« La période nocturne était synonyme d’angoisse pour les équipes. En cas de problème de santé d’un résidant, l’appel aux urgences était alors souvent la seule solution. » Pour Marion Ahnouch, infirmière référente de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) L’Occitane résidence retraite, à Vic-la-Gardiole (Hérault), ces situations ne sont plus qu’un mauvais souvenir. En février 2012, cette structure privée a été l’une des premières à se lancer dans l’expérimentation proposée par les Hôpitaux du bassin de Thau (HBT). Ce centre hospitalier de la région de Sète a décidé de mettre à disposition des Ehpad du territoire une astreinte infirmières de nuit. Une solution pour répondre aux besoins de la permanence des soins des usagers dans le cas d’urgences gériatriques, souvent impossibles à assurer par les personnels en place à ces heures-là. « Embaucher une infirmière de nuit a toujours été impensable financièrement », explique Nicolas Mélis, directeur de L’Occitane résidence retraite. « En outre, les aides-soignantes et les veilleurs ne sont pas qualifiés pour prendre en charge toutes les situations, comme les chutes sans perte de connaissance, les crises d’angoisse, les pansements à changer ou les perfusions à réinstaller », précise Claude Cotterlaz-Rennaz, directeur de l’action médico-sociale et des établissements auprès des HBT, qui compte quatre Ehpad.
Devancer une suppression de postes
À l’origine, c’est pour faire face au désarroi des équipes des urgences et améliorer l’accompagnement des patients âgés que le centre hospitalier a lancé une réflexion sur la prise en charge nocturne. « Ces services accueillaient de plus en plus de personnes âgées qui n’avaient rien à faire là », souligne Patricia Barreau-Michelot, directrice coordonnatrice générale des soins. Le passage aux urgences fragilise ces patients déjà vulnérables : ils devaient patienter longtemps, hors de leur environnement habituel, et étaient soumis à une batterie d’examens souvent inutiles. Il en ressortait un risque élevé de décompensation liée au stress, sans parler de l’engorgement des services en pleine nuit. » En outre, l'hôpital devait anticiper des réorganisations qui s’annonçaient pour ses quatre Ehpad. « Nous savions que le renouvellement de leur convention tripartite en 2013 conduirait à supprimer les postes d’infirmière de nuit », explique Claude Cotterlaz-Rennaz.
Après y avoir réfléchi avec les établissements privés intéressés, les infirmiers diplômés d'État (IDE) volontaires et le médecin coordonnateur de la filière, en février 2012, les HBT ouvrent une première ligne d’astreinte, destinée aujourd’hui à quatre Ehpad (trois privés et un public) du secteur de Sète-Mèze-Vic-la-Gardiole. Et en mars 2013, une seconde ligne est mise en place pour le territoire de Marseillan-Agde-Vias, réservée aux trois autres Ehpad des HBT.
Des professionnels formés à la gériatrie
Sur le terrain, le service fonctionne 7 jours sur 7, de 20 heures à 6 heures. Huit infirmiers volontaires l'assurent. « Nous avons chacun environ dix nuits d’astreinte par mois », explique Brigitte Robinet, IDE d'astreinte. Chaque début de mois, nous nous organisons en fonction de nos impératifs. » Dans la journée, ces professionnels exercent au sein des Ehpad des HBT. Ce sont leurs compétences en gériatrie qui leur ont permis d’être retenus. « Nous avons proposé ces astreintes aux personnels infirmiers titulaires d'un diplôme universitaire en gérontologie ou qui ont au moins trois ans d’expérience dans ce domaine », souligne Patricia Barreau-Michelot. « Surtout, nous avons privilégié leur capacité d’écoute et leur appétence pour prendre en charge la vulnérabilité », insiste Gérard Dufraisse, chef de pôle Gériatrie et soins de suite et médecin coordonnateur de la filière.
Le démarrage de l’expérimentation a également nécessité un important travail préparatoire. D’abord, pour circonscrire le champ d’action des agents. « Nous avons défini précisément les situations d’"urgence relative" dans lesquelles l’appel aux infirmiers se justifie », explique le Dr Dufraisse. Par exemple ? Signes de malaise, chute sans perte de connaissance, pansement à refaire… « Il ne s’agit évidemment pas de retarder l’appel au centre 15 lorsque le problème ne relève pas des compétences de l’infirmier », signale Patricia Barreau-Michelot.
Ensuite, les Ehpad privés ont dû rendre accessibles leurs procédures (via des fiches techniques) et leurs locaux (codes d’accès à la pharmacie, aux dossiers des résidants, au matériel de soins). Et ils ont organisé des visites pour que les infirmiers d’astreinte se familiarisent avec les lieux et rencontrent les équipes de nuit. Outre le champ et les modalités d’intervention des IDE, la convention de partenariat précise les engagements réciproques des différents acteurs. Ainsi que le rôle des médecins traitants pour réaliser des protocoles individualisés et les prescriptions anticipées en cas de besoin.
Quant aux quatre Ehpad publics, il leur a fallu se réorganiser suite à la suppression des postes de nuit en mai 2013 et leur remplacement par une ligne d’astreinte. « Certaines équipes étaient très inquiètes, mais nous les avons préparées très tôt en leur assurant qu’il y aurait une continuité », souligne la directrice coordonnatrice. Les professionnels d’astreinte sont de fait connus puisqu’ils travaillaient déjà dans ces structures en journée. » Les infirmières de nuit se sont vu proposer des postes de nuit dans d’autres services du centre hospitalier ou en journée dans les Ehpad, en étant accompagnées par une tutrice.
Un financement assuré par l'ARS
L’originalité de la démarche des HBT tient également au fait que le service ne coûte rien aux Ehpad privés. La mise en place du dispositif n’aurait, en effet, pas été possible sans un engagement financier de l'hôpital, chaque ligne d’astreinte revenant à un peu plus de 20 000 euros par an. « Nous avons commencé l'expérimentation en espérant que la tutelle ou les établissements bénéficiaires s’impliqueraient à moyens termes », raconte Jean-Marie Bolliet, directeur des HBT. Trois mois après le lancement, l’agence régionale de santé (ARS) a décidé de soutenir l’action (lire l’encadré ci-dessous).
Sur 16 mois d’existence, les lignes ont enregistré 56 appels, dont 51 ont nécessité un déplacement. « Au début, il m’est arrivé d’être appelée hors de cas d’urgence, témoigne Brigitte Robinet. Puis, peu à peu les établissements ont compris notre rôle et ajusté leur organisation pour que nos interventions s’inscrivent bien dans le cahier des charges. » Pour le personnel d’astreinte, cette nouvelle mission n’apporte que des avantages. « Nous sommes seuls, responsables. Ces situations revalorisent notre fonction, souvent moins bien perçue qu’un infirmier en service de réanimation par exemple », indique David Hernandez, qui a intégré le service en juillet dernier. Autre bénéfice, la plus-value financière : en effet, dix astreintes équivalent à environ 300 euros supplémentaires sur la fiche de paie. « Sans compter les déplacements rémunérés en heures supplémentaires de nuit », précise Armelle Olombel, cadre de santé aux HBT.
Fonctionnant actuellement pour sept Ehpad (dont trois privés), le dispositif devrait poursuivre son développement. « Pour le moment, les nuits sans appels sont majoritaires, nous avons donc un peu de marge avant la saturation du service », estime Brigitte Robinet. À ce jour, 18 structures ont signé la convention de la filière de soins gériatriques : une perspective intéressante pour les HBT, qui n’excluent pas à long terme d’augmenter le nombre d’agents d’astreinte. Claude Cotterlaz-Rennaz confirme : « Nous sommes en relation avec d’autres Ehpad du territoire, de plus en plus intéressés pour entrer dans la boucle ». À suivre donc.
Catherine de Coppet
« Les hôpitaux publics, des plates-formes de services »
Jean-Marie Bolliet, directeur des HBT
« Le centre hospitalier est l’établissement de santé siège de la filière de soins gériatriques. Il rassemble 18 Ehpad du bassin de Thau. Dans ce cadre, nous étions associés à certaines structures pour mettre en place un système de visiogériatrie et partager un médecin coordonnateur. Nous nous sommes appuyés sur les partenariats déjà à l’œuvre pour imaginer ces astreintes infirmières de nuit assurées par nos agents. À rebours de la logique de la tarification à l’activité (T2A), qui devrait nous pousser à conserver ces admissions nocturnes aux urgences, le dispositif désengorge ces services, tout en faisant faire des économies à l’assurance maladie. Les hôpitaux publics doivent se vivre comme des plates-formes de services pour leur territoire. »
« Une expérimentation qui a inspiré les pouvoirs publics »
Isabelle Redini-Martinez, déléguée territoriale de l'Hérault à l’ARS Languedoc-Roussillon
« Sollicités par les Hôpitaux du bassin de Thau, nous avons financé la première ligne d’astreinte infirmières de nuit en 2012 via le fonds d’intervention régional (FIR). Et en 2013, nous prévoyons de prendre en charge les deux lignes sur l’enveloppe médico-sociale grâce à des crédits non reconductibles. Mais notre objectif est que le dispositif, si son évaluation est positive, bénéficie d’une dotation pérenne lors de la renégociation de la convention tripartite de l’établissement. La démarche nous a inspiré : cette année, nous proposons de financer des démarches similaires ailleurs. Nous avons rédigé un cahier des charges et un projet de convention entre établissement porteur d'une telle initiative et Ehpad, calqués sur cette expérimentation. Dans l’Hérault, trois expérimentations sont en gestation impliquant des infirmiers salariés ou libéraux. Notre territoire avait jusqu’ici du mal à assurer la permanence des soins en nuit profonde, c’est donc un progrès majeur. Nous avons fait connaître la démarche dans le cadre de la Stratégie nationale de santé, et le ministère s’est déplacé pour voir comment cela se passait sur le terrain. Un très bon signe. »
En chiffres
9 infirmiers assurent 2 lignes d'astreinte de nuit, de 20 heures à 6 heures, 7 jours sur 7
7 Ehpad concernés (4 publics et 3 privés), soit 488 résidants
Budget 2012 : 20 886 euros (1 ligne)
En 16 mois, 56 appels, dont 48 pour la ligne 1 (3 Ehpad privés et 1 public) ;
51 déplacements, dont 47 pour la ligne 1; 4 appels seulement au centre 15 après recours à l'astreinte. Premiers motifs d’appel : perfusion arrachée, prise en charge de la douleur, chute sans signe de gravité, initialisation d’un traitement injectable urgent (avant la mise en place de l’HAD)
Tarif horaire de l’astreinte : 3,22 euros brut
Tarif horaire du déplacement de nuit : entre 27 et 29 euros net
Publié dans le magazine Direction[s] N° 113 - novembre 2013