Adresser un usager dans un service hospitalier sous 24 heures, sur envoi d’un simple fax et sans passer par les urgences ? Un rêve pour de nombreux directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Une réalité en Haute-Vienne. Depuis 2005, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges a mis en place, en collaboration avec les Ehpad du territoire, un système d’entrée directe en service de soins de suite et de réadaptation (SSR) pour prendre en charge, en amont de l’urgence dépassée, des pathologies aigües [1]. L’unité de recours et de soins gériatriques (URSG), organisée au sein du service de soins de suite et de réadaptation (SSR) gériatrique du CHU, travaille avec 30 Ehpad, sur les 38 que compte le département. « C’est une passerelle entre les secteurs sanitaire et médico-social, qui permet d’assurer la continuité des soins. Lancée avant la loi HPST de 2009, elle répondait déjà à un objectif de décloisonnement », constate Philippe Verger, directeur adjoint du CHU, responsable de la politique gérontologique, et professeur associé des universités.
Une équipe renforcée
À l’origine de la démarche, le constat de Stéphan Meyer, ex-gériatre du CHU, aujourd'hui médecin coordonnateur de la résidence Jean Mahaut à Nieul. « Environ 8 000 personnes reçues aux urgences de l'hôpital chaque année ont plus de 75 ans, explique-t-il. Parmi elles, beaucoup sont en situation d’urgence dépassée et environ 10 % sont hébergées en Ehpad. Il fallait leur proposer une prise en charge spécifique afin d’éviter ce qui est souvent vécu comme une agression par les usagers [2]. »
Avec ce nouveau dispositif, l’admission d’un usager, prescrite par l’Ehpad ou le médecin traitant après un échange téléphonique avec la responsable ou la cadre de l’unité, est validée par retour de fax sous 24 à 48 heures. L’équipe mobile de gériatrie du CHU peut aussi y envoyer des patients dans les deux premiers jours d’hospitalisation. Pérennisée en 2009 pour 15 lits, l’URSG a d’abord été expérimentée sur cinq places pendant quatre ans, à moyens constants. Elle est aujourd'hui financée sur dotation annuelle de l’agence régionale de santé (ARS), qui permet notamment de supporter une équipe pluridisciplinaire renforcée. « Il y a plus de travail par rapport à une activité de SSR classique, explique Sophie Peyrichou, médecin responsable de l’unité. Non seulement la rotation en personnel est importante pour gérer les entrées et sorties, mais les réévaluations de l’état de santé et des traitements sont aussi plus fréquents. »
Pour éviter de transformer l’URSG en unité de long séjour déguisé, le CHU a posé des conditions. L’équipe de l’hôpital n'établit pas de diagnostic, qui doit être réalisé au préalable et l’usager doit réintégrer l’Ehpad dès qu'il le peut. Le directeur général du CHU, Hamid Siahmed, résume : « Il s’agit d’organiser l’hospitalisation la plus courte possible et d’anticiper le retour dans la structure. » Résultats : le taux de réadmission en établissement s’élève à 81 % (les cas de décès et d’orientation vers d’autres services expliquant les 19 % restants), et la durée moyenne de séjour est de 17,6 jours.
Une bouée de secours
Les raisons du succès ? « C’est un triangle vertueux : les usagers et leurs familles, le CHU, ainsi que les Ehpad sont gagnants ! », lance Philippe Verger, également directeur de l’Ehpad de Nieul. Côté établissements, la réactivité du dispositif et l’avantage de l’interlocuteur unique séduisent. « L’URSG est le bras armé de l’Ehpad, considère François Ragot, médecin coordonnateur des Ehpad de Châlus et de Nexon. Nous n’avons pas les moyens de faire des soins importants : sans plateau technique, ni infirmières la nuit. L’unité offre une prise en charge individuelle et globale, par des spécialistes de la gériatrie. » Et la directrice des deux maisons de retraite, Marylène Fernandes-Gaspar, d’en détailler les bénéfices pour ses équipes : « Nous faisons face à des pathologies de plus en plus lourdes, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint. La charge de travail et le stress des personnels est important. Le passage en URSG est pour nous un moment de répit, une bouée de secours. »
Pour le CHU, le service « s’inscrit dans le cadre de la consolidation de la filière gériatrique sur le territoire, mais aussi dans le projet d’établissement », souligne Hamid Siahmed. Elle permet d’éviter les hospitalisations inadéquates et de désengorger les urgences. Elle est aussi moins coûteuse qu’un service de médecine aiguë, même avec un taux d’occupation d'un peu moins de 53 %. « Pour des raisons financières, les lits ne sont jamais libres : quand ils ne sont pas occupés par des patients de l’unité, il sont utilisés en SSR classique », précise Sophie Peyrichou. Seul un lit est gardé vide jusqu’à 15 heures tous les jours. Pour les usagers, enfin, la surveillance paramédicale et médicale est continue. Et la transition entre l’Ehpad et l’hôpital considérablement adoucie. Ainsi, à chaque passage de relai, les équipes médico-sociale et sanitaire se font part, au moyen d’une fiche, des habitudes des patients au quotidien, afin de bousculer leur rythme et leurs repères au minimum.
Des règles du jeu claires
L’activité de l’URSG est passée de 115 entrées en 2009 à 169 en 2011. « Nous n’avons pas encore atteint de "plateau" », précise Sophie Peyrichou. Côté Ehpad, les marges de manœuvre semblent conséquentes. « L’unité est sous-employée au niveau de nos établissements, estime François Ragot. Certains médecins traitants n’en ont pas encore saisi l’ensemble des possibilités d’utilisation. » Depuis l’ouverture du dispositif, trois séries de courriers d’information accompagnés de plaquettes ont été envoyées aux Ehpad, mais « les médecins traitants sont plus difficiles à toucher », reconnaît la responsable de l’unité. Reste qu’il arrive aussi à l’URSG de refuser des usagers. « Au début, il y a eu quelques dérives : le diagnostic d’entrée n’était pas adapté ou l’Ehpad ne voulait pas reprendre le patient, se souvient-elle. Encore aujourd’hui, le médecin prescripteur demande parfois de faire un bilan, or nous ne réalisons pas de diagnostic. Nous orientons alors les patients ailleurs. »
Face à l’augmentation de la durée moyenne de séjour (DMS), cet encadrement strict du dispositif n’est pas un luxe. En cause : « Les pathologies des personnes accompagnées par les Ehpad de plus en plus lourdes et nombreuses », explique Philippe Verger. Aussi, le risque de dénaturation du projet inquiète… Autant que ses possibles conséquences en termes d’organisation des moyens. Les capacités d’accueil et de soin de l’unité pourraient-elles être remises en cause à court terme ? Certainement pas, assure Sophie Peyrichou : « Quand il arrive qu’en hiver l’unité soit complète, j’essaie de rebasculer des patients du SSR vers d’autres services. Mais de toutes façons, il y a un minimum de souplesse – en fonction du type d’urgence – et de visibilité, les sorties étant programmées sous huit jours. Et, en cas de problème de place ou d’admission, vis-à-vis des Ehpad, des médecins traitants ou des autres praticiens de l’hôpital… l’essentiel demeure de bien communiquer ! » Une formule qui sonne comme un précepte, celui d’une coopération réussie.
[1] Déséquilibre d’un diabète insulino-dépendant, état infectieux grave nécessitant des antibiotiques par voie veineuse, état de dénutrition majeur avec risque d’escarres…
[2] Selon l’estimation du directeur général, le temps d’attente moyen, pour une personne âgée de plus de 75 ans, entre l’arrivée aux urgences et son orientation dans un service, est de sept heures.
Aurélia Descamps
« L'ARS va développer d'autres unités similaires »
François Négrier, directeur de l’offre médico-sociale à l’ARS du Limousin
« Cette initiative répond à l’un des axes du projet régional de santé (PRS), à savoir celui de fluidifier le parcours des personnes âgées. Cette unité est tout à fait pertinente sur notre territoire, pour au moins deux raisons. D’abord, la population du Limousin, l’une des plus âgées d’Europe, préfigure ce qui pourrait arriver dans toute la France. Ensuite, c’est une petite région, ce qui facilite certainement le partenariat entre les acteurs des secteurs sanitaire et médico-social. Ce projet n’a pas pour l’instant pas de "label juridique". C’est une création locale, innovante, sur des lits de soins de suite et de réadaptation (SSR). Mais il est d’ores et déjà prévu, dans le schéma régional d’organisation médico-sociale (Sroms), de développer des unités similaires dans les départements voisins de la Creuse et de la Corrèze. Elles devraient voir le jour dans le cadre du nouveau pôle gériatrique de Guéret (vers fin 2012) et du futur projet architectural du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde. »
En chiffres
15 lits dans le service de SSRG (qui en compte 19 au total)
Équipe : 1 médecin gériatre, 1 cadre de santé, 2 infirmiers et 5 aides soignants
30 Ehpad partenaires, dont 6 actuellement conventionnés
En 2011 :
169 entrées
Taux d’occupation : 53 %
Moyenne d’âge des patients : 86 ans pour les hommes et 88 ans pour les femmes
Durée moyenne de séjour : 17,6 jours
Taux de retour en Ehpad : 81 %
Dotation annuelle de l’ARS : environ 350 000 euros
Feuille de route
- Lancer une campagne de communication sur le projet aussi bien en interne qu’en externe (diffusion de courriers, de plaquettes d’information, participation à des réunions à l’échelle du territoire…). Renouveler la démarche si besoin.
- Encadrer le dispositif de manière claire (définir le profil des usagers concernés, les obligations à tenir par l’ensemble des parties…).
- Limiter le nombre d’interlocuteurs dans chaque structure.
- Formaliser la coopération (via le conventionnement) sans pour autant négliger les contacts plus spontanés (rencontres, communications téléphoniques).
- Faciliter le passage d’une structure à l’autre pour l’usager (échanger des informations sur ses habitudes et ses repères…).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 100 - novembre 2012