Irène Monteiro, 85 ans, vit dans un coquet appartement de Sartrouville, en région parisienne. « Vous avez une petite voix », constate la psychomotricienne qui vient réaliser sa séance hebdomadaire. Au programme ? Exercices de motricité fine et globale, avec lancer d'anneaux et partie de Triomino. Bien qu'elle ne puisse plus se lever ni marcher seule depuis sa sortie d'hospitalisation, la vieille dame peut rester chez elle grâce à Ehpad@dom, un dispositif intégré d'aide à domicile lancé en novembre 2017 par l’établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Stéphanie et le Pôle domicile de Sartrouville [1], tous deux géré par la Croix-Rouge française. « J'ai tout ce qu'il me faut, confie-t-elle, une auxiliaire de vie pour les repas et le ménage, une aide-soignante matin et soir, des séances de kiné… Et parfois ma fille m'emmène à l'Ehpad pour l'atelier de gym douce. » « Le but de cette expérimentation est de proposer une alternative à l'institution tout en offrant des prestations équivalentes et à moindre coût », résume Hélène Meilhac-Flattet, directrice de la structure et depuis peu du Pôle domicile.
Sur fonds propres et grâce au mécénat
Cette offre comprend l'aide et les soins quotidiens à domicile, la coordination de toutes les interventions (y compris de praticiens libéraux ou de portage de repas), une aide aux démarches administratives, un service de petits travaux dans le logement, une astreinte d'infirmière de nuit, une plateforme de téléassistance 24 heures sur 24 (Bluelinéa) avec bracelet d'appel et détection de chutes, et une chambre d'urgence à l'Ehpad pour 72 heures.
En outre, les bénéficiaires ont aux diverses prestations de la Résidence Stéphanie (animations collectives, restaurant, halte répit-détente Alzheimer) et sont prioritaires pour les demandes d'hébergement temporaire. Le tarif pour l'ensemble des services est de 174 euros par mois. « Seules les interventions des auxiliaires de vie du service d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) ne sont pas comprises, ainsi que les prestations optionnelles proposées à la résidence (restauration) », ajoute Céline Vallet, cadre de santé et coordinatrice de l’Ehpad. « N'ayant pas obtenu de fonds publics pour cette expérimentation, nous la finançons pour moitié sur les fonds propres de la Croix-Rouge et pour l'autre grâce au mécénat de Malakoff Médéric et de la Fondation Médéric Alzheimer », précise la directrice.
La coordination comme pilier
Pour mettre en place ce dispositif d'équipe mobile, les porteurs du projet ont mobilisé leurs ressources internes pour la coordination, et ont recruté spécialement une psychomotricienne, une psychologue et une infirmière. Le Saad et le service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ont étoffé leurs équipes d'intervention à mesure des nouvelles admissions. Au niveau de l'Ehpad, le personnel a été préparé à accueillir occasionnellement ces nouveaux résidents externes. « L'astreinte infirmière de nuit existait déjà, de même que la chambre supplémentaire. Le plus gros chantier a été la coordination entre l'établissement et les services », souligne Hélène Meilhac-Flattet.
Ehpad@dom est coordonné par Céline Vallet, déchargée de ses autres fonctions sur un mi-temps. Elle gère notamment les admissions : « Les critères sont les mêmes que pour l'entrée en Ehpad. Les bénéficiaires actuels sont des personnes évaluées en groupe iso-ressources (GIR) 1 à 5, en perte d'autonomie ou avec des troubles cognitifs de type Alzheimer. Même si la plupart d'entre eux ne vivent pas seuls, le dispositif est adapté à des personnes très âgées et dépendantes », détaille-t-elle.
Après avis du médecin coordonnateur elle se rend au domicile pour évaluer les besoins d'aide et organiser la prise en charge, en lien avec les familles : définir le temps nécessaire de psychomotricienne et de psychologue, rattachées à l'Ehpad, et surtout le temps d'aide-soignante et d'auxiliaire de vie, dont les visites sont planifiées par le Ssiad. « Au début, je passe plusieurs fois pour vérifier que tout fonctionne, ajoute Céline Vallet. Les familles ont mon numéro de téléphone et je les préviens aussi des événements organisés à la résidence. » Elle assure également le suivi médical : réception des ordonnances envoyées par le médecin traitant, commande et réception des médicaments.
L'autre pilier de la coordination est l'infirmière du Ssiad, recrutée spécialement : elle ne prodigue pas de soins mais apporte chaque semaine les traitements à domicile dans des piluliers, fait remonter d'éventuels besoins vers l'Ehpad, le service, ou la famille, et peut contacter le médecin traitant et les intervenants libéraux si nécessaire.
Pour garantir la bonne communication de tous ces intervenants et faire le point sur chaque prise en charge, la réunion d'équipe hebdomadaire est un rendez-vous essentiel. « Mme M. va mieux, une bonne séance ce matin, il faudra faire venir les aides-soignantes plus tôt pendant l'absence de sa fille », rapporte la psychomotricienne. « Mme D. ne veut pas aller à la halte répit-détente Alzheimer, il faudra travailler cela avec la psychologue pour permettre à son mari de souffler, note Céline Vallet. Quant à Mme A., on a sollicité des bénévoles pour lui rendre visite, bavarder ou l'emmener se promener ». « Le mari de Mme J. est épuisé et a demandé un hébergement temporaire de deux semaines cet été : d'ici là on a proposé que sa femme prenne un somnifère pour le laisser dormir la nuit, explique Caroline Assis, infirmière coordinatrice du Ssiad. Enfin, Mme Y. a les jambes très douloureuses, il faudrait proposer quelque chose, elle n'a pas de traitement anti-douleur ni d'anxiolytiques », ajoute-t-elle. « Vous pourriez contacter le réseau mobile de soins palliatifs Racine », suggère Hélène Meilhac-Flattet.
Cherche aides-soignantes et auxiliaires de vie désespérément
Après quelques mois de fonctionnement, les retours des familles sont positifs. « Elles apprécient surtout d'être déchargées de la coordination et sont rassurées par la téléassistance », observe Céline Vallet. Pour autant, le démarrage n'a pas été facile. « La montée en charge est moins rapide que prévu et nous sommes freinés par les difficultés de recrutement d'aides-soignantes et d'auxiliaires de vie », rapporte Caroline Assis. Résultat, sur 24 places disponibles sur le dispositif, quinze sont pourvues, et six dossiers sont en attente du recrutement d’aides-soignantes… « Nous manquons aussi d'une solution de transport du domicile à l'Ehpad pour permettre un réel accès aux prestations. Nous allons sans doute acheter un véhicule adapté », explique la directrice.
Enfin, le dispositif qui devait être 100 % Croix-Rouge va finalement accepter des dossiers de personnes souhaitant garder leur auxiliaire de vie dépendant d’un autre gestionnaire, « même si cela nous demande une coordination supplémentaire », souligne-t-elle.
Malgré ces obstacles, ce projet est une opportunité pour la résidence Stéphanie. « Il apporte une ouverture et une dynamique au sein de l'établissement, estime Céline Vallet. C'est bien de pouvoir élargir nos activités sociales à un public extérieur, car les résidents, plus dépendants, y participent moins qu'avant. »
Des services à la carte
La synergie avec le champ de l'aide à domicile, permise par l'expérimentation, va encore se renforcer puisque les bureaux du Saad et du Ssiad vont s'installer dans les locaux de l'Ehpad « pour offrir un guichet unique aux usagers et faciliter la coordination d'Ehpad@dom », explique Caroline Assis. Le Ssiad et Ehpad@dom ont déjà une liste d'attente commune. « Avec le secteur du domicile nous allons réfléchir à une offre de services globale à déployer en direction des personnes âgées de la commune, ajoute la directrice. En outre, cette proposition à la carte nous permettrait de dégager des marges de manœuvre financières sans toucher à notre tarif hébergement, fixé par le conseil départemental à 66 euros par jour. »
Pour évaluer l'expérimentation et démontrer sa pertinence, la direction a commandé une double évaluation (lire l’encadré) : aux chercheurs de l'université Paris-Dauphine sur les aspects socioéconomiques, et au CHU de Reims sur le volet médical. Les résultats seront présentés aux mécènes et aux autorités de tutelle et de tarification, en vue de la pérenniser et de la financer.
[1] Qui regroupe un service d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad).
Mariette Kammerer - Photos : Thomas Gogny
Vers un nouveau modèle ?
Béatrice Fermon, enseignante-chercheur à l'université Paris-Dauphine
« L'enquête que je dirige vise à montrer la plus-value d'une équipe mobile intégrée de type Ehpad@dom par rapport aux solutions classiques du maintien à domicile et de l'Ehpad. À partir des données collectées et d'entretiens, nous allons comparer pour ces trois types de prises en charge les effets sur la santé et l'autonomie, la qualité de vie des personnes et des aidants, la sécurité et la prévention, l'impact sur l'organisation et les conditions de travail, et les aspects financiers. Les premiers obstacles rencontrés par l'équipe – sur le problème du transport et du recrutement des aides-soignantes – sont à prendre en compte en vue de modéliser l'expérience. Mais on voit aussi le nouveau lien que cela crée entre acteurs du domicile et ceux de l'institution, afin d'aller vers des structures plus intégrées : c'est une mini-révolution de l'offre de services, une innovation organisationnelle qui j'espère va démontrer son utilité. »
En chiffres
Ehpad@dom
• 24 places
• Équipe (prévisionnelle) : 0,8 équivalent temps plein (ETP) d’infirmière et cadre de santé, 4,3 ETP d’aides-soignantes, 0,5 ETP de psychomotricienne, 0,2 ETP de psychologue, 0,3 ETP services généraux, astreinte infirmière de nuit (mutualisée)
• Budget de l’expérimentation (2 ans) : 793 000 euros (un quart pour l’étude exploratoire menée par l’université Paris Dauphine et le CHU Reims)
• Tarif pour l’ensemble des services : 174 euros par mois (dont 24 euros pour la téléassistance)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 168 - octobre 2018