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Ehpad
« Les directeurs, ces équilibristes »

20/12/2023

Autrice d’une étude sur l’identité professionnelle des directeurs d’Ehpad, Christine Vallin, doctorante au laboratoire Ceries à Lille, brosse le portrait de ces managers en quête de recul pour tenir dans la durée.

Qu’est ce qui amène une ancienne cadre de l’éducation nationale à s’intéresser aux directeurs d’Ehpad ?

Christine Vallin. Après sept années en tant qu’inspectrice de l’Education nationale, j’ai eu envie d’une évolution professionnelle. J’ai choisi d’étudier la sociologie du vieillissement pour avoir été sensibilisé aux vulnérabilités. Et, pour connaitre les complexités des métiers de l’encadrement, je voulais aussi contribuer à la connaissance académique de la fonction de directeur d’Ehpad [1]. On parle énormément des établissements dans les médias mais on voit peu leurs responsables. Peu de recherches s’intéressent exclusivement à ces derniers.

Qui sont-ils alors ?

C. V. Même s’il y a des spécificités en fonction de la taille de l’établissement ou de son statut, une identité professionnelle se dessine. On voit apparaitre quatre types d’activités : l’administratif et la gestion ; les relations avec les résidents et les familles ; le management d’équipe ; les partenariats. Dans la partie administrative, ce qui est mis le plus en exergue ce sont les mails, avec un aspect tyrannique du devoir de réponse que l’on retrouve dans beaucoup de fonctions d’encadrement. La compétence de gestion est présentée aujourd’hui comme essentielle et comme entrant en concurrence avec le deuxième champ d’activité, celui de la relation avec les résidents et les familles. Le management d’équipe est toujours central mais a perdu sa dimension stratégique. Il est synonyme d’urgence et de risque que « tout s’effondre demain ». Enfin, la dimension partenariale est décrite comme « indispensable » pour, justement, renouer avec la stratégie. « Si on est seul, on est rien », me disait un directeur. Derrière cette notion, il y a bien sûr les partenaires extérieurs mais aussi les échanges de pratiques entre pairs qui permettent une aération et une prise de recul.

Comment qualifier ce métier ?

C.V. Les directeurs font beaucoup d’analogie avec le « chef d’orchestre », le « psychologue » en lien avec la capacité d’écoute, ainsi que le « gestionnaire » pour le suivi du budget et de l’organisation. A l’image aussi des « équilibristes », ils cherchent à concilier les attentes et les besoins des différents acteurs. Sans s’oublier aussi car ce sont des fonctions couteuses en temps. Les directeurs reviennent souvent en urgence y compris le weekend et ne sont jamais complètement sereins. J’ai particulièrement relevé le souci du taux d’occupation et de la question des contrôles et évaluations. Beaucoup évoquent un « cadre surveillé ».

Un point exacerbé par la crise ?

C.V. Après le Covid et l’affaire Orpéa, des contrôles se sont ajoutés aux contrôles dans les établissements privés, mais pas que. Un levier pour se protéger et améliorer les pratiques, mais aussi un facteur de crainte supplémentaire. Ce ne sont pas les seules séquelles de la crise. La défiance des familles, liée à un sentiment de suspicion généralisée de la société, et leurs responsabilités accrues face à la mort les troublent particulièrement. Devant la première difficulté, les managers ont joué la « transparence » jusqu’à expliquer le fonctionnement financier de la structure. Ce qui leur a demandé beaucoup de travail. Et si la mort fait partie de la vie de l’établissement, beaucoup parlent de « traumatisme », de « violence », de « stress post-traumatique »… Il ressort un manque de soutien psychologique y compris des équipes. Mais il est frappant de constater que le calme et la tempête ont coexisté au sens où la crise a aussi permis des réassurances et des réaffirmations de sens.

C’est cette quête de sens qui les fait tenir ?

C.V. Face aux injonctions contradictoires, les directeurs sont effectivement guidés par ce qui relève du « sens de la mission», de ce qui fait « que l’on est en accord avec soi ». Certains envisagent de réduire leur amplitude de temps de travail au profit de leur qualité de vie et de rejoindre pour cela une structure qui n’est pas ouverte en permanence. D’autres s’investissent dans les activités qui les raccrochent à leur métier : avoir des projets transversaux, ouvrir leur établissement sur l’extérieur et bien sûr maintenir le contact avec les résidents. Un directeur interrogé retourne à cette fin chaque samedi matin pour animer des ateliers. Ce sont des points que je souhaiterais approfondir dans ma thèse : Qu’est ce qui amène à la fonction ? Qu’est ce qui fait que l’on devient tel ou tel directeur ? Comment tient-on ? Pourquoi décider de changer de métier ? Soit, être directeur au fil du temps.

[1] Ce travail a été conduit en deuxième année de Master recherche Intervention et développement social sous la direction de Vincent Caradec. L’enquête s’est déroulée entre octobre 2022 et avril 2023, avec quinze entretiens de directeurs et directrices d’Ehpad de plusieurs régions de France et des échanges avec des professionnels du secteur du grand âge.

[2] Être directeur ou directrice d’Ehpad au fil du temps. Les effets des transformations structurelles et des changements personnels, thèse en cours. Pour y participer : christine.vallin.etu@univ-lille.fr.

Propos recueillis par Laura Taillandier

Publié dans le magazine Direction[s] N° 226 - janvier 2024






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