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Pôles territoriaux de coopération économique
Des incubateurs d’innovations sociales

22/10/2014

Nés d’initiatives de terrain éparses, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ont été consacrés par la loi. Objectif ? Le décloisonnement de l’économie sociale et solidaire. Un enjeu majeur, notamment pour le secteur de l’insertion par l’activité économique.

Quatre lettres qui pourraient bien contribuer à bâtir l’avenir de l’ESS : PTCE. Derrière l’acronyme, les pôles territoriaux de coopération économique, regroupant des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), de l’économie classique, mais aussi des collectivités locales, des centres de recherche… Dans quel but ? Coopérer autour de projets innovants sur un bassin d’activités. À leur origine ? Les 60 propositions pour une autre économie identifiées en 2009 par le Labo de l’ESS, membre de l'interréseau qui anime la dynamique au plan national [1]. En 2010, ce collectif s’accorde sur une définition des pôles. Un an après, aux états généraux de l’ESS, la démarche est à l’honneur.

Parallèlement, sur le terrain, des acteurs sont déjà à pied d’œuvre, particulièrement les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE). Des initiatives fleurissent dans des secteurs aussi divers que la métallurgie, la filière bois, les services à la personne… L’organisation souple du PTCE contribue à son succès. « Chaque adhérent conserve son entité statutaire, note Françoise Bernon, déléguée générale du Labo de l’ESS. Une association est le plus souvent créée pour abriter la structure coordonnatrice du pôle. » Une forme susceptible d’évoluer vers une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Exemple en pays de Bray, en Picardie, où un PTCE réunit un atelier et chantier d’insertion (ACI), une association intermédiaire (AI), des entreprises d’insertion (EI) intervenant dans les métiers de l'environnement et de l'aide à la personne… « Mais aussi des entreprises classiques ou la communauté de communes, intéressées par notre démarche d’innovation sociale, de développement du territoire et de redistribution d’emplois », complète Rachid Cherfaoui, président de la Maison de l’économie solidaire (MES), SCIC porteuse du pôle.

La France compterait à ce jour plus d’une centaine de PTCE, bien qu’une estimation précise reste difficile. Nombre d’entre eux sont émergents, et tout regroupement informel ne porte pas l'appellation. Néanmoins, à coups de rencontres et d’idées, la démarche a essaimé.

De nouveaux modèles économiques

Une dynamique consacrée par un appel à projets lancé en 2013… Et surtout par la loi du 31 juillet 2014 sur l’ESS. Laquelle définit les PTCE, « constitués par le regroupement sur un même territoire d'entreprises de l'ESS […] qui s'associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales […], des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale ». Des termes qui posent question à la fédération Coorace. « Si la consécration législative nous satisfait, cette définition tend à donner la priorité au décloisonnement entre les acteurs de l’ESS et les entreprises lucratives, note Anne-Claire Pignal, responsable Recherche et Innovation sociale. Cependant la finalité des PTCE est aussi l’émergence de modèles de développement économique, plus durables et solidaires pour les territoires. D’autres acteurs peuvent avoir une part importante dans l’impulsion de ces coopérations :  initiatives citoyennes, collectivités, organismes de formation... » Françoise Bernon relève également une « hiérarchisation » des parties prenantes par la loi mais, pragmatique, insiste : « Les PTCE contribuent à faire tomber les barrières entre les acteurs de l’économie capitalistique et ceux de l’économie solidaire. »

Dans le respect des valeurs de l'ESS

Un intérêt bien compris pour les SIAE. En témoigne la création du PTCE Coopération industrielle et sociale pour le développement territorial en Haute-Marne (CISDT 52), officialisé sous forme associative en 2013. « L’expérience a débuté avec l’entreprise Yanmar et l’ensemblier Tremplin 52 qui, en 2008, a créé l’EI T2I afin d’assurer la gestion logistique de flexibles hydrauliques pour le groupe industriel. Ce avec une véritable qualité de service au prix du marché. La Chambre de commerce et d'industrie (CCI) a mis en relation ces acteurs, et joué un rôle moteur dans ce partenariat qui a préfiguré le pôle », raconte Philippe Charmont, chef de projet Implantation de nouvelles activités à la CCI et chargé de développement du PTCE. Lequel pôle constitue aujourd’hui une cellule d’ingénierie identifiant des marchés émergents pour l'IAE. « Son expertise a récemment permis de mettre à disposition quatre personnes en insertion pour des activités d’élagage le long de lignes électriques. Et l'essentiel des postes créés via le PTCE l’a été au profit de nos publics », précise son vice-président François Robin, à la tête de Tremplin 52 ainsi que des unions régionales des entreprises d’insertion (Urei) et des associations intermédiaires (Urai) de Champagne-Ardenne.

« Les PTCE se prêtent bien aux SIAE, qui ont une fonction sociale mais aussi économique. Les rapprochements avec d’autres acteurs se font donc naturellement », analyse Ronald Maire, conseiller technique à l’union nationale Uniopss. « Ces pôles leur permettent de reprendre de la hauteur sur leur projet, de dépasser une simple fonction de "sas" vers l’emploi, pour porter une mission élargie de sécurisation des parcours socioprofessionnels dans un contexte de précarité et d’instabilité. Mais aussi de se positionner comme acteurs économiques à part entière, d’apporter des réponses structurantes pour le développement du territoire et pas seulement des solutions individuelles », énumère Anne-Claire Pignal. « Ce à condition de préserver les principes de l’ESS, prévient-elle, comme la gouvernance démocratique et la lucrativité limitée. » Depuis septembre, une charte de valeurs communes est ainsi portée par l’interréseau en vue de former une « communauté » de PTCE.

Craintes et incertitudes

Tout en formalisant la démarche, les promoteurs des pôles désirent toutefois préserver la capacité d’initiative du terrain. Et pointent un risque d’institutionnalisation : « C’est le revers de l’appétence des pouvoirs publics pour les PTCE. Si leur rôle reste incontournable, les collectivités partenaires de longue date ne risquent-elles pas de vouloir davantage les encadrer ? », s’interroge Françoise Bernon.

Autre incertitude, quels pôles seront ciblés par le prochain appel à projets programmé pour 2015 et inscrit dans la loi sur l’ESS ? « Celle-ci prévoit un accompagnement de ceux soutenus par l’Etat. Mais quid des autres, ainsi que des projets en cours ? », soulève encore Françoise Bernon. Des questions laissées en suspens dans l'attente d'un décret d'application et des conclusions d'une mission d'évaluation du dispositif de soutien aux pôles, qui restaient à paraître en octobre. Autant d'éléments qui permettront de savoir de quoi le PTCE de demain sera le nom.

 

[1] En sont aussi membres la Fédération Coorace, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), le Mouvement pour l’économie solidaire (MES), le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale (CNCRES).

Justine Canonne

Point de vue

Henri Arevalo, vice-président du Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) [1]

« Les collectivités territoriales peuvent soutenir les PTCE en apportant d’abord un soutien financier, technique, matériel comme la mise à disposition de locaux. Autre registre d’implication possible : être un partenaire de travail pleinement inséré dans le pôle. Ces cas sont moins fréquents, et l’équilibre à trouver est alors délicat. Car la collectivité doit être en mesure de "tirer" la dynamique collective quand cela est nécessaire, sans pour autant donner l’apparence d’instrumentaliser le pôle. Elle doit parfois savoir rester davantage en retrait, dans son rôle d’accompagnatrice de la démarche portée par les autres acteurs économiques. »

[1] Également conseiller à la communauté d’agglomération du Sicoval Sud-Est toulousain, membre du PTCE Le Périscope (Haute-Garonne)

 

Repères

23 PTCE lauréats d'un premier appel à projets de 3 millions d’euros en 2013, dont une douzaine impliquant des SIAE.

L’article 9 de la loi sur l’ESS définit les missions des pôles : « Mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d'un développement local durable. »

74% des PTCE sont organisés sous forme associative, d'après une récente étude du RTES et de l'Atelier coopératif auprès de 42 pôles.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 125 - novembre 2014






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