Construit sur les principes de charité, d’altruisme, d’empathie, le secteur social et médico-social est souvent organisé en une myriade de structures diverses et variées. Ici une association privée à but non lucratif de petite taille ou de taille intermédiaire, là un grand groupe privé lucratif, mais aussi des coopératives, des groupements divers et variés, des sociétés d’économie mixte, etc. Tout un ensemble qui jusque-là permettait de répondre aux besoins des populations ou aux attentes des organismes de contrôle et de tarification, les "tutelles". Notons cependant, sans aucun mauvais esprit que si un tuteur doit être là dès le départ pour permettre à une jeune pousse de faire face aux aléas de la nature, pour grandir, les tuteurs de notre secteur sont pour certains arrivés une fois le plus gros de la tempête Covid-19 passé.
Du retard de la tutelle à l’exigence de traçabilité
Ces tuteurs retardataires sont arrivés pour demander des comptes, mais surtout de la traçabilité, en nous indiquant qu’il fallait expliciter à nos élus de la République pourquoi les subventions ou les prix de journée doivent être maintenus malgré une soi-disant activité moindre. Enfin le mot traçabilité était utilisé, pour rendre des comptes à nos élus et non pour simplement remplir des tableaux de statistiques.
Prenons, un peu de temps pour regarder cette demande de traçabilité. Déjà il est fort agréable de voir qu’enfin on considère que les activités du secteur social et médico-social peuvent être tracées, donc mesurées et même imaginons le « évaluées ». Formulons cependant le vœu, même si ce n’est pas la saison, que cette traçabilité qui est utilisée aujourd’hui pour lever des doutes sur une sous-activité, pourra aussi être effectuée pour mesurer une activité quotidienne et ainsi adapter les moyens aux besoins. Peut-être qu’un jour ces mêmes tuteurs nous demanderons nos volumes d’activités pour expliquer à nos élus pourquoi il nous faut des moyens financiers, humains, matériels, législatifs en conséquence. Traçabilité ne veut pas dire forcément moyens financiers supplémentaires, mais espérons que cela veuille dire plutôt moyens adaptés au contexte pour ajuster nos fonctionnements et ainsi obtenir les résultats que la société attend du secteur social et médico-social : permettre un mieux vivre ensemble.
Alors si l’action sociale et médico-sociale est mesurable, autrement dit évaluable, cette évaluation n’est-elle possible que pour les acteurs du secteur privé ? Y aurait-il une action sociale et médico-sociale privée évaluable et une autre publique qui ne le serait pas ? L’objet n’est pas d’opposer le public au privé mais de penser que les activités du secteur social et médico-social doivent être mesurées, évaluées quel que soit le porteur de l’action. Cela ne servira que mieux le projet sociétal.
La logique de silo : un frein à la mise en place du PCA
Force est de constater, que si aujourd’hui la gestion de cet évènement est complexe parce que complétement inconnue, elle est aussi compliquée parce qu’aucune comparaison ne peut être faite. Comme pour l’ensemble de notre société rien du passé n’est comparable à ce que nous vivons. On peut quand même atténuer cette dernière affirmation puisque toutes les structures d’hébergement qui accompagnent des personnes âgées, handicapées ou polyhandicapées ont déjà toutes fait face à des épidémies et possèdent toutes des plans de gestion de crise et des plans de continuité d’activité. PCA : un nouvel acronyme que tout le secteur s’est empressé de citer parfois peut-être sans trop savoir ce que cela voulait dire.
Remarquons d’ailleurs, que la logique de silo du secteur social et médico-social aura été préjudiciable à la gestion de cet événement et que les structures multi-activités auront certainement été plus réactives en adoptant la mutualisation des savoir-faire et des savoir- être mais également en mutualisant le matériel de protection.
Revenons à ce PCA. En même temps qu’il fallait adapter les organisations aux demandes de l’Etat, en même temps qu’il fallait rassurer les personnes accompagnées mais aussi les professionnels, en même temps qu’il fallait trouver, sans être prioritaire, du matériel pour protéger, en même temps qu’il fallait faire face aux fermetures de partenaires indispensables (comme les structures de gardes d’enfants par exemple), en même temps qu’il fallait informer mais aussi rassurer les administrateurs, les bénévoles des organisations, il fallait donner son PCA. Pour certaines organisations, pour certains directeurs, cela voulait surtout dire le rédiger pour les organisations de petites tailles notamment, ou alors adapter un PCA aux réalités locales pour les organisations d’envergure nationale.
Le « circuit court » une nouvelle perspective
Ce que cette crise est en train de mettre en avant est la capacité d’adaptabilité et d’agilité des organisations. Aussi, ne devrions-nous pas penser l’organisation de l’action sociale et médico-sociale comme celle de la chaîne alimentaire avec des acteurs de bonne taille et de proximité. Ce que nous apprend cet événement, c’est que sans aucun doute, comme pour la chaîne alimentaire, le secteur social et médico-social est un produit de première nécessité pour le bien-vivre ensemble, qui doit reposer sur des organisations de taille suffisamment importante et de proximité. Tout comme nos agriculteurs qui doivent s’organiser pour se regrouper et ainsi obtenir des tailles suffisantes pour lisser les coûts financiers indirects des activités supports, ou pour être plus visibles, le secteur social et médico-social doit repenser son organisation.
Le temps des entrepreneurs sociaux
Jusqu’où laisserons-nous ce Covid-19 attaquer les valeurs tends prônées et revendiquées par les acteurs du secteur social et médico-social ? Association et non entreprise, directeur et non entrepreneur, combien de fois entendons-nous que dans notre secteur d’activité, les mots ont de l’importance, et que nos valeurs ne doivent pas être rabaissées à ce vocabulaire entrepreneurial. Acceptons, que les mots utilisés aient de l’importance mais penchons-nous aussi un instant sur les actes. Tout d’abord il est peut-être un peu simple de penser que les statuts juridiques sont vertus, autrement dit une association serait de fait vertueuse, alors qu’une entreprise sociale serait de fait corrompue.
Cet événement nous demande, comme nous l’avons déjà vu, de nous adapter vite dans un contexte incertain et sans aucune notice. Comme dans tout moment de précipitation, il peut être tentant de prendre le chemin le plus court et nous savons tous, les montagnards en particulier, que les chemins les plus courts ne sont pas les plus sécurisés et les plus rapides. Sous couvert d’urgence, il nous est demandé de réagir et non d’agir. Ne pas se préoccuper du droit du travail, de la protection des salariés, est-ce vraiment respecter les valeurs que nous mettons tant en avant ? Existerait-il des valeurs pour les personnes que nous accompagnons portées par des salariés pour lesquels ces mêmes valeurs ne s’appliqueraient pas ?
Si un directeur doit conduire les activités de son équipe, il n’en est pas moins salarié et peut être pris entre des injonctions contradictoires. Répondre aux sollicitations des organismes de tutelle et rassurer les administrateurs inquiets pour la pérennité de l’activité, tout en gardant son statut de salarié. Statut qui peut aussi servir de prétexte pour fonctionner comme un président directeur général sans assumer les responsabilités afférant à ce titre. Sans manichéisme avec le directeur, l’entrepreneur, « s'engage à effectuer un travail en réponse à la demande d'un maître d’ouvrage ». Maître d’ouvrage qui dans notre secteur n’est autre que la gouvernance politique de la structure. Soumis aux mêmes demandes de réactions urgentes que le directeur, l’entrepreneur pourra plus facilement se positionner dans sa réponse. Réponse qui l’engagera tout autant, voire plus, que le directeur parce que soumis aux mêmes contraintes financières, de maintien de l’emploi, et pleinement responsable de ses décisions. Si aujourd’hui ce virus modifie fortement tous les fonctionnements de nos organisations, ne le laissons pas attaquer les valeurs du secteur social et médico-social. Controns-le par des réponses de proximité portées par des entrepreneurs sociaux.
Sébastien Martinet