L’expression « posture managériale » est très souvent employée par les acteurs du travail social. On l’utilise quand on pense qu’elle est en cause dans les difficultés d’un cadre. On répète aux étudiants futurs dirigeants qu’ils doivent acquérir une posture managériale. La plupart des grilles d’évaluation des épreuves des diplômes de cadres comportent un tel critère.
Chaque fois que j’entends un acteur utiliser cette expression, je lui demande de définir ce qu’il entend par là. Mais je n’ai jamais trouvé quelqu’un en mesure de le faire clairement. Certains interlocuteurs marquent leur surprise par un silence qui semble vouloir dire : « Comment peut-il interroger une notion si évidente ? » Ils ne répondent donc pas et reprennent le fil de leur propos. D’autres s’en sortent par une pirouette : « La posture managériale est essentielle à la pratique du métier. » D’aucuns, enfin, répondent avec un synonyme : « La posture managériale c’est le positionnement professionnel. » Si on peine à définir cette expression c’est parce qu’elle n’est pas un concept bien établi mais une notion métaphorique et floue.
Des attitudes typiques
Le mot posture a deux sens différents. Au sens propre, il désigne la position d’un corps ou une situation difficile dans laquelle on se trouve (être en mauvaise posture). Au sens figuré, le mot posture signifie une attitude adoptée pour donner une certaine image de soi. Le premier sens n’a pas de lien avec notre expression « posture managériale », le second, oui. Avoir une posture managériale c’est adopter les attitudes typiques du manager pour se donner l’image d’un manager. Dans le langage des sciences sociales, la notion de posture managériale correspond au concept de rôle social. Qui, lui, désigne l’ensemble des comportements attendus pour un statut social donné. Le temps passant, toute société institutionnalise une liste de statuts et de rôles typiques. Aujourd'hui, on dit d’un père qu’il a une posture de père s’il adopte les attendus comportementaux du rôle de père tel qu’ils sont institutionnalisés au XXIe siècle. On dit qu’un président ou qu’une présidente de la République a une posture présidentielle si il ou elle adopte les attendus comportementaux de son rôle. Aussi, si vous vous écartez trop fortement des comportements attendus pour votre statut, vous ne donnez pas l’image de votre statut à autrui. Un président de la République qui ferait une allocution télévisée sans costume cravate serait immédiatement accusé de ne pas avoir une posture présidentielle.
Dans une excellente vidéo [1] intitulée Posture et imposture managériale, publiée par le non moins excellent site XerfiCanal, Éric-Jean Garcia [2] pose la question suivante : « Quel est donc cet accessoire en vogue qu’on appelle la posture ? » Il donne la réponse suivante : « Un schéma comportemental imaginé par d’autres... Un rôle de composition... Une invitation à se fondre dans un moule social idéalisé. » Il ajoute qu’il s’agit en fait « d’une approche prescriptive de l’attitude qu’il convient d’avoir pour exercer certaines fonctions ou professions ». On a une posture managériale aux yeux d’autrui quand on se soumet aux attendus comportementaux idéalisés par la société et qu’autrui a dans la tête.
Un rôle qui varie dans l’espace et le temps
D’une société à l’autre, ces attendus comportementaux ne sont pas les mêmes. En France, on s’attend à ce que le manager reste au travail tard et qu’il dépasse son quota d’heures. Aux États-Unis, ce comportement ne fait pas partie des attendus. Au contraire, un bon manager s’organise pour avoir terminé son travail dans les temps impartis. En France, si un cadre va boire des bières au bar avec ses salariés après une journée de travail, on dira qu’il n’a pas une posture de manager. La juste distance relationnelle est un attendu de ce rôle qui proscrit ce type de comportement. Aux États-Unis, les afterworks qui réunissent patrons et salariés sont monnaie courante et ne pas y participer en tant que cadre peut nuire à votre image.
Ces attendus ne sont bien sûr pas des vérités absolues découvertes au terme d’une recherche scientifique qui aurait prouvé que tel comportement est plus efficace pour les organisations. Ce sont de pures constructions sociales qui ont fini par être institutionnalisées. Ce qui veut dire que la liste des attendus comportementaux pour un rôle peut évoluer dans le temps. En 1950, il était attendu d’un père qu’il impose son pouvoir dans la famille en usant de châtiments corporels éducatifs si nécessaire (martinet, gifle). Celui qui ne le faisait pas pouvait se voir reprocher de ne pas avoir une posture de père. On attendait qu’un manager impose des ordres à ses subordonnées sans trop de débats. Aujourd’hui, les châtiments corporels dans la famille sont proscrits et on attend du manager qu’il explique les consignes pour emporter l’adhésion des subordonnées.
La liste des attendus comportementaux du rôle de manager que nous utilisons pour dire si oui ou non une personne a une posture managériale n’a jamais été établie : elle existe dans les têtes, mais pas sur le papier. On peut cependant identifier plusieurs points : avoir un niveau de langage plutôt soutenu, bannir les vêtements trop décontractés, retenir l’expression de ses émotions (peur, colère, tristesse), se montrer sûr de soi, écouter son interlocuteur, respecter les règles, maintenir une distance relationnelle avec ses subordonnés et enfin, respecter les réactions prescrites (dans telle situation un manager fait ceci, dans telle autre il fait cela). Pour établir rigoureusement cette liste, il faudrait mener une recherche auprès d’un large panel de personnes. On découvrirait probablement qu’il existe des variations d’un individu à l’autre : nous n'avons pas tous exactement le même idéal-type du rôle de manager dans la tête.
S’éloigner des attendus ?
Les oraux de certifications des diplômes de cadre en travail social sont un excellent laboratoire pour étudier comment est jugée la conformité au rôle social de manager dans le secteur. La grille d’évaluation du jury comporte presque toujours un critère « posture managériale » ou « positionnement professionnel » auquel il faut attribuer des points. Je ne rate jamais une occasion d’avoir le retour d’expérience des étudiants qui ont été mis en difficulté dans ces épreuves. Quand c’est le cas, on leur reproche très souvent leur non-conformité à l’un des attendus du rôle. Dernièrement une étudiante diplômée me racontait comment elle avait été mise en difficulté. Un membre du jury lui reprochait de proposer une participation des mineurs d’un centre éducatif renforcé au processus de recrutement des professionnels. Le maintien d’une distance relationnelle avec les subordonnées comme avec les usagers fait partie des attendus comportementaux du rôle de manager. Je pense également à cette étudiante qui a échoué à un oral de management. Cette épreuve consiste, à partir d’une situation de travail qui pose problème, à produire une analyse et un plan d’actions pour résoudre le problème que le candidat expose à l’oral. Il s’agit souvent de situations typiques qui placent les étudiants face à une des réactions prescrites du rôle. Dans ce cas précis, un professionnel avait commis des fautes professionnelles qui selon les attendus du rôle méritaient un licenciement. La candidate au profil un peu hors normes a osé défendre, arguments législatifs à l’appui, qu’une autre solution était possible. Une réaction défendable certes, mais trop éloignée des attendus du rôle social.
Avec le temps, j’ai commencé à apprendre à repérer les étudiants qui ne cochent pas suffisamment de cases dans la liste des attendus comportementaux du rôle social de manager. Je vois fréquemment ces personnes obtenir d’excellents résultats aux épreuves écrites mais des résultats médiocres à l’oral où leur manque de conformité devient visible pour le jury.
Quand un individu coche les cases des attendus du rôle de manager, nous avons très clairement le sentiment d’avoir face à nous une personne qui « fait directeur ». Et, inversement, quand la personne ne coche que très peu de cases de ces attendus, on ne la voit pas assumer un poste de cadre. Le résultat est clair, mais le processus qui nous permet d’y aboutir est obscur.
Place aux imposteurs ou aux clones
Pour juger de la qualité de la posture managériale d’une personne, nous comparons sans nous en rendre compte, ses comportements aux attendus du rôle social que nous avons en tête. Il ne faut que quelques minutes d’observation d’un manager en train de s’exprimer dans le cadre de son travail pour avoir un résultat qui se dessine. Les sciences cognitives ont montré à quel point notre cerveau va vite pour se construire une opinion de quelqu’un que nous venons de rencontrer. C’est ce processus inconscient de vérification de la conformité des comportements de la personne aux attendus du rôle social qui permet, in fine, de dire qu’un individu a ou pas une posture managériale. Il ne s’agit donc pas d’un travail rationnel, objectif et conscient de comparaisons des comportements de l’individu avec les compétences des référentiels enregistrés au Répertoire national des certifications professionnelles.
Avoir le sentiment qu’un individu est conforme ou pas aux attendus du rôle social de manager au terme d’une épreuve orale de certification, d’un entretien d’embauche ou d’une réunion, ne garantit en rien son degré de compétences. D’ailleurs, la posture managériale n’apparaît dans aucun des référentiels des diplômes de manager en travail social en tant que compétence. Les organisations qui prévoient des tests sous forme de mise en situation réelle pour recruter leurs candidats – et parfois sur plusieurs jours – ont bien compris les limites du jugement de la conformité au rôle social.
Pour conclure, quand on dit qu’une personne a une bonne posture managériale, ou un bon positionnement professionnel, on indique que ses comportements sont conformes aux attendus du rôle social de manager. Trop confondre l’évaluation de la conformité au rôle social avec l’évaluation des compétences peut amener à recruter des imposteurs ou des clones sans intérêt et à rejeter des candidats hors normes porteurs d’innovations. Et si on cessait d’utiliser cette expression pour se concentrer objectivement sur les compétences des professionnels ?
[1] Voir le site https://www.xerficanal.com
[2] Professeur affilié en leadership à Sciences Po Paris
Jean-Luc Gautherot
Carte d’identité
Nom. Jean-Luc Gautherot
Fonction. Ancien éducateur spécialisé, responsable de pôle et ingénieur social, enseignant auprès des formations supérieures à l’institut du travail social Pierre-Bourdieu, à Pau.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 232 - juillet 2024