Le plan annoncé par le précédent gouvernement, après l'affaire Orpéa, reprend un certain nombre des propositions de votre Commission. Que manque-t-il ?
A. C. Nous sommes heureux d'y retrouver une meilleure prise en compte des aidants, un soutien et un accompagnement des professionnels ou encore un renforcement des inspections. Mais la réponse reste tournée vers les Ehpad, voire les seuls établissements commerciaux. Or, selon nous, elle ne peut pas être monosectorielle. Nous avons besoin d'avoir une ambition commune. C'est la raison pour laquelle nous préconisons dans notre avis rendu en février un plan pluriannuel de prévention et de lutte contre la maltraitance dans tous les champs (domicile, social, médico-social et sanitaire) et visant tous les publics en situation de vulnérabilité. Cette ambition est par nature interministérielle puisqu'elle touche aussi la sphère de la Justice, de l'Éducation nationale, de l'Intérieur… Cela doit-il passer par un secrétariat d'État dédié ? Le débat n’a pas encore lieu au sein de la Commission. Une chose est sûre : nous voulons un pilotage politique fort.
Quelle est l'urgence ?
A. C. Il nous faut une vision d’ensemble et pour y parvenir, il faut disposer d'un état des lieux qui soit tracé avec tous les citoyens en situation de vulnérabilité et leurs familles. Qu’est-ce que la maltraitance ? Qu'attendent-ils de la puissance publique à ce sujet dans les prochaines années ? Cette grande concertation est un enjeu de démocratie majeure. Il y a aussi de nombreux travaux plus spécifiques aux populations à agréger. Ensuite, il faudra construire ce plan pluriannuel ! À ce titre, la politique publique britannique, qui prévoit un rapport d'activité annuel de chaque territoire sur les situations de maltraitance traitées et leurs suites, a 20 ans d’avance sur nous…
Quel serait le rôle de la Commission ?
A. C. Pour être au rendez-vous, il faut à la fois un cadre national qui donne des règles, et une animation territoriale pour partager les situations, s'assurer de la cohérence de leur suivi, et permettre à tous les acteurs engagés de trouver un espace de concertation… Rien ne vit sans cet espace d'échanges dans les territoires. Il nous faut donc des moyens supplémentaires pour donner suite à l'inscription de la maltraitance dans les Codes de l’action sociale et familale, ainsi que de la santé publique : modifier les référentiels, travailler sur les systèmes d'information des agences régionales de santé (ARS), et animer cette réflexion sur les territoires. Il reste encore beaucoup de choses à faire.
Par exemple ?
A. C. Les dispositifs de mise à l'abri des personnes âgées n'existent pas par exemple. Les « auditions Mélanie » adaptées aux personnes en situation de handicap non plus… La 5e branche n'inclut pas pour l'instant la question de la maltraitance et cet item n'apparaît pas dans le référentiel d’évaluation multidimensionnelle de la situation et des besoins de la personne âgée et de ses proches aidants. Il faut aussi clarifier qui doit être le chef de file de cette politique publique. Le préfet ? Le département ? L'ARS ? Ou une gouvernance duale comme celle dont parle Dominique Libault dans son dernier rapport ? Cela se réfléchit en parlant aux acteurs, et la Commission a son rôle à jouer. Nous avons beaucoup mis l’accent sur l’alerte pour faire cesser le silence, mais aujourd’hui c’est du côté de l’accompagnement qu’il faut agir. Des familles et institutions traversées par la maltraitance, mais aussi des professionnels et bénévoles engagés auprès d'eux pour interrompre durablement les violences. C'est le nouveau défi de la politique publique.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022