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Humanisation des centres d’hébergement
Trouver un nouvel élan

20/05/2015

La suite du programme d’humanisation des centres d’hébergement est une des priorités du plan Pauvreté. Malgré les possibles freins, les pouvoirs publics cherchent aujourd’hui à convaincre les gestionnaires hésitants des bienfaits de ce vaste chantier.

Les 35 opérations menées par Emmaüs Solidarité ont permis de créer des chambres individualisées et équipées, et de repenser les lieux collectifs. Exemples en région parisienne au CHRS Prost (1), à la pension de famille Courvilliers (2), au centre d’hébergement Louvel Tessier (3)et à l’accueil de jour L’Agora (4). © Sébastien Godefroy - Emmaüs Solidarité

« L’humanisation des centres, ce n’est pas la seule remise en ordre des murs, explique Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Elle implique un projet social traduisant le changement de conception de l’hébergement, plus respectueux du droit des personnes. Et s’il se heurte à des difficultés liées à l’obsolescence de la structure, il faut y remédier. » Amélioration des conditions de vie, évolution des prestations… Huit ans après son lancement, le programme affiche ses bons résultats, salués très tôt par la Cour des comptes [1]. Décidés à le poursuivre conformément aux engagements du plan Pauvreté, les pouvoirs publics s’attachent aujourd’hui à lever les ultimes réticences des gestionnaires à s’emparer de cette politique publique jugée efficace. Et pour laquelle les crédits existent, assure l’Agence nationale de l'habitat (Anah).

« Verrues de l’hébergement »

Hiver 2007, à Paris : les tentes rouges des Enfants de Don Quichotte ont brutalement fait irruption sur le bord du canal Saint-Martin. Le grand public découvre l’ampleur du paradoxe : des places d’hébergement désespérément vacantes, malgré l’immensité des besoins. « Il n’est pas possible de dissuader les personnes de dormir dans la rue si les conditions offertes dans les structures ne garantissent pas un minimum d’intimité et de sécurité », comprend en 2008 Étienne Pinte, député UMP missionné pour élaborer un projet [2] en matière d’hébergement, érigé par Matignon en chantier prioritaire. Parmi ses préconisations ? Renforcer l’humanisation des centres (d’hébergement d’urgence – CHU – et de réinsertion sociale – CHRS –, accueils de jour…), initiée par le Plan d’action renforcé pour les sans-abri (Parsa). « L’État a alors pris conscience de la nécessité d’agir sur ces verrues de l’hébergement notamment parisien, se souvient Florent Gueguen, directeur général de la fédération nationale Fnars. Plus personne ne voulait aller dans ces centres aux conditions indignes, sans respect de l’intimité et générant des formes de violence. » Objectifs du programme ? Privatiser au maximum les espaces, repenser voire créer des locaux collectifs et élargir la palette des prestations, en particulier pour les 380 structures « problématiques » repérées à l’époque.

L’individualisation d’abord 

Huit ans plus tard, les associations saluent l’effort : la réhabilitation de 520 structures a été soutenue, sans compter 195 autres projets de création de places permettant de pallier les baisses de capacité. Facture pour l’État ? 209 millions d’euros de subventions, qui ont servi à la réalisation de 587 millions d’euros de travaux (grâce en particulier aux cofinancements des collectivités locales). De quoi radicalement changer la donne, confirme Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité : « Les 35 opérations que nous avons menées ont permis de supprimer les dortoirs au profit de chambres plus individualisées comprenant des kitchenettes et des sanitaires privés. Les lieux collectifs ont par ailleurs été tous repensés, en jouant notamment sur les lumières comme sur les espaces. »

Autre option retenue par les gestionnaires ? La compensation des places « perdues », en investissant le diffus. « Cette option a surtout le mérite de se rapprocher des conditions du logement autonome, qui doit rester la priorité », martèle Florent Gueguen. À l’inverse, le programme ne semble pas être parvenu à développer un hébergement « à taille humaine ». « Les rares opportunités foncières, en particulier dans les métropoles, ont limité les ambitions, explique Perrine Dubois, conseillère technique à la Fondation de l’Armée du salut. La reproduction de grosses structures collectives s’est donc faite au détriment de petites unités promues initialement [3]. »

Ces évolutions, portées par une amélioration des prestations (création de salles d’animation éventuellement ouvertes sur le quartier, de cyber espaces…), ont remodelé les modalités d’accompagnement et les projets des structures, confirme une récente enquête (lire l'encadré). « L’individualisation a permis de penser la mixité des publics (couples, familles…) dans les centres, pour que ceux-ci soient en meilleure adéquation avec les besoins des territoires, reprend Perrine Dubois. En outre, en réaffirmant que les gens sont chez eux, l’humanisation pousse à assouplir les règlements de fonctionnement, en matière de droits de visite ou de contrôle des chambres. »  

Besoin d'assurances

Aujourd’hui, l’engouement des premières années se tarit. Déficit de communication institutionnelle ? Hésitation des gestionnaires ? Certains ont fait leurs comptes : possibles remboursements d’emprunts + amortissement des travaux + amélioration des prestations + baisse du nombre de places = augmentation des coûts. « Certes, le programme finance les investissements, mais suppose ensuite que le prix de journée, mécaniquement augmenté, soit aussi pris en charge, prévient Jeanne Dietrich, conseillère technique à l’union nationale interfédérale Uniopss. Les acteurs attendent donc souvent une assurance avant de se lancer. »

Autre frein notable ? La complexité des opérations, requiérant expertise et cofinancements. Sous la houlette d’un comité national piloté par la Dihal, l’accompagnement des gestionnaires est donc une priorité : outre l’incitation de l’Anah pour financer des études de faisabilité, l’État a engagé ses services (obtention d’agréments maîtrise d’ouvrage, soutien à l’élaboration des budgets prévisionnels…).

Opération séduction

L’heure est à la mobilisation pour convaincre les gestionnaires de faire remonter les projets, qui devront être réfléchis dans le cadre des démarches de programmation territoriale et des diagnostics à 360°. Pour s’assurer cette année, contrairement à 2014, de la consommation totale des crédits prévus par l’Anah (8 millions d’euros), une feuille de route a été élaborée avec le secteur, relaie la Fnars. « Les opérateurs ont pu, à tort, faire passer la question de l’humanisation au second plan, face à la pression en terme d’hébergement, reconnaît Sylvain Mathieu. Pourtant, elle reste une des conditions pour fluidifier les parcours et s’inscrire dans des perspectives d’avenir. »

Pour l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), l’enjeu est ailleurs. « Quand on sait qu’à Paris par exemple, la moitié du public est accueilli à l’hôtel, de quelle humanisation parle-t-on ?, recadre Jean Marie Vauchez, son président. Une fois encore les questions de fond ne sont pas posées ! » À quand donc l’humanisation de la politique d’hébergement, plus que des seules structures ? « Elle doit passer effectivement par la fin de l’hébergement hôtelier et la reconstitution d’un parc digne doté d’un vrai accompagnement social, répond Florent Gueguen. Ce afin de permettre notamment aux familles, qui représentent 40 % des demandes adressées au 115 d’accéder à leurs droits. »


[1] La politique publique de l'hébergement des personnes sans domicile, rapport d'évaluation de la Cour des comptes, 2011

[2] Propositions pour une relance de la politique de l’hébergement et de l’accès au logement, Assemblée nationale, janvier 2008

(3) Circulaire du 5 mars 2009 

Gladys Lepasteur

Un bilan globalement satisfaisant

En 2013, une enquête a été menée auprès des bénéficiaires du programme d’humanisation et de subventions de mises aux normes [1]. En matière de conditions d’hébergement, les 205 centres répondants attestent d’une baisse du nombre de places en dortoirs, d’une évolution de l’offre dans le diffus et d’une augmentation de la surface des chambres individuelles. 41 % de ces dernières sont désormais équipées de sanitaires et d’un bloc cuisine (contre 16 % auparavant). Par ailleurs, une structure sur cinq a créé un espace d’accueil. De quoi modifier le projet social de 56 % des centres ayant réalisé un programme d’humanisation (organisation, évolution des missions…). Outre la participation du public au projet, la question de l’accueil 24 heures sur 24 reste un point noir : plus de 40 % des structures sont fermées en journée.

[1] Premiers éléments de synthèse du programme d’humanisation des centres d’hébergement, approche quantitative réalisée par la Dihal et le Cerema, avril 2015

 

Repères

  • 209 millions d’euros : c’est le montant total des subventions allouées au programme par l’État entre 2008 et 2014, au profit de 715 projets (restructurations et créations de places résultant de la reconstitution de l’offre).
  • « Le projet doit être construit avec les personnes accueillies et les personnels, tant il va bouleverser les habitudes de tous », recommande Bruno Morel, directeur général d'Emmaus Solidarité.
  • 1 sur 10 : proportion des places en dortoirs et chambres partagées, chiffre la Drees.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 132 - juin 2015






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