retraite », prévient-il encore. Plusieurs situations problématiques s'annoncent pour les établissements, notamment lors des départs anticipés, parfois d'un an. En cas de non-provisionnement, les personnels auront intérêt à convertir leur réserve en épargne-retraite. « La dette sera alors transférée aux caisses de retraite de la fonction publique », alerte Jérôme Lartigau. Pour Christian Gatard, « la situation n'est pas insurmontable. C'est au Centre national de gestion [CNG] de pourvoir les postes et d'anticiper les besoins, par des intérims pour les courtes périodes, ou le recrutement de personnels. »
Prévu pour avril prochain, le décret est donc attendu avec impatience. Le calendrier annoncé par la DGOS ? Après avis du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière (CSFPH) en février, le texte devrait être transmis au Conseil d'État selon la procédure d'urgence, puis passera devant la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN). Un rétroplanning tendu alors que l'administration n'a fixé aucune nouvelle date de réunion aux syndicats de directeurs.
(1) Décret n° 2002-788 du 3 mai 2002 relatif au compte épargne-temps dans la fonction publique hospitalière, modifié par le décret n° 2003-504 du 11 juin 2003
(2) Rapport sur les comptes épargne-temps des personnels médicaux et non médicaux dans les établissements publics de santé, Dominique Acker, juillet 2007
Julian Breuil
Dans la Bass, la grande inconnue des CET
Dans la branche associative sanitaire et sociale (Bass), le compte épargne-temps (CET) est régi par un accord de branche de 1999 (1). Pour être applicable, ce dernier doit toutefois faire l'objet d'un accord d'entreprise. Il prévoit une gestion sécurisée des CET via Fédéris, société d'épargne salariale retenue par l'organisation d'employeurs Unifed. La conjoncture est-elle plus simple pour autant ? Rien n'est moins sûr. Outre le fait que les cadres n'ont pas de plafond pour alimenter leur CET, depuis 2008 (2) l'adhésion à Fédéris n'est plus obligatoire. Résultat ? Au 31 octobre 2011, seules 869 associations de la branche étaient membres. Un peu plus de 13 000 salariés avaient ainsi ouvert un compte, dont près de 8000 seraient créditeurs. À cette date, 286 920 jours étaient épargnés, soit en moyenne 36 jours par salarié. L'inconnue concerne donc les non-adhérents, la branche regroupant en tout quelque 700 000 salariés. Quelles sont les modalités de mise en œuvre des CET, en particulier pour les directeurs ? En l'absence de données chiffrées, comment les établissements ont-ils pu provisionner ? Une autre situation explosive ?
(1) Accord de branche du 1er avril 1999 (modifié par les avenants n° 1 du 19 mars 2007 et avenant n° 2 du 25 février 2009)
(2) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail
Publié dans le magazine Direction[s] N° 92 - février 2012