Agir local, penser global. Une formule consacrée [1] en matière de développement durable et qu’illustre parfaitement l’initiative de l’association Caroline Binder, à Logelbach (Haut-Rhin). Dernier né des maillons de son pôle Insertion, le service de médiation énergétique, articule les enjeux à la fois économiques, sociaux et environnementaux. Ouvert en janvier 2013, son ambition est d’accompagner les personnes en grande précarité qui ne pouvant plus régler leurs factures de gaz ou d’électricité présentent un risque de coupure et d’aggravation de leur situation. Les missions confiées à Nadine Czebe, assistante sociale de formation et médiatrice énergie de l'association ? Assurer une prise en charge sociale et budgétaire spécifique des ménages, mener des actions de prévention et de sensibilisation (en matière de consommation, de repérage de logements vétustes…) et servir d’intermédiaire avec le fournisseur d’énergie.
Remédier à un constat alarmant
Dirigé par Gérard Gauvrit, le pôle Insertion intervient de longue date auprès d’un public en grande difficulté et travaille de façon resserrée avec le fonds de solidarité pour le logement (FSL) géré par le conseil général. Début 2012, ce dernier cherche via la commission Énergie du FSL à mener des expérimentations afin d’améliorer la lutte contre la précarité en termes de logement et de consommation énergétique. Et à résoudre un constat alarmant : « Nous observions un nombre croissant de factures impayées, pouvant être prises en charge une fois par an à hauteur de 600 euros par le FSL Énergie. Il devenait urgent de s’y atteler », raconte Yann Thépot, chef du service Habitat et solidarités territoriales du conseil général. Ainsi, en 2013, sur le seul territoire de Colmar, 510 aides ont été accordées par le FSL pour un montant de près de 80 000 euros, soit une hausse de 8 % depuis octobre 2012. « Nous avons voulu travailler sur la question du comportement énergétique qui s’additionne à celle des logements et des équipements énergivores », explique le responsable. Un appel à projet est alors lancé qui aboutit à la désignation de l’association Caroline Binder pour mettre en place un nouveau dispositif, auquel est alloué un budget annuel de 38 200 euros. Il permet ainsi à Nadine Czebe de dégager 80 % de son temps plein sur le poste de médiatrice énergie. Son rôle ? Éplucher les notes, étudier la situation sociale, évaluer les équipements et les modes de vie pour, in fine, trouver une solution à ces impayés. Depuis le début de l'expérimentation, elle a effectuée 126 visites à domicile pour 33 foyers accompagnés.
Cibler et comprendre les situations
Un protocole a été rédigé entre l'association et le FSL afin d’organiser le repérage des ménages concernés par une telle intervention. Les services sociaux qui accompagnent les personnes précaires transmettent une demande de prise en charge au FSL. Celui-ci décide alors, dans un délai de huit à dix jours, du rejet, du paiement de tout ou partie, ou de l’intervention de la médiatrice au domicile des ménages. Un soutien de deux mois dans un premier temps.
Pendant cette période, le contentieux avec Vialis, fournisseur local d’énergie, est suspendu. « Nous avons cherché une action ciblée sur des situations hors normes », explique Frédéric Papinaud, chargé de mission volet Énergie et actions collectives en faveur de la lutte contre la précarité énergétique au conseil général. En clair : en direction des foyers présentant des dettes récurrentes, des coupures chroniques et un logement dégradé. « Nous devons comprendre ce qui se passe, les raisons de telles factures et ce qu’il est possible de faire », poursuit-il. L’objectif est qualitatif : « Notre action ne doit pas seulement être un pansement sur un impayé », ajoute Christelle Gasquiet, responsable de l’unité FSL 68.
Un travail de pédagogie
Dès qu’elle a le feu vert, Nadine Czebe contacte le service social qui accompagne le ménage dont la demande a été acceptée. Un prébilan est établi avant une prise de rendez-vous. « Problèmes de paiements, mode de vie, qualité du logement : on ne peut s'en rendre compte qu’au domicile », insiste Gérard Gauvrit. La première visite est délicate : « Je dois être très pédagogue, expliquer pourquoi je suis là, établir la confiance, faire comprendre que je ne travaille pas pour le fournisseur d’énergie… », explique la médiatrice. Les personnes qu’elle rencontre sont souvent en situation de grande précarité. Durant deux ou trois visites, elle tente d’évaluer leur situation économique et sociale, tout en étant attentive à l'environnement. « Parfois, il faut d’emblée prendre des mesures de bon sens, comme couper le chauffage dans des pièces inoccupées ou baisser la température dans le logement », dit-elle. Au terme de cette période d’instruction, au cours de laquelle Nadine Czebe rencontre également les responsables de Vialis pour trouver une solution financière, elle adresse son rapport à la commission du FSL Énergie. Celle-ci statue au regard des éléments apportés, elle peut alors aider financièrement le foyer ou reconduire la période de médiation pour quatre mois supplémentaires.
Accompagner plus largement
Les bénéfices de cette expérimentation sont palpables, même s’il est encore trop tôt pour tirer un premier bilan formel. Nadine Czebe raconte : « Un couple avec trois enfants, qui loge dans un HLM, avait un problème de chauffage mais n’osait pas aller voir son bailleur. Les parents avaient donc installé des radiateurs électriques, ce qui a entraîné une surconsommation et donc une surfacturation. Mon intervention a permis d’avertir le gestionnaire que la chaudière était défectueuse et que deux fenêtres fermaient mal. » Un cas rapide à régler. Mais les marges de manœuvre sont bien différentes selon que les bailleurs sont privés ou publics : « Dans de nombreux cas, on est à la limite de l’insalubrité ou face à des logements très énergivores, note la médiatrice. Parfois, dans le parc privé, le propriétaire ne veut absolument rien entendre et ne pas engager de travaux. » Ce sont les limites de sa mission… D’où l’importance de son inscription dans un suivi social plus large.
Dans d’autres situations, la question n’est pas seulement énergétique. Selon Nadine Czebe, il en est ainsi dans les deux tiers de ses interventions. « La porte d’entrée de la médiatrice est un impayé, rappelle Gérard Gauvrit. Mais celui-ci est bien souvent être lié à d’autres facteurs que la maîtrise énergétique. L’accompagnement ne peut donc qu’être global. »
Considérer chaque piste
C’est le cas, par exemple, de Jean-Maurice Helmlinger. Il perçoit 477 euros par mois au titre de l’allocation de solidarité spécifique et est soutenu par le service depuis juin 2013. L’alerte ? Une facture impayée de 1662 euros au fournisseur d’énergie et présentée au FSL Énergie. Certes, son logement social montre des signes de mauvaise isolation et ses équipements ne sont pas les moins énergivores. D’ailleurs, afin de mieux contrôler l'eau, le gaz et l'électricité, un « pack énergie » contenant ampoules basse consommation, réducteur de consommation d’eau et même un sablier pour mieux gérer le temps sous la douche, lui a été remis. Mais surtout, l'homme accueille depuis le printemps ses deux fils adolescents presque à temps plein alors qu’il ne les recevait qu’un week-end sur deux auparavant, expliquant que les dépenses notamment de gaz aient fortement accrues. Nadine Czebe s’est donc attelée à examiner la situation, reprendre les factures une à une, recalculer le budget et considérer les pistes pour sortir de l’impasse. Ainsi, une partie de la facture a été prise en charge par le FSL Énergie (600 euros), une autre par l'association Caritas, le centre communal d'action sociale (CCAS) et l’Entraide protestante. Pour le reste à charge, un étalement des dettes lui a été accordé et la médiation avec Vialis a permis de réduire un peu les mensualités. Même chose pour l’eau : Nadine Czebe a réussi à faire diminuer les virements mensuels (de 46 à 26 euros). En outre, des bons alimentaires lui ont été remis par la mairie. Enfin, en concertation avec le service social, une procédure a été entamée auprès du juge aux affaires familiales afin de réviser la pension alimentaire dès lors que ses fils vivent désormais en quasi permanence chez lui.
« Cette action commence à être perçue comme efficace par les travailleurs sociaux qui présentent de plus en plus de dossiers », estime Yann Thépot. De même, Vialis commence à voir l’utilité d’un dispositif qui évite des impayés récurrents. « L’enjeu au final est aussi de prouver que l’action sociale peut être rentable et positive pour les fournisseurs d’énergie », conclut le chef du service Habitat et solidarités territoriales du conseil général. Une première évaluation doit être faite début 2014.
« Un tiers des clients suivis paient désormais leur facture »
Gilles Bourreau, chef du département facturation et recouvrement, Vialis
« Vialis est une ancienne régie municipale avec sur Colmar 40 000 contrats actifs en électricité et 30 000 en gaz. Chaque mois, nous effectuons 5 000 relances et environ 100 coupures ou limitations de puissance. Nous n’avons pas de dispositif de médiation extrêmement poussé en interne : chaque client peut solliciter un rendez-vous, mais nous n’effectuons pas de diagnostic budgétaire, nous ne sommes pas légitimes pour avoir un regard global. À ce jour, 27 foyers ont bénéficié de la médiation. Pour ces personnes ainsi suivies, nous n’avions auparavant qu’un lien client-fournisseur, avec de simples accords de délais de paiements, notre priorité restant le règlement des factures. Aujourd’hui, un bon tiers les paie normalement, dont trois chaque mois. En outre, nous avons apuré la dette de six foyers. »
En chiffres
Le Portail, service de médiation énergie
- Depuis janvier 2013, 33 foyers bénéficiaires, soit 126 visites, sur 570 aides accordées par le FSL Énergie.
- 0,8 équivalent temps plein (financé par le conseil général) de médiatrice énergétique.
- Intervention de 2 mois, prolongement à 6 mois maximum
- Budget annuel : 38 200 euros
Contact
03 89 27 04 01
[1] Formule employée par René Dubos lors du premier sommet sur l’environnement en 1972.
Manuel Jardinaud
Publié dans le magazine Direction[s] N° 114 - décembre 2013