« Let your body talk ! » Dans la cour ensoleillée de la Maison, une vingtaine d’adolescents tentent de suivre la chorégraphie d’une dynamique professeure de hip-hop. Si la jeune femme s’adresse à eux en anglais, ce n’est pas seulement pour les mettre dans l’ambiance, mais parce qu’il y a aussi parmi ses élèves des Anglais, des Espagnols et des Allemands. Durant une semaine, en compagnie des jeunes accueillis dans cette maison d’enfants à caractère social (Mecs) de Charbonnières-les-Bains, près de Lyon, ces hôtes européens vont réfléchir ensemble autour de la thématique des préjugés. Plus tard dans la journée, après un pique-nique dans la cour, ils se retrouveront pour une séance de graffitis animée par un professionnel, là encore placée sous le signe de la lutte contre les idées reçues. Une initiative née d’un des nombreux partenariats mis en place par cette structure aux portes grandes ouvertes sur son environnement et, au-delà, sur le monde.
À l’origine, une idée lancée en 2012 par son directeur, Frédéric Weber qui raconte : « À mon arrivée, la construction d’un nouveau bâtiment pour la Mecs était en cours, et il était prévu que l’ancien reste en grande partie vide. » Il décide alors d’en faire un lieu de résidence pour six à huit jeunes confiés par l’aide sociale à l’enfance (ASE), les plus grands (16-18 ans), et d’ouvrir dix à douze places à d’autres, âgés de 16 à 25 ans, venus de divers horizons, pour des séjours de quelques semaines ou quelques mois, afin de travailler leur projet de mobilité. « Des adolescents qui, à 18 ans, se retrouvent sans solution d’insertion et de logement, mais aussi des jeunes, qu’ils soient en service civique, en service volontaire européen, des étudiants sous statut Erasmus+ se formant à un métier social, ou encore des mineurs isolés étrangers (MIE) », détaille Frédéric Weber.
Bref, la Résidence Jeunes du monde ne s’inscrit dans aucun des dispositifs habituels du secteur. Elle est d’ailleurs régie par des règles différentes de celles du nouveau bâtiment, lieu de vie principal de la Mecs à l’organisation plus classique. « Au sein de la Résidence, il y a un cadre précis, mais nous favorisons la responsabilisation », précise encore le directeur. Ménage, entretien des lieux, courses, préparation des repas… À chacun sa tâche, même si les professionnels les supervisent, en fonction de son degré d’autonomie. « Il s’agit de les préparer à la vie d’adulte en les rendant responsables », souligne Frédéric Weber. Une autogestion qui favorise l’éducation par les pairs. « Les jeunes les plus en difficulté sont plus sensibles aux conseils de personnes de leur âge, en particulier celles en service civique, qu’à ceux des adultes ! », constate le directeur.
Retrouver l’estime de soi
Parallèlement, pour contribuer à l’ouverture et au décloisonnement de la structure, l’association Fenêtres, créée dans le cadre du plan de raccrochage des jeunes du conseil régional de Rhône-Alpes, joue le rôle de plateforme ouverte aux résidants de la Maison, mais aussi aux 16-25 ans du territoire. Sa vocation ? Coordonner l’action des professionnels de l’éducation et de l’emploi afin de proposer des activités dans une optique d’éducation non formelle. « Graff, peinture, arts créatifs, danse, informatique… Les ateliers ont pour but de remobiliser ces jeunes, de mettre en valeur leur compétences sociales, de travailler sur leur savoir-être, mais aussi de leur permettre de concevoir un projet de vie et de devenir des citoyens », indique Marie-Noëlle Weber, coordinatrice de ce dispositif.
Une ambition qui passe aussi à la Résidence par l’implication des jeunes dans des actions citoyennes et de solidarité organisées par des associations locales, en lien avec les professionnels de l’établissement. « Par exemple, ils participent à des maraudes dans Lyon. Confectionner des repas, aider à la collecte de produits de première nécessité, pour les distribuer ensuite aux sans domicile fixe… C’est un des moyens de leur donner un rôle social et de les inscrire dans la vie de la cité », remarque Marie-Noëlle Weber.
La plateforme travaille aussi avec Eurocircle, une association née en 1992 à Berlin, fédérant au niveau européen des acteurs du social, de l’éducation et de l’emploi, afin de mettre en œuvre conjointement des projets transnationaux, en particulier des échanges.
Fenêtres fait également le lien avec les acteurs de l’emploi et le tissu économique local afin de proposer des visites d’entreprises et des stages. « Une grande partie des bénéfices que tirent ces jeunes naît des échanges qu’ils ont entre eux. Présenter les activités de l’association à un nouveau venu, apprendre à lire le français à un mineur isolé pour un adolescent introverti pensant lui-même avoir des difficultés de lecture, aller au-devant de personnes en grande difficulté, monter un atelier maquillage pour les personnes âgées de la maison de retraite voisine… Autant de situations contribuant à retrouver de l’estime de soi, nécessaire pour se propulser dans un projet d’insertion », assure Marie-Noëlle Weber.
Contre les préjugés
Cette ouverture sur la cité n’est pas totalement nouvelle pour la Maison. Reprise en 2006 par l’Association pour les droits et l’accompagnement de l’enfant à l’adulte (Adaear), elle était jusqu’alors gérée par l’Association des refuges d’enfants, créée par des bénévoles locaux en 1962. Des bénévoles toujours très présents. « Nous organisons l’aide aux devoirs, nous finançons des actions, par exemple l’installation d’un parcours sportif dans le jardin ou des petits extras, comme des voyages, grâce à des dons et legs. Nous constituons aussi un relais avec la population de la commune. Il est encore nécessaire de lutter contre les idées reçues nées de la confusion entre enfance placée et délinquance », explique Marie-Bernadette Sonthonnax, présidente de l’Association des refuges d’enfants. Quid de l’ouverture à de nouveaux publics ? « Elle a été accueillie avec un peu de scepticisme, mais vite intégrée à nos activités. Plus un jeune a des possibilités de s’ouvrir sur l’extérieur, mieux c’est ! Et ce brassage que la Résidence Jeunes du monde apporte à l’établissement, est intéressant, même pour les plus petits de la Mecs », reconnaît cette enseignante à la retraite.
Régie par une charte, l’action des bénévoles est précisément encadrée pour ne pas empiéter sur l’action des équipes. Des professionnels qui ont dû s’adapter à un décloisonnement pas toujours de mise dans les Mecs. « Dans les structures relevant de la protection de l’enfance, les éducateurs spécialisés vivent souvent dans leurs murs. Intégrer cette ouverture et ce décloisonnement aux pratiques n’a pas été simple pour tous. Elle est venue bouleverser les représentations et les outils avec lesquels ils ont l’habitude de travailler », raconte Claudine Massé, chef du service. Le plus difficile ? Sans doute, accepter de collaborer avec des intervenants des associations, non formés à l’accompagnement de jeunes en grande difficulté et reconnaître que ceux-ci peuvent apporter des solutions éducatives intéressantes. Certains l’ont vécu comme une remise en cause de leur fonction. « Il a fallu un peu de temps pour changer de repères, reconnaître l’intérêt de ces réponses et apprendre à travailler avec des partenaires extérieurs », constate encore la chef de service. Pour mener à bien cette petite révolution dans le projet éducatif, les professionnels ont bénéficié tout au long de l’année 2014 d’une formation à la méthodologie de projet et d’intervention sur la posture des travailleurs sociaux vis-à-vis des familles. D'autres ont été formés au tutorat de volontaires en service civique.
Activer tous les leviers
Toutefois, ce décloisonnement et ces collaborations, pourtant prônés par les autorités de tutelle, se heurtent dans les faits à la rigidité des cadres de financement. 35 000 euros dans le cadre du plan de raccrochage de la région, 17 000 euros de subventions européennes pour les échanges internationaux… Pour financer les actions de la Résidence et de la plateforme FenêtreS, le directeur frappe à toutes les portes. « Il faut lancer les projets, puis activer tous les leviers de financement pour les mener à bien », assure-t-il, y compris les principaux partenaires : le conseil régional, la métropole et les institutions européennes. En clair, favoriser la mixité, estomper la frontière entre l’intérieur et l’extérieur d’un établissement pour élargir l’horizon de jeunes en difficulté relève encore du combat.
Jean-Marc Engelhard. Photos : Baptiste Lignel
Accueil des MIE : s’appuyer sur ce dispositif pour faire des propositions
Daniel Derivois, psychologue à la Maison, professeur à l’université de Bourgogne Franche-Comté
« En plus de mon activité d’enseignant chercheur, j’interviens depuis 2010 en tant que psychologue à la Maison dans le cadre du suivi des jeunes résidants et du soutien aux professionnels. S’il est encore trop tôt pour mettre en place un ensemble d’indicateurs pour évaluer les bénéfices de la Résidence Jeunes du monde auprès des différents publics accueillis, en particulier les MIE, il est néanmoins nécessaire d’en démontrer la pertinence pour en assurer la pérennité et, pourquoi pas, contribuer à ce qu’elle soit dupliquée. C’est pourquoi, avec des collègues des universités Paris 13, Aix-Marseille et Lorraine, nous avons répondu à un appel à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR) afin de mener une étude sur une période de quatre ans relative à l’accueil et à l’accompagnement des MIE. Un de nos objectifs ? Aboutir à des propositions concrètes, en nous appuyant notamment sur cette expérience singulière. »
En chiffres
Résidence Jeunes du monde :
- 18 places, dont 6 à 8 de Mecs.
- 2 éducateurs spécialisés.
- Financements 2015 : 300 000 euros environs de la métropole pour les 6 à 8 jeunes confiés, 20 000 euros pour l’accueil des jeunes en service volontaire européen, 20 000 euros pour les programmes Erasmus +.
- Financement de la plateforme Fenêtres en 2015 : 80 000 euros, dont 35 000 euros de la région dans le cadre du plan de raccrochage des jeunes, 35 000 euros pour Erasmus+ et 10 000 euros de la part de fondations et des dons.
Contact
Résidence Jeunes du monde : 04 78 87 06 07
Publié dans le magazine Direction[s] N° 137 - décembre 2015