L'association Prado Rhône-Alpes gère 18 établissements et services dans le champ de la protection de l'enfance. Depuis maintenant près de trois ans, l'association s'est engagée dans une démarche d'évaluation interne telle qu'elle est prévue à l'article L 312-1 du Code de l'action sociale et des familles. Après avoir choisi un organisme (l'Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux-Uriopss) et une méthode (celle développée par François Charleux), nous avons procédé en deux temps.
Une première phase a consisté à sensibiliser l'ensemble du personnel à cette question et à élaborer des outils d'évaluation propres. L'association a choisi de privilégier à la fois une identité associative tout en encourageant l'appropriation par chaque établissement. Ainsi à partir d'une architecture commune à l'ensemble des établissements et services, chaque équipe a pu décliner des indicateurs spécifiques aux caractéristiques de sa structure. Chaque référentiel est construit autour de trois dimensions : l'usager et sa prise en charge, le projet d'établissement, son suivi, son évaluation et la logistique. Elles permettent de balayer tous les champs de l'accompagnement et d'intégrer les professionnels dans cette réflexion à tous les niveaux.
Nouvelle culture
Cette façon de faire a bien évidemment été coûteuse en temps et en mobilisation, cependant elle était nécessaire pour permettre à chaque salarié de s'imprégner de cette nouvelle culture qui est celle de l'évaluation. La démarche a mis du temps à s'imposer dans les esprits et c'est grâce à l'accompagnement de l'Uriopss qui nous a suivi tout au long de cette réflexion que nous avons pu donner un sens à l'évaluation et passer d'une contrainte législative à un processus intéressant pour les salariés comme pour les usagers. C'est en repartant de l'intérêt des jeunes que nous accueillons, de leur parcours au sein des établissements que nous avons admis qu'il était important de remettre en question nos pratiques et de rechercher des améliorations. Les résistances du début ont ainsi cédé la place à une participation active. Au final, après deux ans d'élaboration et de réflexion, chaque établissement a pu mener une première évaluation interne, au cours d'une deuxième phase, qui a abouti à la rédaction d'un rapport d'évaluation donnant à voir une synthèse commentée des résultats, ainsi qu'un plan d'actions correctives à mettre en place pour l'année à venir.
Les résultats ont révélé plusieurs phénomènes au niveau associatif. Du côté de ce qui fonctionne, chacun a pu observer que les indicateurs autour de l'accompagnement éducatif et de l'accompagnement scolaire et professionnel étaient les mieux évalués. Ce qui est relativement sans surprise étant donné que ces thèmes représentent le cœur de métier des professionnels et la mission première des institutions. Autre point mis en lumière, l'attention portée au travail avec les familles. Nous avons constaté qu'en dépit des difficultés liées à l'implication des familles dans les mesures de placement, les professionnels ont tous à l'esprit d'associer le plus possible les familles au suivi de leur enfant. Au-delà des impératifs réglementaires, il y a une réelle évolution de la culture professionnelle dans ce domaine. Certains professionnels trouvent d'ailleurs que, malgré les résultats positifs de l'évaluation, ce travail de lien avec la famille doit encore plus se développer.
Les difficultés rencontrées
Du côté des points à améliorer, on retrouve la question de la formalisation des écrits. En effet, il y a une difficulté réelle à mettre en place des documents écrits comme le projet personnalisé, le document individuel de prise en charge, les comptes-rendus d'entretien, etc. Cette difficulté s'explique essentiellement par le fait que beaucoup de professionnels perçoivent cet empilement d'écrits comme un facteur de dilution du sens de leur action plus que comme un outil éducatif utile à l'accompagnement des personnes accueillies.
De la même manière, la mise en place de procédures et de protocoles est loin de faire l'unanimité dans les établissements. Même si l'évaluation a souligné la nécessité de tels outils, la méfiance des professionnels à leur égard reste considérable. L'évaluation a souligné l'existence d'un décalage important entre l'élaboration des procédures au niveau de la direction générale et la connaissance réelle de ces documents par les professionnels dans les établissements. Dernière thématique mise en avant : la question de l'accompagnement thérapeutique. Les établissements accueillent de plus en plus de jeunes avec des problématiques qui nécessitent un accompagnement thérapeutique adapté sans pour autant être en capacité de le fournir.
Une démarche validée par les professionnels
Si la démarche d'évaluation a été reconnue et validée par les professionnels c'est bien aussi parce qu'elle a confirmé et objectivé un certain nombre de constats. Toute la portée de ce processus est liée au fait qu'il permet de valoriser les pratiques existantes et de mettre en avant une maîtrise de ces pratiques par les professionnels tout en ouvrant des voies d'amélioration sur certains champs trop souvent laissés en friche pour des raisons de manque de temps et de moyens. En jouant le jeu de la participation et de l'appropriation par les professionnels, nous espérons encourager des réflexions en interne autour des plans d'action et organiser des échanges autour des solutions mises en œuvre dans les différents établissements de l'association. Cette première évaluation nous a montré que les questionnements, les difficultés que traverse chaque établissement sont en réalité partagés par l'ensemble des professionnels de l'association, il s'agit donc maintenant de proposer des outils communs et de mutualiser les ressources des uns et des autres, sans pour autant aboutir à une uniformisation qui risquerait de brider la créativité des professionnels.
Les nouveaux enjeux
L'enjeu actuel c'est de faire vivre ce processus. On l'aura compris, cette première évaluation a été positive : les professionnels sont parties prenantes de la démarche, l'intérêt et la motivation sont là. Mais comment continuer ? Comment maintenir l'implication des uns et des autres autour de ce principe ? Les professionnels sont certes favorables à la démarche, mais le quotidien et ses problèmes ont repris le dessus et force est de constater que l'évaluation ne fait plus partie des priorités. L'association a pourtant fait le choix de concevoir l'évaluation comme un élément d'une démarche d'amélioration continue et donc d'imposer à chaque établissement un suivi annuel de leur plan d'action (plan d'action qui permet de mettre en place des actions d'amélioration en fonction des points forts et des points faibles révélés par l'évaluation). La difficulté principale, c'est d'intégrer l'évaluation au fonctionnement régulier des établissements. Jusqu'à présent, le temps mobilisé pour l'évaluation venait s'ajouter au temps consacré à l'accompagnement. Pour inscrire l'évaluation dans la durée, il est indispensable de faire évoluer le processus et de réussir à lui donner une place au sein des réunions institutionnelles. L'évaluation doit être un souci constant sans pour autant emboliser un système déjà bouleversé par des contraintes multiples.
Un autre élément est en cours de réflexion, il concerne l'association des usagers à la dynamique de l'évaluation. Il nous semblait important que les professionnels puissent d'abord s'approprier la démarche avant de songer à l'élargir aux usagers. Désormais, nous devons réfléchir aux différentes possibilités de les faire participer activement à l'évaluation en restant toutefois vigilant aux risques d'une certaine démagogie et à la prise en compte de leurs propres difficultés.
Les interrogations
Au-delà de la question de l'intégration d'un processus nouveau, la poursuite de l'évaluation est également remise en question par des impératifs externes, et ce, à deux niveaux : le premier niveau, c'est celui de l'augmentation exponentielle des textes de références aussi bien du point de vue règlementaire que du point de vue des recommandations de bonnes pratiques produites par l'Anesm [l'agence nationale de l'évaluation]. En produisant 11 textes en un an, l'Agence nous donne du grain à moudre pour nos réflexions, mais encore faut-il être en mesure de suivre le rythme... Nous devons assimiler ces textes et adapter les outils de l'évaluation à ces nouvelles règles. Autrement dit, à peine les référentiels terminés qu'il faut déjà songer à les transformer.
À un deuxième niveau, nos organismes de financement (notamment les conseils généraux et la Protection judiciaire de la jeunesse) mettent en place des audits, des visites de conformité ou encore des référentiels qui leur sont propres, donnant ainsi l'impression de ne pas tenir compte de nos rapports d'évaluation. Ces deux exigences conduisent à un certain découragement : nous avons le sentiment d'être engagés dans une course effrénée pour suivre les évolutions législatives et pour autant, l'investissement humain que nous avons mobilisé semble laisser indifférent nos principaux partenaires.
L'association est donc confrontée à un bilan mitigé par rapport à cette démarche d'évaluation. Bien sûr, l'évaluation a un sens, elle a un impact sur les pratiques et elle est un facteur de mobilisation pour les différentes équipes. Bien sûr, elle est nécessaire car elle nous montre que le chemin à parcourir pour améliorer véritablement nos pratiques est encore long. Cela étant, il y a un risque réel que l'évaluation telle qu'on vient de la décrire ne survive pas à l'amoncellement de contraintes auxquelles sont confrontés les établissements. Si l'on regarde les évolutions de ces derniers mois, on a subitement l'impression que le principe de l'évaluation interne est en train de mourir avant même d'avoir vraiment eu l'opportunité de vivre.
Pour inscrire l'évaluation dans la durée, il est indispensable de faire évoluer le processus et de réussir à lui donner une place au sein des réunions institutionnelles.
Carte d'identité
Nom : Marilou Janiaut
Fonction : Conseillère technique évaluation de l'association Prado Rhône-Alpes