Assemblée plénière de la CRSA Rhône-Alpes, le 17 octobre 2013 à Lyon.
« Ce premier mandat a été celui de la construction d’une culture commune entre des représentants d’horizons divers », résume Marie-Sophie Desaulle, présidente du collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), elle-même à la tête de celle des Pays de la Loire. Installées à l’été 2010 [1], les conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) ont été créées par la loi du 21 juillet 2009, dite Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). L’ambition du législateur ? Renforcer la démocratie en santé au niveau local, en associant l’ensemble des acteurs concernés. Pour ce faire, chaque CRSA rassemble une centaine de membres (représentants d’usagers, de partenaires sociaux, de collectivités territoriales, de gestionnaires des secteurs sanitaire et médico-social, de fédérations d’employeurs…), répartis en une commission permanente et quatre autres spécialisées.
Leurs missions ? Rendre un avis sur le projet régional de santé (PRS) de l’ARS, produire le rapport annuel sur les droits des usagers ainsi que leur propre rapport d’activité et animer le débat public sur les questions de santé. Au terme de ce mandat initial, et alors que les CRSA sont toutes en voie de renouvellement [2], quel est le premier bilan de leur action ? Incarnée par ces instances plurielles, la démocratie en santé est-elle effective au niveau local ?
Des usagers investis
Premier constat : les différents partenaires ont investi largement les commissions. « Le niveau de participation globale est plutôt bon, les plus impliqués étant incontestablement les représentants des usagers », témoigne Christian Berthuy, directeur général de l’association OVE (Rhône-Alpes), et président de la commission spécialisée médico-sociale à la CRSA de la région. « Cela nous permet de produire et de diffuser des recommandations sur les droits des personnes âgées et handicapées au sein des structures, explique Pierre-Marie Lebrun, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) du Nord-Pas-de-Calais, à la tête de la commission spécialisée sur les droits des usagers de la CRSA locale. Depuis janvier 2014, des membres assistent par exemple à des conseils de la vie sociale (CVS) d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) afin de déterminer comment les améliorer. »
Les représentants des gestionnaires du secteur médico-social ont également saisi l’intérêt de siéger dans les CRSA. « Nous avons pu nous positionner, non comme de simples offreurs de services, mais comme contributeurs à la définition des priorités de la politique de santé inscrites dans le PRS. Nous avons aussi été associés à une réflexion de l’ARS sur les cahiers des charges des appels à projets », se félicite Philippe Jourdy, directeur général de l’association Asei et président de la commission spécialisée médico-sociale de la CRSA Midi-Pyrénées.
Des instances vecteurs du décloisonnement
La création de ces instances a également permis les échanges entre des acteurs qui s’ignorent encore trop souvent. « C’est un lieu où les professionnels hospitaliers prennent conscience que, face à leurs problématiques, ils peuvent travailler avec le secteur médico-social », se satisfait Bruno Coste, membre de la CRSA Ile-de-France au titre de l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss). Un début de reconnaissance partagée pour deux secteurs historiquement cloisonnés ? L’instance offre en tout cas un espace où le sujet de leur articulation peut être abordé concrètement. Ce dont témoigne Loïc Grall, directeur du centre de rééducation fonctionnelle (CRF) Divio, en Côte d’Or, délégué régional de la fédération d’employeurs Fehap et membre de la CRSA Bourgogne : « J’ai pu amener à la conférence, et donc à l’ARS, la question de la sortie des soins de suite et de réadaptation [SSR] et de la coordination à trouver avec la maison départementale des personnes handicapées [MDPH] pour la prise en charge des usagers. »« Dans un système qui reste hospitalo-centré, les agences ont besoin d’entendre la voix de ceux qui fournissent l’accompagnement médico-social », confirme Marie-Sophie Desaulle. « Ils jouent un rôle important de veille et d’alerte. Leurs sujets de préoccupation permettent à l’ARS de préciser ses positions et de distinguer les chantiers à ouvrir en priorité », renchérit Marie-Hélène Lecenne, directrice du handicap et du grand âge à l’ARS Rhône-Alpes.
Chambre d’enregistrement ou parlement ?
Ces premières années ont d’ailleurs été marquées par l’adoption des PRS. Des documents particulièrement volumineux sur lesquels les membres ont planché pour rendre leur avis. « Les ARS ont bien intégré l’obligation de consulter les CRSA sur les projets, plans et schémas régionaux d’organisation médico-sociale, des soins et de prévention », souligne Bernadette Devictor, présidente de la Conférence nationale de santé (CNS) et de la CRSA Rhône-Alpes. Pour autant, la mission a été remplie selon des modalités différentes en fonction des régions, en associant plus ou moins étroitement ces instances. Quelques-unes ont été strictement consultées en aval, comme le prévoyaient les textes. Ce fut le cas en Bretagne. « En 2012, nous avons rendu un avis négatif sur le PRS. Mais l’ARS a tout de même décliné ses conditions de mise en œuvre dans la même journée. Ce qui a été mal vécu par certains membres, se souvient Bernard Gaillard, président de la CRSA bretonne. Depuis, nous avons convenu d’une méthodologie de travail conjointe avec l’agence, notamment en vue du prochain PRS. » D’autres ont directement collaboré à la construction du plan, comme les Pays de la Loire, où un comité de pilotage paritaire composé de membres de la CRSA et de l’ARS a ainsi présidé à son élaboration.
« Selon les agences, le rôle des CRSA peut aller de celui d’une simple chambre d’enregistrement à celui d’un véritable parlement régional de la santé », analyse de son côté Loïc Grall. La bonne marche de ces instances de démocratie en santé repose donc sur la qualité du dialogue avec l’ARS. Et sur les moyens qu’elle lui octroie pour fonctionner : prise en charge des frais de déplacement des membres, organisation de réunions, tâches administratives… « Dans la majorité des régions, l’ARS apporte un vrai support logistique. Mais certaines, heureusement peu nombreuses, disposent de ressources scandaleusement limitées qui entravent leur action », déplore Bernadette Devictor. La solution selon cette dernière ? « Des moyens financiers clairement fléchés dans les budgets des ARS. En outre, un chargé de mission de l’agence affecté à la CRSA serait le minimum. »
Animer le débat public
La démocratie en santé issue de la loi HPST a donc encore des marges de progression pour être pleinement effective. Ce sera l’un des enjeux de la prochaine mandature. Les priorités des nouveaux membres des CRSA ? Participer au renouvellement des PRS quinquennaux. « Il serait opportun que les représentants puissent contribuer à l’évaluation des plans actuels », suggère la présidente de la CNS.
Les instances renouvelées devront également se saisir davantage de leur mission d’animation du débat public. « Pour l’heure, cela s’est parfois apparenté à l’organisation de conférences, certes utiles. Mais il faut aller davantage vers tous les citoyens afin de recueillir plus largement leur avis sur les orientations du système de santé », ajoute Bernadette Devictor. Pour permettre, en outre, de renforcer la visibilité de ces instances, « qui restent méconnues du grand public et réservées à un cercle d’initiés », estime Bernard Gaillard. Après les années de construction, les quatre suivantes seront-elles celles de la maturité ?
[1] Décret n° 2010-348 du 31 mars 2010
[2] Instruction SG n° 2014-75 du 19 mars 2014
Justine Canonne
Repères
4, c’est le nombre de commissions spécialisées que compte une CRSA : « prévention », « organisation des soins », « prise en charge et accompagnement médico-social », « droit des usagers du système de santé ».
Bernadette Devictor, présidente de la CNS :
« La démocratie en santé consiste en la participation des personnes aux décisions qui les concernent en la matière, tant sur le plan individuel que collectif, depuis leur propre parcours jusqu’aux orientations des politiques publiques. »
100, c’est le nombre maximal de membres d’une CRSA, répartis en huit collèges (collectivités locales, usagers des services de santé et médico-sociaux, offreurs de services de santé, partenaires sociaux…).
Marie-Sophie Desaulle, présidente du collège des directeurs généraux d’ARS :
« Le lien qui s’établit entre l’ARS et la CRSA diffère selon les personnalités du directeur général de la première et du président de la seconde. L’un et l’autre doivent être dans une logique de coconstruction de la relation. »
74 %, c’est le taux de participation des représentants d’usagers aux séances plénières de la CRSA Rhône-Alpes, selon son rapport d’activité de 2012, contre 51 % pour l’ensemble des membres.
5 ans, c’est la durée pour laquelle est adopté le PRS, actualisé chaque année.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 122 - août 2014