Que pensez-vous des mesures annoncées le 4 avril par Olivier Véran et Sophie Cluzel concernant l’accès aux soins des personnes handicapées ?
Arnaud de Broca. C’était une intervention très attendue par notre collectif qui avait alerté sur un certain nombre de problématiques comme le manque de matériel de protection dans les établissements ou le tri des patients en situation de handicap par certains services d’urgences ou centres 15. La présence d’Olivier Véran à cette conférence était un bon signe : le gouvernement a voulu montrer qu’il était à l’écoute sur ce sujet. Le ministre de la Santé a réaffirmé que les personnes handicapées doivent avoir les mêmes droits en matière d’accès aux soins que l’ensemble de la population. C’est quelque chose de très évident pour nous, mais le rappeler constituait déjà une très bonne chose. Quant aux mesures annoncées, comme la mise à disposition d’équipes mobiles d’hygiène hospitalière dans les établissements médico-sociaux, la désignation d’un médecin régulateur référent pour la prise en charge des personnes en situation de handicap dans les centres 15, ou encore la présence d’un aidant autorisé en cas d’hospitalisation, sont de nature à rassurer. Reste à savoir comment elles sont mises en pratique sur le terrain.
Quelles sont vos réserves ?
A. D. B. Il n’existe pas d’équipes mobiles partout par exemple. Comment cela va-t-il fonctionner sur les territoires où il n’y en a pas ? De même, pour la généralisation d’un médecin régulateur spécialisé « handicap » dans chaque centre 15, nous n’avons aucune date. Le ministre de la Santé est lui-même resté assez vague sur les échéances, employant le mot « à terme ». Sur certains territoires, cela existe déjà, sur d’autres non… Il y a aussi la question de l’accès aux soins à domicile qui n’a pas été évoquée lors de cette conférence. C’est pourtant un vrai sujet : certains professionnels (kinés, podologues…) ne se déplacent plus pour effectuer les soins, soit parce qu’ils considèrent qu’ils peuvent être reportés, soit parce qu’ils craignent de transmettre le virus à cette population particulièrement fragile. Les aidants familiaux sont donc amenés à faire des soins qui nécessitent des contacts directs alors qu’ils n’ont pas de masques.
Depuis ces annonces, avez-vous constaté des premiers effets ?
A. D. B. Il est un peu trop tôt pour avoir des retours du terrain. La prise de parole d’Olivier Véran et de Sophie Cluzel a eu, je pense, le mérite de freiner un certain nombre d’initiatives spontanées et malheureuses de tri de personnes du fait de leur handicap. Le terme de tri n’est bien sûr jamais employé et il n’y a pas de directives explicites en la matière, mais ce type de pratiques existe toujours, surtout dans les zones où les hôpitaux sont saturés. L’accès aux soins dans ces territoires reste très compliqué.
Que révèle cette pandémie du système de santé à l’égard des personnes handicapées ?
A. D. B. Elle met tout d’abord en avant les insuffisances globales pour gérer une crise de cette ampleur-là. Il va être nécessaire de tirer tous les enseignements en matière de politique du handicap. Il ne faudrait pas être dans une logique de « stop-and-go », surtout que l’on sait qu’il y a un risque de deuxième ou troisième vague à venir. La crise pointe aussi les dysfonctionnements en période normale. La problématique de l’accès aux soins n’est pas nouvelle. On en parle depuis quinze ans, si ce n’est plus… Nous espérons que cette crise puisse servir à améliorer les dispositifs, en favorisant notamment les liens entre le sanitaire, le médico-social et le domicile. Nous allons travailler collectivement pour faire des propositions et construire l’après.
1) Le Collectif Handicaps regroupe 48 associations
Propos recueillis par Aurélie Vion
Publié dans le magazine Direction[s] N° 186 - mai 2020