L’éthique peut se définir comme la science du questionnement et des mœurs. Ce questionnement surgit dans les situations pour lesquelles aucune solution ne se présente de façon évidente. La crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an, avec ses multiples conséquences, fait surgir de nombreuses tensions au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Elles concernent par exemple le respect de la liberté d’aller et venir des résidents ou, plus récemment, le recueil de leur consentement dans le cadre de la vaccination contre le Covid-19. Ces dilemmes qui taraudent les professionnels mériteraient d’être remontés aux espaces de réflexion éthique régionaux (ERER), afin que les ESSMS puissent bénéficier de leur expertise en la matière. Néanmoins, il conviendrait de repenser leurs modalités partenariales.
Une priorité locale, mais aussi régionale et nationale
L’éthique du vivant est institutionnalisée et orchestrée au niveau national et régional. Instance indépendante, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été créé par décret du président de la République en 1983. Cette initiative faisait suite à la naissance d’Amandine le 24 février 1982, premier bébé conçu en France par fécondation in vitro (FIV). Si les questions posées par l’assistance médicale à la procréation (AMP) et l’expérimentation sur l’homme sont parmi les premiers sujets abordés par le CCNE, sa réflexion s’étend rapidement à d’autres thèmes tels que les neurosciences, le don d’organes et la fin de vie.
Au-delà du CCNE et des comités d’éthique que nous retrouvons au sein des établissements, il revient aux ERER de contribuer à développer une culture éthique chez les professionnels ainsi qu’auprès du grand public. Au nombre de 15, ces espaces adossés à des centres hospitaliers universitaires (CHU) participent et contribuent à l’organisation des débats publics, notamment lors de la révision des lois de bioéthique. Ce rôle est appelé à être renforcé dans le cadre du projet de loi Bioéthique, qui prévoit que le CCNE anime les réflexions en s’appuyant notamment sur les ERER. Les règles de constitution, de composition et de fonctionnement de ces espaces ont été définies par arrêté huit ans après la promulgation de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Ainsi, les ERER sont considérés comme des acteurs majeurs de la réflexion éthique dans le domaine des sciences de la vie et de la santé en assurant des missions de formation, de documentation, de rencontre et d’échanges interdisciplinaires. Si les ERER et le CCNE occupent une place spécifique et fonctionnent de façon indépendante, ils interagissent néanmoins régulièrement pour favoriser le développement de la réflexion éthique. Ils sont donc aussi des acteurs importants de la démocratie en santé grâce aux conférences de citoyens qu’ils organisent dans ce cadre.
Des ERER trop peu sollicités car peu visibles
Sans se substituer aux comités d’éthique locaux, les ERER peuvent accompagner les ESSMS dans leurs questionnements. En effet, si depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, l’article L6111-1 du Code de la santé publique précise que les établissements sanitaires ont l’obligation de mener « en leur sein une réflexion sur les questions éthiques posées par l’accueil et la prise en charge médicale », le Code de l’action sociale et des familles (CASF) demeure silencieux sur ce point. Pour autant, différentes modalités organisationnelles existent afin de faciliter le débat au sein des structures. Très souvent, cela prend la forme de comités qui s’organisent et se fédèrent autour d’un règlement intérieur de fonctionnement. Or, la crise sanitaire fait apparaître de plus en plus de tensions éthiques notamment dans les Ehpad où certaines mesures restrictives de liberté à visées préventives ont bouleversé l’accompagnement des résidents et le quotidien des équipes. Face à cette problématique, et en réponse à la saisine du ministre en charge de la Santé et des Solidarités, l’avis du CCNE du 13 mars 2020, intitulé « Enjeux éthiques face à une pandémie », recommandait aux ERER de mettre en place des cellules de soutien. Celles-ci se sont rapidement concrétisées selon des modèles distincts, et témoignent d’une réponse à un besoin réel sur le terrain. Elles apportent un éclairage collégial et pluridisciplinaire, orientent les professionnels vers des instances locales et opèrent une remontée des tensions présentes sur le terrain auprès du CCNE et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). On devine ainsi l’intention du comité de conforter la place des ERER au sein des territoires afin de répondre aux sollicitations des ESSMS, sans se substituer aux comités d’éthique locaux.
Alors que les ERER peuvent apporter une réelle expertise en matière d’éthique, les structures peinent à les solliciter lorsqu’elles sont confrontées à des tensions et des questionnements éthiques. De leur côté, les équipes constituées au sein des ERER tentent de tisser des liens avec les organisations et les professionnels. Les modalités partenariales prennent différentes formes, mais, contrairement aux recommandations du rapport Cordier (2003), ce sont les comités d’éthique locaux qui permettent majoritairement aux ERER de dessiner les contours d’une coopération avec les ESSMS. En effet, en établissant une cartographie de ces comités sur le territoire, les ERER sont susceptibles d’intervenir dans la méthodologie de mise en œuvre de la réflexion éthique proposée aux résidents. Bien qu’efficace, d’autres pistes pourraient être envisagées pour favoriser le rayonnement des ERER sur le territoire, notamment au niveau de l’optimisation des partenariats, de la stratégie de communication de l’ERER, des formations proposées aux ESSMS et du projet managérial de l’espace éthique régional.
S’appuyer sur les CVS et les commissions des usagers
Si des instances éthiques ne sont pas obligatoires dans les ESSMS, celles de démocratie en santé qui portent la parole des usagers le sont, à l’instar des conseils de la vie sociale (CVS), qui pourraient servir de porte d’entrée aux ERER. Plus globalement, les modalités de partenariat entre ESSMS et ERER mériteraient d’être revisitées, sans tomber dans l’écueil d’une instrumentalisation de la démarche. Les regroupements et mutualisations entre ESSMS, au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ou de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) sont une opportunité d’étendre ce partenariat à plusieurs établissements. Aussi, des enquêtes à destination des ESSMS pourraient être portées par les ERER afin d’identifier les problématiques des établissements tout en les accompagnant. Enfin, il peut paraître utile de rappeler que l’initiation d’une coopération ne peut s’envisager seul. Ainsi, les directions d’ESSMS peuvent elles aussi s’engager dans cette coopération, notamment pour renforcer la culture éthique des professionnels qu’elles encadrent. Rappelons que les ERER sont aussi des lieux de formation et que certains espaces proposent de suivre des diplômes universitaires (DU) en partenariat avec les universités, des séminaires, etc. Il s’agit d’une occasion supplémentaire de coopérer.
Pour conclure, le CCNE et les ERER occupent une place stratégique sur le territoire, car ils sont susceptibles d’influencer l’agenda politique. L’animation des débats en région dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, enjeu fort de la démocratie en santé, en témoigne largement. Incontestablement, le manque de visibilité des ERER impacte leur rayonnement sur le territoire. Alors que l’avis éthique ne s’impose jamais, il permet néanmoins de prendre le temps du débat et des questionnements contemporains. La mise en œuvre de la réflexion éthique incite les professionnels à s’interroger sur le sens de leurs savoirs, mais aussi de leurs actes. Elle intègre les dispositions générales des lois et règles déontologiques et apparaît donc aujourd’hui particulièrement indispensable. À ce titre, la présence du directeur au sein d’un comité d’éthique local reste discutable. En effet, sa participation lors des séances ne doit pas être systématisée afin d’éviter que le débat soit faussé et orienté sur d’autres problématiques qui ne concernent pas directement l’essence même de l'instance. En revanche, le rôle du gestionnaire est bien de créer les conditions favorables aux différentes interactions entre les professionnels en veillant particulièrement à l’efficience des modalités logistiques et organisationnelles des projets du comité.
[1] Mission de stage définie en partenariat avec Karine Lefeuvre, présidente par intérim du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et l’Espace de réflexion éthique de Bretagne (EREB), présidé par le Dr Cyril Hazif-Thomas.
Bertrand Sturione
Carte d'identité
Nom. Bertrand Sturione
Fonction actuelle. Élève directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), promotion Gisèle Halimi (2020-2021).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 196 - avril 2021