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Tribune de Thierry Dimbour (Creai Aquitaine)
« Pour une stratégie numérique dans le secteur »

03/02/2016

Anticipant les travaux à venir sur la loi République numérique, Thierry Dimbour, directeur du Creai Aquitaine a lancé début janvier, avec plusieurs dizaines de gestionnaires du secteur, une pétition [1] à l’adresse de la secrétaire d’État Axelle Lemaire. Ils réclament une politique publique volontariste de soutien à la révolution numérique dans la filière médico-sociale pour qu’elle ne soit pas la grande oubliée des débats parlementaires.

Thierry Dimbour (Creai Aquitaine)

Le secteur médico-social n’est pas imperméable, loin de là, à la révolution du numérique qui touche l’ensemble des activités productives aujourd’hui. Mais si cette révolution des usages et des pratiques professionnelles a su percer dans le champ de la e-santé, de la médecine connectée ou du « big-data santé », force est de constater que cela apparaît plus compliqué dans le champ médico-social, entendu comme celui des personnes en situation de vulnérabilité (handicap, personnes âgées dépendantes, protection de l’enfance).

Un outil d’inclusion sociétale

Le secteur semble confronté à une quadruple contrainte. Une première est liée à la formation initiale des professionnels, où cette dimension est peu, voire pas du tout, abordée en tant qu’outil de médiation ou d’inclusion sociétale. Une deuxième contrainte est d’ordre culturel, et touche aux fondements du travail social qui s'appuie principalement sur une approche orale de la relation à l’usager. Le refus légitime de toute forme de normalisation du travail d’accompagnement a pour effet de retarder toute tentative d’informatisation et de partage électronique des données.
Troisième contrainte : le financement et la structuration même du secteur, essentiellement représenté, du côté des gestionnaires et des centres ressources spécialisés, par des structures associatives qui ont beaucoup de mal à attirer les financements destinés à cette transformation numérique. En effet, ces organisations n’ont pas accès aux financements prévus dans le cadre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), du crédit d'impôt recherche (CIR) ou des projets soutenus par la Banque publique d'investissement (BPI).
Enfin, une quatrième contrainte concerne le modèle économique général auquel est soumise toute innovation en direction de ces cibles. Que ce soit en faveur des usagers, de leurs familles ou des professionnels qui les accompagnent, c’est en général le principe de gratuité d’accès qui est privilégié. Dès lors, difficile d’attirer des start-ups ou des industriels vers un secteur aussi peu ouvert en apparence à cette révolution digitale.

Un support pour évaluer la qualité des prestations

Pourtant, un certain nombre d’opportunités existent et méritent d’être saisies, comme celle offerte par le coût de ces techniques qui est devenu marginal. Ou celle de leur diffusion massive dans tous les champs de la vie quotidienne, à tous les âges de la vie et pour tous les milieux (certes, de manière inégale), qui ne pose plus la question de leur appropriation. Nous avons largement dépassé la « période d’évangélisation ».
En outre, par leur puissance de collecte et d’analyse des chiffres, ces moyens peuvent représenter un support privilégié en matière de suivi en continu et de l’évaluation de l’usager. Et ainsi permettre de répondre à la question de l’évaluation de la qualité du service rendu et de l’évolution des agréments des établissements et services. Autre opportunité ? Celle de la diversité de leurs champs d’action potentiels : pédagogique, éducatif et thérapeutique. Il s’agit enfin d’un enjeu privilégié de lien avec les parents et l’environnement des personnes (amis, fratrie, pairs).

Les besoins existent et les initiatives impulsées par des équipes de terrain ou les rares projets de recherche appliquée débouchent sur des innovations utiles dans l’amélioration de la qualité des prestations délivrées aux usagers. Les outils d’aide à la communication et à l’apprentissage se développent et sont de plus en plus courants chez certains publics, à l’exemple de l’autisme. Toutefois, ils ne bénéficient pas de protocoles sérieux d’évaluation en vue de leur diffusion vers d’autres structures équivalentes, ou d’autres publics (handicap intellectuel par exemple). De la même manière, grâce à des initiatives locales, partiellement repérées et faiblement diffusées, des applications de soutien à l’autonomie et l’inclusion sociale ont pu être développées dans tel ou tel champ de la vulnérabilité.

Revoir les organisations territoriales

La mise en œuvre d’expérimentations relatives aux personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa), ou des territoires numériques de santé ont également permis à des acteurs de se doter de nouvelles techniques numériques initiant de nouvelles organisations territoriales et partenariales. Enfin, de nouveaux outils de coordination entre aidants, qu’ils soient professionnels ou non, souvent à la demande de familles de plus en plus connectées mais aussi de plus en plus éloignées ou éclatées, engendrent de nouvelles formes de collaborations au service des personnes fragiles vivant à domicile. En direction de ces divers publics (personnes âgées et/ou handicapées chez elles ou en établissements, en situation d’exclusion sociale, personnes protégées), ces expérimentations démontrent l’utilité et les apports du numérique pour améliorer le quotidien des personnes et impulser de nouvelles organisations territoriales.

Mais ces actions apparaissent de manière dispersée sur nos territoires, sont peu protocolisées et évaluées, et ne font pas l’objet d’une politique coordonnée de sélection et de diffusion des actions innovantes efficientes et pertinentes. Il conviendrait donc de mettre en place une stratégie nationale de soutien actif au secteur pour initier et développer une politique publique durable dans le domaine numérique. Cette politique volontariste pourrait répondre à quatre enjeux majeurs partagés du secteur médico-social.

D’abord, celui de la qualité du service rendu aux personnes par l’action publique. Soit comment mieux associer l’usager à l’évaluation du service rendu ? Pour cela il faudrait poser deux postulats. Le premier est que les référentiels de connaissance des situations de vulnérabilité soient coconstruits avec les personnes et/ou leurs représentants comme c’est le cas pour la classification internationale du fonctionnement, de la santé et du handicap (CIF) promue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le second, que la mise en œuvre des outils numériques au service de l’action médico-sociale soit soumise, en continu, au pouvoir d’agir et au contrôle des personnes et/ou de leurs représentants.

Autre enjeu de cette politique ? Celui de la planification et de l’allocation des ressources. À savoir, comment mieux faire correspondre évolution de l’offre et réponse aux besoins ? Cela passe par la priorité qui doit être accordée à un système d’information partagé entre tous les acteurs impliqués (agences régionales de santé – ARS, départements, maison départementale des personnes handicapées – MDPH, gestionnaires) s'appuyant sur une nomenclature claire et partagée des besoins à couvrir et des prestations offertes sur les territoires. Ce qui s’inscrit notamment dans la suite du projet Serafin-PH de réforme de la tarification (lui-même fondé sur les outils de l’OMS). Une première étape consiste en un recensement des outils déjà produits, des actions en cours, des projets à venir.
Enfin, l’enjeu des pratiques professionnelles : comment développer cette culture numérique chez les professionnels du secteur ? Celle-ci doit passer par des outils de diffusion et de duplication des innovations ayant démontré leur intérêt et leur utilité dans un accompagnement plus qualitatif des usagers. Mais aussi par des efforts importants en matière de formations initiales et continues des équipes et de l’encadrement.

Soutenir les structures ressources

Une réflexion institutionnelle et de gestionnaire est à mener afin de soutenir la montée en compétence des professionnels à travers des personnes ressources au sein des établissements, pôles ou sièges. Dans le cadre de la formation continue, il est attendu une ouverture vers le financement de ce type de formations par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) du secteur (Unifaf, Unifed, Agefos).

Cette ouverture d’esprit, et la priorité donnée à ce secteur en matière d’accès au numérique et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), doit également se traduire par un soutien efficace aux structures ressources pour les aider à de se doter de ces nouvelles compétences à mettre à disposition des organisations et des professionnels (informaticiens, gestionnaires réseaux, ingénieurs, conseillers numériques…).

Sans oublier, l’enjeu du financement du « e-médico-social » : comment orienter et sécuriser les financements pour accompagner cette révolution numérique ? Le seul objectif de rentabilité immédiate ne pourra permettre au secteur d’être à la hauteur des enjeux de ce bouleversement. Pour autant, la question de l’efficience reste pleine et entière à travers les enjeux d’équipement d’outils utiles, accessibles et pérennes. Il est fondamental que les critères d’utilité sociale et d’amélioration de la qualité de vie des personnes vulnérables soient placés au centre des objectifs collectifs visés. Le fléchage d’un soutien public à cette politique de modernisation du secteur (fonds d’intervention régionaux sous la responsabilité des ARS, volet Plan national numérique e-m-s dans le cadre de la loi en discussion, mobilisation de l’épargne nationale…) est indispensable.

[1] « Pour un soutien public à la révolution numérique dans le secteur médico-social », pétition à retrouver sur le site https://www.change.org

Thierry Dimbour


Les six propositions de la pétition

  • Créer un événement de portée nationale pour installer cette question à l’agenda des politiques publiques ;
  • Mettre en place une plateforme nationale d’échanges et d’information permettant aux acteurs impliqués (gestionnaires, associations, décideurs publics, équipes de recherche) de se fédérer sur des projets innovants à haute valeur sociale ajoutée ;
  • Mettre à disposition des structures volontaires des personnes ressources numérique ;
  • Développer et généraliser des observatoires de l’innovation dans le champ médico-social ;
  • Lancer des appels à projets permanents BPI/CNSA pour soutenir et développer des initiatives innovantes dans le secteur ;
  • Compléter les référentiels de formations des intervenants par un volet « compétences numériques ».

Carte d'identité

Nom. Thierry Dimbour

Fonction. Directeur du centre régional d’études, d’actions et d’information en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (Creai) Aquitaine

Publié dans le magazine Direction[s] N° 139 - février 2016






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