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Tribune de Jean-Pierre Hally et Emmanuel Martinat
Soutenir des pratiques éthiques de coopération

24/09/2013

Comment généraliser les bonnes pratiques de coopération ? C’est la réflexion menée par deux consultants qui pointent la complexité structurelle du secteur, frein à la proactivité des managers dans la conduite des projets. Selon eux, la performance devrait s’appuyer sur des critères de progression et un système d’information pertinent.

Dans un contexte général de « choc de simplification », le secteur social et médico-social ne peut pas faire l’impasse ni sur une réflexion autour de la production – inflationniste – de normes, ni sur ses performances, pour l’heure essentiellement conçues comme étant « de conformité ». Aujourd’hui, émergent peu à peu sur le terrain des pratiques éthiques dans le cadre des coopérations opérationnelles, ce dans une approche de pilotage des projets fondée sur des exigences de résultats. Mais les professionnels sont confrontés à un système administratif complexe qui entrave le développement de telles pratiques, pourtant créatrices de valeurs. Or, des évolutions structurelles majeures pourraient les soutenir, mais leur généralisation est soumise à certaines conditions préalables.

Dépasser un système autobloquant

Comment définir les coopérations opérationnelles ? Il s’agit aussi bien de celles concernant les équipes d’un établissement ou service social et médico-social (ESSMS), celles entre organisations dans le cadre de réseaux et de partenariats productifs, ou encore les relations entre opérateurs et autorités de tarification positionnées sur une garantie de résultats dans un cadre contractuel (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens – CPOM, conventions…). Ces coopérations ne peuvent être qu’éthiques : aucune loi ne peut imposer des initiatives ou une démarche de pilotage de projets dans une logique de résultats.

Mais aujourd’hui, celles-ci sont contrecarrées par un système autobloquant. Premier frein au développement de telles coopérations ? Une administration trop compliquée. Son architecture actuelle interroge sa capacité à appréhender le secteur médico-social dans sa complexité. Par exemple, pas moins de six types de structures administratives (agences régionales de santé – ARS, des systèmes d'information partagés de santé, Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux – Anap –, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Directions générales de la cohésion sociale, de l'offre de soins) sont en charge du système d’information. En outre, la performance se trouve découpée entre les champs d’intervention de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des ESSMS – Anesm (qualité, pertinence, cohérence, efficacité) et ceux de l’Anap (efficience). Enfin, le cloisonnement des financements publics (État, conseils généraux) gêne les opportunités de coopération.

En outre, le pilotage bureaucratique du secteur – au sens où l'entend le sociologue Henry Mintzberg – constitue le deuxième frein. La démarche actuelle de regroupements et de fusions est en effet centrée sur les organisations dans une logique de moyens, au lieu d’être focalisée sur les projets dans une logique de résultats. Conséquence ? La gouvernance reste souvent concentrée sur des enjeux de pouvoir, qui peuvent se neutraliser. De plus, elle n’est pas assez coopérative pour permettre le développement et la montée en maturité et en compétences via un pilotage structuré et opérationnel des portefeuilles de projets.

Cette évolution n’est que le résultat des regroupements décidés et gérés selon une démarche descendante (aussi bien au sein de l’administration que dans les ESSMS) et souvent à « marche forcée », dont une illustration est la création des ARS et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont les effets comme la méthode sont aujourd’hui remis en question [1].

Revoir les mesures de la performance

Enfin, la performance se mesure le plus souvent en comparant – entre structures d’un territoire, ou d’une année sur l’autre – les moyens humains alloués (qualifications, ETP) aux missions, au lieu de se pencher sur les ressources humaines utilisées (compétences, charges de travail) en fonction des prestations réalisées. Par exemple, un ESSMS qui, une année, emploie un nombre élevé de professionnels en fin de carrière (c’est-à-dire avec un glissement vieillesse technicité  – GVT – élevé) risque mécaniquement d’avoir un coût à la place plus élevé que le coût moyen, mais le départ à la retraite de ces salariés l’année suivante et le recrutement de jeunes diminueront de fait ce coût. Ce type de comparaison atteint donc rapidement ses limites, car il ne prend pas en compte le contexte du pilotage des projets (mesure continue des performances sur l’adéquation prestations réalisées-ressources utilisées). C’est d’ailleurs dans ce sens que la jurisprudence de la tarification semble aller [2].

Afin de soutenir des pratiques éthiques de coopération, des évolutions structurelles sont donc nécessaires. En particulier, une refonte de l’organisation administrative, construite sur une régulation préventive, qui pourrait s’appuyer sur une démarche de type « entrepreneuriat social ». Où les professionnels créent et portent des projets répondant aux besoins des usagers dans le cadre des politiques publiques et mobilisent leurs collaborateurs en vue de résultats probants en matière de gouvernance. Cette démarche éthique de performance serait une troisième voie entre l’approche néolibérale, purement gestionnaire et financière, et celle étatique, essentiellement technobureaucratique.

La rénovation de l’action publique en cours constitue une opportunité pour une refonte des missions des agences et de l’administration territoriale, recentrées sur des périmètres de pilotage assurant le lien entre les projets des ESSMS et les systèmes d’information (SI).

Ces missions viseraient prioritairement une régulation en amont (un contrôle préventif) et en aval du secteur (et non plus strictement un contrôle curatif) afin d’assurer un accompagnement et un appui aux opérateurs.

Cette nouvelle organisation administrative démontrerait ainsi sa capacité à créer des valeurs, ce sur trois niveaux :

  • un pilotage articulé mesurant en même temps et en continu les performances du programme régional de santé (PRS) et des projets (associatifs, d’établissements, initiatives) des structures ;
  • une réactivité plus forte dans les réponses proposées face à l'évolution rapide des besoins des personnes accompagnées ;
  • une contribution efficace à l'accélération de la mutation du secteur.

Faire le lien entre les résultats et le sens

Autre évolutions indispensables ? Revoir les contenus des formations qualifiantes du secteur, le plus souvent positionnés sur un registre d’expertise ou gestionnaire, donc sur un mode de pensée analytique. Si cela permet aux professionnels de disposer de toutes les informations pour agir, néanmoins nombre d'entre eux, techniciens ou décideurs, ont de grandes difficultés à relier et analyser les interactions entre différentes situations.

S’inscrire dans un mode de pensée complexe et systémique, en retenant uniquement les données pertinentes, fiables et interactives, s’avère aujourd’hui indispensable pour décider rapidement et de façon opérationnelle.

Ainsi, faire le lien permanent entre les résultats (au niveau local de l’organisation, soit celui de l’action) et le sens qui a été donné (au niveau global du projet, celui des objectifs) garantit des coopérations opérationnelles. Une réorientation des programmes de formations sur le pilotage d’un portefeuille de projets produirait sans conteste un décloisonnement des « têtes », donc des pratiques, avec des responsables qui sauraient mobiliser leurs équipes sur une conduite proactive du changement.

Enfin, tenir compte de la complexité du secteur exige de considérer que les performances sont progressives et concernent les limites du pilotage des projets. Ainsi, en fonction de l'évolution et de l'environnement de la structure, les indicateurs prospectifs, c’est-à-dire sur la durée du projet (une dizaine est recommandée), positionnés sur l’activité, les ressources humaines et les finances, doivent s’appuyer sur des critères de progression : pertinence, cohérence, efficacité, puis efficience.

Modéliser les méthodes éprouvées

La généralisation des pratiques éthiques de coopération implique certaines conditions. Tout d’abord, elle nécessite la modélisation d’approches et de méthodes éprouvées démontrant des résultats probants en matière de pilotage de projets. Si l’obtention de financements publics était soumise à une labellisation d’un « mode projet » maîtrisé et opérationnel, cela garantirait une utilisation plus efficace de ces fonds. Les structures devraient pouvoir répondre à la question « Comment tel projet est-il faisable ? » On a ainsi l'exemple d'un opérateur qui a échoué trois fois d’affilée dans le processus d’informatisation du dossier de l’usager, alors qu'à chaque fois, le projet a été financé par des fonds publics. Conséquence ? Le coût de la non-qualité (temps passé, dépenses inhérentes), mais aussi la démobilisation des professionnels.

En outre, les meilleures pratiques managériales produisant des coopérations opérationnelles devraient être modélisées. À titre d’illustration, un dirigeant, dans le cadre d'une fusion, met en œuvre une politique de communication interne qui fédère les personnels des deux structures afin de créer un sentiment d’appartenance à la nouvelle entité. Ou bien une équipe de direction élabore un environnement éthique de management avec l’ambition de proposer un projet cohérent auprès des professionnels.

Enfin, mesurer les performances des projets implique une organisation précise des données pertinentes et fiables dans tous les domaines (activité cœur de métier, ressources humaines, matérielles, financières…). Ceux-ci devant interagir en fonction des objectifs et de la stratégie associative et être structurés via un SI. Faire le lien continu entre les résultats et le sens rend obligatoirement indissociables les différentes composantes de ce système d’information (stratégique, fonctionnel, technique) avec les projets. Comment mener un pilotage opérationnel de ces derniers sans faire évoluer en même temps le SI dans chaque situation ? En effet, s’il existe un levier de la mesure de la performance, c’est bien le système d’information.

[1] La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, rapport de la Cour des comptes, novembre 2011 et rapport d’information sur l’évaluation de la RGPP, Assemblée nationale, 1er décembre 2011

[2] Lire Direction[s] n°93, p. 11

Si vous souhaitez contribuer au débat, proposer une tribune ou réagir à celle-ci, n’hésitez pas et contactez la rédaction : redaction-directions@directions.fr

Par Jean-Pierre Hally et Emmanuel Martinat

Carte d'identité

Prénoms et noms. Jean-Pierre Hally et Emmanuel Martinat
Fonctions. Consultants spécialistes du secteur médico-social et sanitaire

Publié dans le magazine Direction[s] N° 112 - octobre 2013






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