Gwenaëlle Huiban et Christian Hilaire
Dans leur quotidien, les directeurs et cadres de direction sont au cœur de temps souvent paradoxaux entre eux : celui des conseils d’administration, des salariés, des usagers, des autorités de tarification, des politiques, des syndicats, des administrations ou encore des partenaires. Tous ont leurs propres contraintes, leur propre temporalité, leur propre vérité, et les directeurs se retrouvent à leur croisée afin de les rendre concordants.
Et ce, sans compter leur propre temps à eux ! Car, on aurait tendance à l’oublier, même le directeur est un être humain qui doit pouvoir concilier son parcours professionnel avec sa vie personnelle. C’est ainsi que la question des risques psychosociaux chez les cadres devient (enfin !) un sujet de préoccupation pour notre secteur [1].
Selon la Direction générale du travail (DGT), les risques psychosociaux sont « des risques pour la santé mentale, physique ou sociale engendrés par les conditions d'emploi, les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d'interagir avec le fonctionnement mental ». Par conséquent, en raison de sa responsabilité en pareil cas, le directeur est directement concerné par ces enjeux, que ce soit pour ses collaborateurs ou pour lui-même.
Trois raisons majeures de risques psychosociaux
La question des risques psychosociaux chez les cadres de direction devient de plus en plus d’actualité dans le champ sanitaire, social et médico-social pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, les activités sont orientées en faveur de publics en situation de grande fragilité, avec des problématiques de plus en plus lourdes qui ont un impact direct sur les conditions de travail. Ensuite, la professionnalisation du secteur, si elle a été salutaire pour l’amélioration des prises en charge des personnes, a été accompagnée de contraintes administratives, réglementaires et budgétaires importantes qui font du directeur un gestionnaire confronté à des injonctions souvent contradictoires, entrant aussi parfois en discordance avec la finalité de son action. Enfin, et c’est la suite logique, l’imprégnation du modèle entrepreneurial dans notre mode de management est étroitement liée à une exigence de performance, une obligation de moyens flirtant dangereusement avec celle de résultats, voire de… rentabilité.
Une question de reconnaissance
Poussé à l’extrême, le directeur peut oublier le sens même de l’objet social de l’organisation qu’il pilote, au profit d’un mode de management bureaucratique. Dans ce type de situation, l’écart entre les valeurs qu’il défend et promeut et les contraintes qu’il se doit d’assumer peuvent mener jusqu’au burn-out.
Sans oublier les évolutions technologiques qui favorisent l’effacement des frontières entre vie professionnelle et vie privée.
Les cadres de direction sont confrontés à toutes ces évolutions de notre société en général, mais aussi du secteur en particulier. Ils se retrouvent régulièrement face à des cas très lourds à gérer au point que les phénomènes d’épuisement professionnel les touchent de plus en plus près. Le reconnaître ne va pas de soi pour une fonction aussi solitaire et aussi exposée, où il convient de faire bonne figure en toutes circonstances quel que soit le problème soulevé et quel que soit l’interlocuteur.
Les conséquences d’une mauvaise gestion de la concordance des temps sont connues : détérioration du climat social, désengagement des équipes (y compris du directeur lui-même), diminution de la qualité des conditions de prise en charge, dégradation de l’image de l’institution, etc.
Trois solutions à creuser
Si les enjeux et les origines de tous ces problèmes sont identifiés, qu’en est-il des solutions ? À notre niveau, nous repérons trois types de pistes. La première implique un mode de management participatif : il oblige à associer constamment les différentes instances statutaires, les équipes, les représentants des usagers et les partenaires aux orientations prises, en mettant le focus sur la recherche du consensus le plus large possible. Cette approche managériale nous garantit contre l’isolement en veillant à partager constamment nos réflexions mais aussi (et surtout !) à partager le pouvoir, au sens de la capacité de faire mener nos actions collectivement.
La seconde solution concerne notre capacité à investir les lieux de questionnement, de prise de recul, notamment avec nos pairs, à l’instar des temps de débat organisés par les associations professionnelles.
Enfin, la dernière solution réside dans notre propre conception du métier de directeur. L'accomplir est d’abord une occasion formidable de travailler sur soi-même, en sachant se remettre en question dans la conduite de nos institutions. Cette démarche nous amène à développer quotidiennement des réflexions autour des notions de responsabilité, de droiture, d’humilité et de clarté. Le directeur doit être garant de la quête de sens des actions développées par l’organisme qu’il dirige. Au-delà des grands principes, c’est dans le quotidien que ces valeurs se concrétisent. Cette quête doit être collective, partagée, raisonnée afin que les temps d’action des uns et des autres se retrouvent autour de l’essentiel : que nos actions fassent sens pour chacun d’entre nous. Cette recherche du sens explique d’ailleurs que de plus en plus de collègues issus du lucratif rejoignent le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) [2].
La responsabilité des directeurs et des cadres de direction est importante dans cette quête de sens. Mais se fixer cet objectif quotidiennement, dans l’action, nous met à l’abri de nombreuses dérives. En commençant par celle de croire que seule notre propre réalité l’emporte sur celle des autres.
[1] À l’instar de l’Association de directeurs, cadres de direction du secteur social, médico-social et sanitaire (ADC) qui a choisi cette année d’en débattre lors de ses journées nationales du 21 au 23 septembre, à Cambrai (Nord).
[2] Lire Direction[s] n° 137, p. 20
Gwenaëlle Huiban et Christian Hilaire
Carte d’identité
Nom. Gwenaëlle Huiban
Fonction. Directrice de la communication de l'Établissement public départemental pour soutenir, accompagner, éduquer (EPDSAE).
Nom. Christian Hilaire
Fonction. Directeur général de l’Association Accueil, réinsertion, promotion, éducation (Arpe).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 145 - septembre 2016