Analystes, analyseurs, intervenants, superviseurs, animateurs de groupe d’entraînement à l’analyse de situations éducatives, facilitateurs, coachs, formateurs en intelligence collective, GAPeurs… De nombreuses appellations existent pour qualifier les professionnels réalisant des contrats d’analyse des pratiques professionnelles (APP) auprès des personnels du secteur social et médico-social. Il est également assez fréquent que des directions s’adressent aux psychologues de leur établissement, ou aux thérapeutes libéraux des environs pour assurer ce type de missions. Comment s’y retrouver ?
Pas un métier reconnu
À ce jour, il n'existe pas de titre officiel pour dispenser ce type de prestation puisqu’il ne s’agit pas, au sens du répertoire national des certifications professionnelles, d’un métier à part entière. À l’exception du secteur de la petite enfance où un arrêté du 29 juillet 2022 précise le terme d’animateur de séances d’analyse de la pratique en évoquant des conditions spécifiques pour les exercer (certains diplômes cumulés à des expériences professionnelles précises). Ainsi, cette diversité d’appellations relève de la représentation que souhaite véhiculer le prestataire et la mise en avant de ses diplômes ou titres. Se référer à un nom, c’est afficher un positionnement et traduire certains objectifs concernant ces dispositifs spécifiques d’analyse de la pratique. En effet, chaque dénomination n’engage pas les mêmes représentations, voire connotations, en particulier pour les équipes qui auront à travailler avec. L’important ? Choisir un intervenant extérieur à l’organisation et vérifier la bonne adéquation entre les méthodes de travail qu’il propose et les besoins de l’établissement ou service et ceux des équipes.
Les APP sont pleinement intégrées dans le paysage du secteur social et médico-social depuis plusieurs décennies maintenant. Pour autant, elles restent encore assez difficiles à définir pour de nombreuses directions et équipes. Les intervenants sont eux-mêmes conscients du flou associé à leur exercice. Aussi, ils sont de plus en plus nombreux à se former.
Pour une décharge émotionnelle
Mais pourquoi le maintien d’un tel flou sur des réunions a priori professionnelles ? Alors voici la question qui fâche : quels sont concrètement les objectifs des séances d’APP ? Pour répondre à cette question, il est intéressant de revenir à l’historique de ces dispositifs.
En France, elles ont un héritage très « psy ». De ce fait, cette orientation leur est encore souvent associée. Il faut dire que depuis leur commencement, les APP se sont essentiellement développées dans les établissements de soin et d’accompagnement de personnes vulnérables. Il était alors question de proposer des espaces cathartiques permettant la décharge émotionnelle des équipes de proximité concernant leurs liens (y compris dans leur dimension affective) avec les personnes accompagnées. L’essence des APP est née de cet élan du prendre soin psychique et émotionnel des équipes. Il était donc assez logique que ces espaces soient conduits par des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes ou des thérapeutes.
Depuis, les objectifs ont évolué. En effet, ces instances sont demandées par les équipes elles-mêmes, avec des attentes de technicité. Le besoin de décharge émotionnelle n’est plus mis au premier plan et la demande des participants devient plutôt celle d’un soutien concret à leurs pratiques professionnelles quotidiennes. Les APP sont donc depuis quelques années dans un véritable tournant de leur propre exercice. Cela explique que le paysage de ces interventions s’est élargi : aussi bien en termes de diversité d’appellation qu’en termes de diversité de profils professionnels pouvant l’exercer. Aujourd’hui, il est tout à fait possible de trouver des professionnels animant des séances d’analyse des pratiques avec un profil de coach, facilitateur, ancien cadre... et non pas que des « psys ».
Ces dispositifs sont également en plein déploiement à l’hôpital, en milieu carcéral, en établissement d’accueil du jeune enfant (un décret du 30 août 2021 a rendu obligatoire la mise en place de trois fois deux heures par an pour les équipes), dans les organismes humanitaires, les associations sportives... Désormais, ils s’étendent dans des secteurs nouveaux comme l’industrie, les entreprises, les congrégations religieuses, et même auprès de groupes de parents (car oui, il est tout à fait réaliste de considérer qu’être parent est une pratique à part entière). L’analyse des pratiques a vu son champ d’intervention se diversifier. Par conséquent, certains objectifs varient.
Dans le secteur social et médico-social, ils sont clairement de soutenir les équipes dans leur professionnalisme en leur permettant un espace de prise de recul continuel de leur exercice. Les participants attendent ces espaces pour échanger avec leurs collègues autour des problématiques de terrain rencontrées dans le cadre de leurs fonctions. Ils souhaitent prendre le temps de réfléchir sur leurs pratiques : aussi bien sur leurs actions professionnelles, que sur leurs positionnements relationnels et éthiques. Et n’en déplaisent à de nombreux « psys » (j’en suis moi-même une), les équipes n’attendent plus systématiquement d’élaborer en bénéficiant de la transmission de concepts issus de telle ou telle approche. Que ce constat pose question, en tant qu’accompagnant de la fonction psychique, je l’entends. Pour autant, continuer d’ignorer une demande venant du terrain lui-même me paraît d’autant plus questionnant.
Quel profil d’intervenant ?
Aussi, les équipes apprécient vraiment que ces temps d’APP leur permettent de mutualiser leurs compétences. En effet, souvent réunis entre homologues ou pairs d’un même service, il devient plus facile de permettre un transfert de connaissances et d’expertises entre participants. Soit un soutien dans les pratiques de terrain que les professionnels attendent unanimement. Il s’agit bien là d’une demande d’efficacité de ces séances. Pour reprendre les mots entendus bien souvent des équipes : « On ne veut pas que ce soit une réunion qui ne serve à rien ! » Il est donc assez normal que les équipes soient devenues exigeantes envers les APP puisqu’elles en recherchent aujourd’hui clairement un résultat : une modification concrète et profonde dans l’exercice de leur profession. Enfin, même si cet objectif n’est que rarement cité comme une attente, il est souvent souligné lors des temps de bilans entre l’intervenant et le groupe accompagné : celui de diminuer le sentiment d’isolement dans la pratique.
Quelques fois encore vu comme secondaire pour les directions, le choix de l’intervenant en APP est pourtant assez stratégique pour l’organisation. En effet, suivant son positionnement, les objectifs qu’il poursuit dans les séances et sa façon de se situer aux côtés de l’institution, il pourra véritablement œuvrer dans le sens de la gouvernance insufflée. À l’inverse, il pourra saper une partie du travail de l’institution : s’il n’a pas suffisamment de technique pour discerner le discours subjectif des professionnels de la réalité de fonctionnement de l’établissement notamment. En tant que direction, il est avisé d’être attentif à quelques points clés :
Quel diplôme initial ? Quelles compétences complémentaires (issues des expériences et apprentissages supplémentaires) ? Quelle formation à l’animation des groupes d’APP ?
Ce troisième point est déterminant : mieux vaut un intervenant formé spécifiquement à la conduite d’APP, même débutant, qu’un professionnel ayant eu des expériences dans un secteur similaire et n’ayant pas pris soin de se former aux enjeux particuliers relatifs à l’animation de ces séances. Le travail qu’il va mener est technique, précis et nécessite une formation rigoureuse pour éviter les glissements de cadre encore trop fréquents où les séances peuvent devenir des réunions de service bis, des groupes de parole, des règlements de compte entre salariés, voire des réunions syndicales... De nombreuses directions ont fait des expériences de ce type qui les ont échaudées. Et beaucoup de participants gardent trace d’intervenants en APP manquant de contenance et de technicité dans l’animation des sessions, quelques fois décrites comme « subies ». L’exercice en soi d’exposer sa pratique et ses difficultés de terrain auprès de ses collègues n’est pas simple. Pour autant, il n’est pas normal que des participants entrent dans une stratégie d’évitement de ces séances ou expriment avec virulence leur résistance. Les directions gagneraient à être davantage attentives à ce type de phénomènes pour s’assurer de la bonne adéquation entre les besoins des équipes et la méthode de travail proposé par l’intervenant.
Et pour les cadres ?
Certaines organisations ont mis en place ce type de dispositif pour les dirigeants, cadres et managers qui avaient également exprimé un intérêt à prendre du recul sur leurs pratiques. Il s’avère que les résultats sont rarement probants. D’autres formats semblent davantage efficients pour ces populations. Compte tenu des dynamiques de groupe au sein des équipes cadres qui ne sont absolument pas aussi développées, il sera bien plus pertinent, d’après mon expérience, de leur proposer des séquences formatives (sur des notions-clés telles que l’autorité, le leadership, la dynamique des groupes...), de les accompagner sur des temps individuels ou collectifs afin de les superviser sous l’angle de l’ajustement de leur posture managériale.
Pour tous, ces dispositifs répondent à un besoin sérieux du terrain social et médico-social : celui de garder du sens. Il conviendra d’incarner institutionnellement ce mouvement réflexif et non de le déléguer exclusivement aux intervenants en APP sous peine d’instrumentaliser un outil précieux, à la base, mis au service des professionnels et par extension, des usagers.
Anne Chimchirian
Carte d’identité
Nom. Anne Chimchirian
Parcours. Psychologue en ESSMS, autrice de l’ouvrage Devenir intervenant en analyse des pratiques avec une approche systémique, créatrice de la méthode Apeos®.
Fonctions. Intervenante, formatrice et superviseur en APP.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 234 - octobre 2024