L’avis n°118 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) [1] et le film The Sessions [2] : deux regards sur l’assistance sexuelle aux personnes handicapées, pour un débat français relancé. D’un côté, l’œil bienveillant d’Hollywood sur l’expérience sexuelle et amoureuse d’un poète paralysé avec une « Sex Surrogate ». De l’autre, l'opinion défavorable des Sages – rendue publique en mars dernier – consultés en 2011 par l’ex-ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, au sujet des « prestations que la société serait […] susceptible d’offrir pour atténuer les manques ressentis dans leur vie affective et sexuelle par les personnes handicapées. » L'un des raporteurs de l'avis, François Beaufils, tranche : « Elles ne sont pas les seules à être concernées par de tels besoins, loin s’en faut. D’où l’impossibilité de créer un "droit créance" en la matière. La sexualité est un besoin privé à satisfaire de manière privée. »
Des structures dans l’impasse
Reste que ce dernier principe vacille à l’épreuve du handicap (accès limité voire impossible à son propre corps, expression difficile de ses besoins et envies intimes…). Et davantage encore avec les contraintes de la vie en établissement. « La prise en charge est souvent pensée d’abord de manière collective. Difficile dans ce cadre pour la personne handicapée d’être reconnue en tant que sujet, dans son identité sexuée. Face aux frustrations, trois pis-aller sont possibles : les non-dits, les interdits et la prostitution. Aussi, régulièrement, j’accompagne un usager chez une professionnelle », reconnaît le directeur d’un foyer de vie, qui préfère rester anonyme. Car si l'échange d'actes sexuels tarifés est toléré en France tant qu’il reste d’ordre privé, les responsables de structures qui acceptent de jouer le rôle d’intermédiaire tombent sous le coup de la loi réprimant le proxénétisme. Une prise de risque qui témoigne de l’impasse dans laquelle ils se trouvent pour répondre aux demandes des résidants, seuls ou en couple.
Un droit à la sexualité ?
Consciente de ces difficultés, l’association Ch(s)ose, créée en 2011 à l’initiative du Collectif handicaps et sexualités (CHS), milite en faveur d’une exception à la loi qui autoriserait la création de services d’accompagnement sexuel. « Ils auraient un rôle d’information, d’analyse des demandes et de mise en relation des usagers avec des assistants sexuels rémunérés, explique Pascale Ribes, sa présidente, également vice-présidente de l’Association des paralysés de France (APF). L’objectif est de permettre aux personnes d’expérimenter leur propre corps. La réponse apportée peut donc être sensuelle, érotique voire sexuelle. Le professionnel pourrait aussi intervenir auprès de couples incapables de se dévêtir ou d’avoir des rapports sexuels sans aide extérieure. » Inspiré des expériences suisse (lire ci-dessous), néerlandaise ou encore allemande, un tel dispositif relèverait, pour ses partisans, d’une démarche de compensation du handicap, promue par la loi du 11 février 2005. Faute d’un « droit à la sexualité » écrit noir sur blanc, Ch(s)ose se réclame du concept de « santé sexuelle », défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et articulé au principe de non-discrimination réaffirmé par la Convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.
Des tabous à lever
Mais l'association peine à faire bouger les lignes, intactes depuis la publication du rapport de l’ex-député (UMP) Jean-François Chossy [3] en 2011, qui posait la question de l’aide sexuelle. Même l’Essonne, qui avait décidé « d’engager un débat ou une réflexion sur le statut de l’assistant sexuel » dans le cadre de son schéma départemental 2013-2018 en faveur des personnes handicapées, a finalement fait machine arrière. Plus consensuel, le texte qui a été adopté le 25 mars dernier prévoit plutôt de lancer « une réflexion sur la formation des équipes des services et établissements aux enjeux de l’éveil et de l’accompagnement dans la sexualité [des usagers]. » « En particulier ceux plus lourdement handicapés », précise-t-on encore au conseil général. Le schéma propose aussi de former les personnels aux questions plus générales liées à la sexualité, à la contraception ou encore la parentalité. Une piste dans laquelle se sont déjà engagées de nombreuses structures. « Nous avons fait appel à Sheila Warembourg, diplômée en sexologie et santé publiquespécialisée dans le champ du handicap, pour donner des repères à nos équipes, témoigne Nathalie Perret, directrice de deux foyers et du service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS) à l'union des associations de parents et de personnes handicapées mentales Urapei de la Loire. Puis certains éducateurs ont été formés pour animer des groupes de parole sur le sujet avec les usagers. » Mais si la nécessité de lever les tabous fait consensus, la solution de l'assistance sexuelle est loin de faire l'unanimité sur le terrain. Par prudence ou par conviction.
Quelle frontière avec la prostitution ?
« Limiter le débat à l’assistance sexuelle, c’est considérer le problème par le petit bout de la lorgnette, estime pour sa part Claire Quidet, porte-parole du Mouvement du nid. Il faut une réponse globale, sexuelle et affective. Imaginez à quelle solitude ce genre de pratiques peut renvoyer les personnes ! » Avec, au cœur de la controverse, le principe contesté de la prostitution que de tels services autoriseraient de fait. « Sans compter que la demande est essentiellement masculine, nous renvoyant à ce qu’il reste de culture patriarcale ! », s'agace-t-elle. Et si Marcel Nuss, consultant et écrivain, considère ouvertement l’assistance sexuelle comme de la « prostitution spécialisée », la présidente de Ch(s)ose préfère nuancer : « L'objectif n’est pas d’accomplir un acte purement sexuel, mais de rendre une personne autonome. Ce serait une réponse ponctuelle, fournie par des professionnels formés, puis supervisés. Enfin, il ne s’agirait surtout pas d’impliquer les équipes des structures afin d’éviter la confusion des genres. »
Et le handicap mental ?
Précaution supplémentaire, l’association limite, pour l’instant, son action militante aux seules personnes dont l’accès à leur propre corps est « contrarié ». Pour celles en situation de handicap mental ou psychique la question du consentement se pose. En outre, le droit à la compensation paraît moins évident à faire valoir. Pas pour Marcel Nuss cependant : « Une personne peut très bien avoir la possibilité physique de se masturber tout en étant dans un état de démembrement psychologique tel que cela lui est impossible dans les faits ! »
Mauvaise réponse à une bonne question pour les uns, réparation d’une injustice pour les autres. Derrière les accusations réciproque d’hypocrisie, c’est bien la défense de la dignité humaine que prônent les deux camps. Ce qui rend le débat d’autant plus épineux.
[1] « Vie affective et sexuelle des personnes handicapées : question de l’assistance sexuelle », avis n° 118 du CCNE, 4 octobre 2012
[2] Film de Ben Lewin, sorti en salles en mars 2013
[3] « Passer de la prise en charge… à la prise en compte », rapport de Jean-François Chossy, novembre 2011
Aurélia Descamps
Avis d'expert
Catherine Agthe Diserens, présidente de l'association Sexualité et handicaps pluriels (SEHP)
« L'association suisse SEHP est à l’origine de la première formation d’assistant sexuel dans ce pays. Dix personnes, dont quatre femmes, ont obtenu la certification en 2009, à l’issue de 300 heures de formation. Leur travail est assimilé à de la prostitution, légale en Suisse. Mais elles ne vivent pas de cette activité : toutes exercent par ailleurs un autre métier. Chaque session d'assistance dure une heure (et coûte environ 120 euros) et les besoins peuvent varier : certaines personnes sont en quête de plaisir, d’autres cherchent par exemple à tester la fonctionnalité sexuelle. Jusqu’à présent, nous n’avons totalisé que 150 demandes, majoritairement pour des personnes handicapées moteur (60 %) et des hommes. Elles sont le plus souvent d’ordre sensuel et restent ponctuelles. En effet, nous faisons en sorte qu’il n’y ait pas de dépendance qui s’installe. L'usager doit pouvoir continuer à faire des rencontres. »
Repères
150 000 euros d'amende et sept ans d’emprisonnement : c’est la peine encourue pour proxénétisme (art. 225-5 du code pénal).
« Le statut légal des assistants sexuels reste indéfini dans la majorité des États du monde. » (International Professional Surrogates Association)
« La santé sexuelle […] est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en relation avec la sexualité, et non pas simplement l’absence de maladies, de dysfonctionnements ou d’infirmités. » (OMS)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 108 - juin 2013