Dans certains pays européens, notamment en Allemagne, les responsables de services informatiques n'hésitent pas à acquérir des licences de logiciels de seconde main. En France, cette pratique reste encore confidentielle. Pourtant, depuis un arrêt du 3 juillet 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la revente (et donc l'achat) de licences de logiciels est autorisée sur le territoire européen. Mais, à l'inverse d'autres pays, cette décision n'a pas encore été retranscrite dans le droit français. « Pour autant, les éditeurs ne peuvent pas s'y opposer et les clauses interdisant cet usage sont désormais sans valeur dans l'Union », précise Dominique Damo, avocat et fondateur du cabinet spécialisé en droit de l'Internet et de l'informatique Jurisdemat Avocat.
1 Une source d'économies possible
Ces dernières années, cependant, des sites de revente spécialisés et des plateformes de mise en relation entre acheteurs et vendeurs se sont implantées en France, sur lesquels les logiciels sont proposés à des tarifs très attractifs. Selon le produit, l'économie peut atteindre jusqu'à 90 %. Une cote qui varie notamment en fonction de l'ancienneté de la version et de sa réputation. « Il est possible d'acquérir des produits très récents sur le marché de l'occasion, car lorsqu'un logiciel est revendu, il l'est dans sa version upgradée, et non dans sa version initiale. De ce fait, lorsque des mises à jour ont été effectuées pour réparer des bugs, le second acheteur en bénéficiera », explique Habibou M’Baye, cofondateur de SoftCorner, une plateforme dédiée au marché secondaire des logiciels proposant un argus de l'occasion. Des opportunités d'économies pour les organisations n'ayant pas besoin de s'équiper des dernières nouveautés ou souhaitant simplement compléter un parc existant.
Ce marché de l'occasion peut aussi constituer une source de gains pour ceux qui disposent de licences inexploitées. « Environ 25 % des licences ne sont pas (ou plus) utilisées, pour cause d'achats surdimensionnées, de solutions abandonnées suite à la migration vers une nouvelle technologie ou encore de réduction d'effectifs », constate Habibou M’Baye.
2 Une revente encadrée
Si la CJUE autorise la revente de licences, elle l'a aussi encadrée. « Pour qu'il soit légal, l'achat initial doit obligatoirement avoir eu lieu sur le territoire de l'Union européenne », prévient Dominique Damo. Pas question, donc, de passer commande sur des sites basés à Singapour ou à Hong Kong. « Autre impératif pour le second acheteur, disposer des justificatifs, et notamment la facture d'achat initiale, afin de prouver la légalité de l'opération », complète Habibou M’Baye. Une traçabilité d'autant plus nécessaire que les éditeurs intensifient leurs campagnes d'audit pour s'assurer que leurs clients n'outrepassent pas les droits d'utilisation qu'ils ont acquis. D'ailleurs, il est recommandé de privilégier des plateformes spécialisées, comme Softcorner, Usedsoft ou Soft&Cloud, qui se chargent de recueillir les documents requis et de les transmettre aux acquéreurs.
3 Quid de la maintenance ?
« Seul le droit d'utilisation peut être cédé, le support et la maintenance ne sont pas transférables au nouveau propriétaire de la licence », prévient Dominique Damo. Mais il y a quelques exceptions : les patchs correctifs (destinés à corriger des bugs) sont transmis au nouvel acquéreur et la maintenance doit être réalisée si le produit est encore sous garantie. Par ailleurs, rien n'interdit de se tourner vers l'éditeur, comme n'importe quel client. « Le second acheteur ayant le statut de propriétaire légitime, il peut tout à fait souscrire un contrat de maintenance et de mise à jour », assure Habibou M’Baye. Une option sécurisante mais pas forcément très utile pour des outils informatiques basiques.
4 Les produits standard
Par prudence, il reste préférable de se tourner vers le marché secondaire pour des logiciels courants, comme les suites bureautiques. En cas de problème d'installation d'un logiciel spécifique ou paramétré pour répondre aux besoins particuliers de l'acheteur initial, pas sûr de pouvoir compter sur la bonne volonté de l'éditeur pour régler le problème… Des offres d’entreprise existent garantissant de maintenir en condition opérationnelle les licences d’occasion.
En outre, il n’est pas recommandé d’acheter sur le marché de l’occasion des logiciels dont les évolutions sont rapides. C’est le cas des antivirus, leur valeur ajoutée résidant dans les mises à jour très régulières réalisées par leur éditeur.
Jean-Marc Engelhard
Publié dans le magazine Direction[s] N° 169 - mai 2017